Revue des agriculteurs de France : juillet 1937.
« Le vin de Bordeaux »
“A Bordeaux, les meilleures familles attachées au service du vin transmettent une science que beaucoup de profanes font aujourd’hui semblant de posséder. Mais ne goûte pas le vin qui veut. Pourtant ne décourageons personnes : n’allons pas jusqu’à dire que le vin ne s’apprend pas ; que le néophyte sache seulement qu’il y faut beaucoup de temps.
« A mesure qu’on a plus d’esprit, écrit Pascal, on trouve qu’il y a plus d’hommes originaux. Les gens du commun ne trouvent pas de différence entre les hommes… » Les gens du commun ne trouvent pas non plus de différence entre les vins.
Qu’il y a loin d’un Médoc à un Saint Emilion ! Mais dans le Médoc et dans le Saint Emilion que de crus il faut savoir reconnaître ! Et dans chaque cru, que d’années ! Et (hélas) dans chaque année que de bouteilles différentes ! Cette inégalité entre les bouteilles d’une même année, c’est grand misère de nos grands vins. A Paris, dans les maisons qui se glorifient d’une cave magnifique, on ignore souvent ce que les Bordelais savent : qu’il ne suffit pas qu’une bouteille soit illustre par son millésime, et que leur vieillesse même exige qu’on en sacrifie plusieurs pour en trouver une parfaite. Un Bordelais et un Bourguignon sont irréconciliables. Au besoin ils se feront des concessions sur leurs vins blancs. Un Bordelais accordera qu’il a plus de plaisir à boire du Chablis que du Sauternes : un bourguignon voudra bien s’étonner du goût de fleur d’un Yquem. Moi-même qui à Malagar produit un vin blanc très doux, je goûte plus volontiers des vins d’Anjou, de Touraine, d’Alsace et de Champagne. Mais pour le rouge, Bourguignons et Bordelais défendent farouchement leur prééminence.
Comment les départager ? Une expérience n’est jamais concluante, car il est difficile de comparer des Bourgognes et des Bordeaux de même classe qui ne se nuisent pas l’un l’autre. Pour moi la supériorité de Bordeaux vient de son naturel : il est né de ma terre, de mon soleil et de l’amour attentif que lui voue ma race.
Toute ce peuple nombreux de la vigne, du cuvier et du chai, n’a pas de secret et travaille à ciel ouvert.
La première vertu du Bordeaux c’est son honnêteté : vin subtil, certes, mais sans détour ; vin difficile à comprendre et à aimer tant il est dépouillé d’artifice. En revanche, je dirais au meilleur Bourgogne ce qu’écrivait Eugénie de Guérin de Barbey d’Aurevilly : que c’est un beau palais mais où il y a un labyrinthe.
Un ami m’avait donné quelques bouteilles de Bourgogne que chez lui j’avais trouvé merveilleux. Et sans doute, je continue de l’aimer autant qu’il le mérite. Mais en le dégustant à tête reposée, j’ai cru y discerner un je-ne-sait-quoi qui ne vient ni du soleil ni de la terre, un goût de violette, d’ailleurs exquis…
Le Bordeaux est plus humain, il ne vous violente pas, il connaît notre misère, il a pitié de nous, et en même temps que nos forces faiblissent, il se dépouille. A tout âge, dans toute condition, un Bordeaux se met à portée. Au déclin, quand je me sentirai près de partir, je boirai encore de ces vins très vieux, ou usés avant l’âge, de ces vins en train de s’en aller comme moi-même, de ceux dont les Bordelais disent qu’ils ont le bonnet sur l’oreille. Je m’attendris en songeant à ce doigt de très vieux Bordeaux que mes petits enfants me permettront d’approcher de ma barbe-fleuve pareille à celle des académiciens de Jean Eiffel…Ce n’est pas que le Bordeaux ne puisse être aussi gaillard que le Bourgogne ; je pense à telle année de Clos Fourtet (Saint Emilion) Mais l’esprit de finesse d’un Haut Brion ou d’un Gruau Larose, d’un Margaux ou d’un Lafite, j’atteste qu’il ne faut l’attendre d’aucune autre terre que de celle où je reposerai.
François Mauriac.
Texte extrait du Cahier de l’Herne n° 48, écrit par François Mauriac, dirigé par Jean Touzot- Paru dans la collection Confidences L’Herne (dirigée par Stéphanie de La Rochefoucauld et Georgina Tacou )à la suite du texte « Mauriac par Mitterrand »
Cathares
Sandrine Biyi.
Hameau d’Aurelhac :
Vingt ans plus tard…
« Il pleuvait ce jour là et la pluie frappait les tuiles avec tant de force qu’elles auraient pu éclater. L’eau ruisselait dans la rue escarpée et un torrent de boue coulait à flots vers la Garonne, faisant rouler les pierres et les cailloux. Le hameau était désert, ceux qui avaient pu s’échapper avait fui le plus loin possible dans les bois.
Tout avait commencé dans la plaine, entre Tonneins et Casseneuil et puis c’était arrivé chez nous. Clermont avait disparu dans le gris du jour et la fumée. Le vent s’était levé et soufflait sur les odeurs de bois calciné et de chairs brûlées, les cris de terreur et de souffrance. Plus tard, on a écrit que les maudits étaient allés au bûcher en chantant. Comment a-t-on pu écrire ça et qui a pu le croire ?
Les cris résonnèrent longtemps à mes oreilles. Il n’y a pas de cris plus horribles. Depuis les années ont passé mais chaque nuit, je revois les visages se tordre et fondre, les corps s’enchevêtrer dans le brasier qui crépite sous les gouttes de pluie. Et puis, lentement, ils s’estompent car les maudits ne peuvent plus crier…je ressens l’infamie de ma peur à en avoir la nausée et je me précipite dehors pour respirer de l’air frais prenant soin de ne pas réveiller Prunelle qui souvent, ne dort pas.
Je ne peux plus supporter de sentir le bois mouillé après l’orage et je déteste me promener en forêt. Je ne m’émerveille plus du soleil qui brille après la pluie, je n’aime plus le feu et la chaleur bienfaisante qu’il apporte les soirs d’hiver, je hais son odeur. Je n’ai que les peaux de mes moutons pour nous couvrir et je n’allume le foyer que pour nous nourrir. Les cris sont trop douloureux, les souvenirs aussi. J’ai beau fermer les yeux et secouer la tête à me rompre le cou, je les entends toujours mes nuits de cauchemar. Toutes les nuits. Ce jour-là, j’ai perdu mon âme comme j’ai perdu ma foi en l’homme. Ce jour-là…C’était le 28 juin de l’année 1209.
La veille, ils avaient tué mon chien. Nous devions fuir avant qu’ils ne nous rattrapent. Nous devions fuir pour rester en vie et pouvoir un jour témoigner que l’église nous avait assassinés. J’ai entraîné Prunelle qui ne parlait plus, prunelle dont le regard restait perdu dans l’horreur de ce qu’elle avait vu. Je lui avais juré de ne jamais l’abandonner. Jamais. J’ai mis sa petite main dans la mienne, la serrant à la broyer pour être sûr de ne pas la perdre et nous nous sommes enfuis vers les collines bleutées, enfuis du monde et de cette odeur qui la faisait vomir sur le chemin de pierre. Trojan avait disparu depuis la veille. J’avais dix- sept ans. Je n’ai jamais pu oublier.
Aujourd’hui j’ai décidé d’écrire. Pour eux. Pour tous ceux qui sont restés là-bas. Pour que l’on sache ce qui c’était passé. (Cathares, p.9-10)
Clermont : village du Lot et Garonne actuel qui faisait partie de la seigneurie des Durefort au XIIème siècle.
L’auteure Sandrine Biyi, après avoir écrit en cinq volumes (parus aux Editions du Vent Salé), la saga de La Dame de La Sauve, soit l’histoire de Brunissende des Aygues qui se passe au XIIème siècle, avec entre autres, la construction de l’abbaye de La Sauve Majeure au cœur de l’Entre-deux-Mers (Gironde) situe son nouveau roman historique cette fois au XIIIème siècle, au cœur du Catharisme au sein d’un petit village de l’Agenais. En suivant au fil des pages, les trois héros Prunelle, Trojan et Loup, sans oublier leur fidèle compagnon à quatre pattes le chien Salvatage, le lecteur découvrira la vie des Cathares et leur foi basée sur le respect d’un christianisme premier prônant une vie toute de simplicité tout en prêchant une pureté absolue des mœurs allant ainsi à l’encontre de l’église catholique de l’époque qui va les déclarer hérétiques et à ce titre les exterminer par le feu.
Sandrine Biyi est une passionnée de l’histoire médiévale qu’elle a étudiée avec rigueur. L’écriture est pour elle l’occasion de raconter de belles histoires qu’elle situe dans cette longue période et toujours en pays d’Oc. N’est-elle pas elle-même fille du Sud- Ouest dont elle a le bel accent qu’elle ne cherche ni à corriger, ni à dissimuler et qui captive son auditoire lorsqu’elle présente ses œuvres.
Sandrine Biyi a obtenu le prix Saint Estèphe en 2012 et le prix d’Aquitaine du Lion’s club en 2012 également.
Cathares de Sandrine Biyi , 400 pages, couverture avec illustration de l’aquarelliste Hélène Lancrot, au prix de 21 euros est publié par Les Editions du Halage.
En vente en librairies ou Commandes : directement aux Editions du Halage, chemin de Halage, 33880 Cambes. Site Internet : www.editionsduhalage.com
Les Editions du Halage ont été créées en 2011, pour permettre la parution des entretiens dans lesquels Pierre Martineau décrit la création et son expérience des matchs d’improvisation théâtrale au Québec, matchs d’impro qu’il a d’ailleurs contribué à faire naître en Gironde et qui continuent à séduire un large public malgré son absence. Il reste toutefois toujours présent pour tous ceux qui l’ont connu, comme en témoigne le logo des Editions du Halage qui semble aller de l’avant en suivant un vélo, celui de Pierre !
Dès leur origine les Editions du Halage qui fonctionnent sur le mode associatif, ont souhaité développer le travail d’équipe, être un moyen de découvertes et de réflexion en utilisant les belles histoires pour cela ; respecter aussi les valeurs d’ouverture, de générosité, de critique constructive, toutes suffisamment universelles pour être reconnues et adoptées par une maison d’édition.
L’Escale du Livre à Bordeaux
Les 1-2-3 avril
Les Editions de l’Entre-deux-Mers seront présentent sur le stand L.12 et vous invitent à leur rendre visite.