La Maison lève l’ancre.

Posté le 15/01/2015 dans Autres.

J’avais déjà bu plusieurs coupes de champagne lors de l’anniversaire d’une amie. Dans sa maison, les chats forment une confrérie, ils circulent, royaux et indolents. Tout naturellement nous nous retrouvâmes entre amis de la gent féline. Occupés à les admirer, chacun y alla de son anecdote avec les siens, à décrire leurs frasques, à « parler chats » !
Je me retrouvais en étroite connivence avec une personne dithyrambique sur le sujet ! Je ne sais comment la discussion dévia sur les maisons et ce goût que nous nous découvrîmes en commun de les visiter, les écouter, dialoguer avec elles. Nos époux nous ayant rejointes, le couple nous proposa de nous présenter leur demeure, au cœur de l’Entre-deux-Mers depuis le XVIème et dont la description piquait ma curiosité.
“- J’écoute le chant des maisons !” Avais-je dit ! “Parfois elles se plaignent, parfois elles chantent!” avais-je ajouté.
En franchissant le lendemain le portail de fer forgé s’ouvrant tel les bras en arceaux d’une ballerine, obéissant au code télécommandé, actionné sur le tableau imbriqué dans le pilier de pierre juste devant la façade blanche rénovée de frais, l’allée engravée, en parvenant devant l’entrée aux huisseries refaites de neuf, je la cherche….”Où es-tu? Cachée? Partie?
Nous commençons par en faire le tour, l’arrière donne sur un vallon boisé, délicieux de parfums d’arbres, de pierres moussues, anciennes marches d’un raide escalier menant à des cachettes végétales.
Appuyée à un des murs, une volière m’intrigue, j’apprends qu’il s’agit en fait d’un enclos construit pour le plus vieux chat de la maison, une chatière permet au matou de rentrer dans une dépendance et donc de finir ses jours à l’abri de tout danger, son grand âge ne lui permettant que peu de mouvements.
-“Ce n’est pas très réussi, me dit notre hôte mais nous nous sommes attachés d’abord au confort de notre chat.”
Nous entrons dans un salon ravissant et confortablement meublé, où nous attend un substantif apéritif dinatoire. Le champagne me susurre :
“-Voila les flutes convenant à mon rang ! Des flutes qui aiment les mains qui les tiennent !
Un cristal biseauté, cubique, épais, présent, conséquent, pour un breuvage inconséquent, mais si délectable !
Les mets sont délicats, savoureux, les êtres à l’unisson. La discussion prend des sujets profonds, vrais sans ambages.
Enfin ça y est, nous partons à la découverte de la demeure.
-Vous savez, il y a des pièces du XVIème !” Je frissonne d’excitation ! Elle doit être dans cette partie la plus ancienne, l’âme du lieu que j’appelle de tous mes sens. Elle doit être rencognée dans des salles vétustes aux boiseries un peu déteintes. Je l’espère en tout cas car pour l’instant je ne l’entends pas, ce que j’entends c’est la personnalité des occupants, si charmants et cultivés, au parler, aux gestes élégants. Devant eux les murs s’effacent. Les êtres, parfois, rarement, possèdent une présence qui supplante le chant secret de leurs d’abris. Alors s’éloigne cette quête, cette écoute, de la grotte, de la cachette, du refuge. Les habitants de cette demeure qui me boude ont ce talent.
Mais tout d’abord, nous abordons dans une vaste salle dédiée aux tapis, ceux-ci, plaqués aux murs ou dorlotant les sols sont précieux, superbes, venus de Turquie, de Chine ou d’Iran. Ils côtoient des masques vénitiens ou africains. Une petite porte mène à une salle de bains aux allures mauresques, mi hammam, mi mosquée et à une cuisine jouxtant une des parties les plus anciennes, le bas d’une tour devenue cellier. Sur la table de la cuisine, je remarque sous une plaque de verre une collection de photos de chats, princes des lieux, brisant les conventions.
Repassant par la salle d’entrée, nous nous dirigeons vers la partie oh combien convoitée du XVIème. Elle n’a pas échappé au désir de perfection de ses maîtres du moment. Les plafonds, les planchers, ont tous été refaits ; tout est impeccable, et encore des objets magnifiques, venus des quatre coins du monde, ponctuent notre visite. Nous passons devant une porte très basse,
“-C’est la cave, rien d’intéressant !
Je proteste, j’insiste
“-Ah mais si, c’est très intéressant les caves, souvent l’histoire des maisons y est imprégnée !
“Oui, mais bon c’est sa seule beauté!”
“Enfin te voila, maison vigneronne, à l’haleine de vendanges ! Je repère ici tes saisons sans surprises, déclinées au fil des jours écoulés à un rythme égal. Tu n’y arrives pas n’est-ce-pas ? Tu ne peux suivre tes habitants, tu es dépassée ! On ne t’avait pas préparée à cela, au voyage, à l’aventure, à la fantaisie. Tu te retrouves naviguant sans boussole, sans mission terrienne qui est ton seul savoir. »
Appuyant ma main au mur je lui souffle en pensée :
“-Accepte donc cela comme un bienfait, tu peux y arriver ! Fais leur confiance, nulle mauvaise intention à ton égard, petite bourgeoise girondine, vois-donc, ils t’emmènent au bal !”
Quittant ce couple accueillant, je leur glisse :
“A cette maison, vous avez fait prendre le large, gardez bien le lien avec elle, elle s’est cachée là ….dans votre cave ….”
Dans les yeux mordorés d’un des chats de la maison, je lis :
“Ne t’inquiète pas ! Moi je veille sur elle.”
Lysiane Rolland


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