« Dans chaque vieux il y a un jeune qui sommeille et qui se demande ce qui lui arrive!” Croucho Max.
Nos Vieux !
Ils viennent de se rappeler à nous avec force et une certaine inconvenance. Pensez donc, c’était l’été, le temps sacré des vacances, celui où la France se relâche.
On les avait oubliés depuis longtemps, nos vieux. Ils avaient même disparus de notre vocabulaire. Voilà belle lurette que le mot « vieux » a été évacué du langage d’une société qui ne glorifie que le jeune, le poli, le brillant, le clinquant, l’éphémère, le jetable !
Plus de vieux mais des séniors, des 3è, 4è âge, des anciens autant d’abstractions sémantiques, publicitaires et de marchés porteurs pour les hommes de marketing en tous genres.
Disparus de notre espace visuel le vieillard chenu, la petite vieille menue. Qu’auraient-ils à faire dans une société qui leur a supprimé le droit de trottiner dans leur quartier, d’aller chercher leur baguette de pain ou leur journal au magasin du coin, disparu lui aussi le droit de s’asseoir sur un banc de jardin public pour jouir du plaisir simple de regarder jouer les enfants ou de s’entendre dire « bonjour » par un promeneur.
La presse spécialisée dite des seniors fait son miel avec un lectorat de pré- retraités et jeune retraités qui croient se reconnaître(ou font semblant) dans ces miroirs de papier glacé où tout le monde est beau en permanence : de la tête aux cheveux savamment argentés, au visage bronzé, au corps encore musclé et toujours actif ! Actifs ? Ils le sont frénétiquement : à pied, à bicyclette, en randonnées, en voyages, en jardinage, en bricolage, en cuisine. Ils sont représentés en couple béat de félicité, en général entourés de quelques frimousses blondes et de leurs enfants qui ne paraissent pas être du genre à pointer à Pôle emploi !
Perversion absolue de notre société qui d’une pirouette sait se débarrasser de ses « vieux actifs » pour les faire basculer dans un monde illusoire, celui des « seniors » les valorisant du même coup. De « plus bon à rien » ils entrent de plain-pied dans un vaste et juteux marché, celui de consommateurs au pouvoir d’achat lucratif pour les sociétés de services en tous genres qui vont s’employer à flatter leur ego pour les plumer au mieux !
Pourtant cet âge d’or n’a qu’un temps. Le vieillissement -le vrai- finit toujours par gagner. Le Grand Charles affirmait : « Vieillir est un naufrage ! ». Le fringant senior a alors tôt fait de laisser la place au vieillard, de plus en plus dépendant avec en corollaire la déchéance physique, intellectuelle, la perte d’autonomie. Car vieillir est une fuite au goute à goutte qui ne s’arrêtera qu’avec le mot FIN. Insidieusement la mémoire s’érode, l’écoute devient ouate, la vision opaque, la parole éraillée, les yeux larmoient, la bouche laisse échapper la salive, l’incontinence s’annonce, et les maladies irréversibles s’installent. Elles portent souvent de grands noms : Alzheimer, Parkinson . … accompagnées de bien d’autres. Atteintes sournoises, chroniques avec en corollaire la solitude, l’enfermement moral, la désocialisation.
Lorsque les enfants (qui souvent approchent les 70 ans) n’en peuvent plus de colmater nuit et jour les brèches de leurs vieux, ils cherchent appui auprès de la société qui les enferment dans des EPHAD publics ou plus souvent privés ces derniers souvent financés par des fonds de pensions américains dont le bénéfice des actions améliorent les retraites des vieux situés à l’autre bout du monde !
En cet été caniculaire, ils ont été près de 15.000 à tirer leur révérence et à nous faire souvenir qu’ils avaient eu une existence quelque part en France !
On était alors en 2003… (Cet édito est paru dans le n°59 des Cahiers de l’Entre deux-Mers de nov.décembre 2003)
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Il y a 18 ans , cet épisode caniculaire fut une révélation : celle de la fragilité extrême de cette population qui se rappelait à notre monde précisément parce que jour après jour quelqu’un mourrait en raison du manque d’équipements adaptés dans les locaux des EHPAD, non conçus pour subir des températures dépassant 40°. Ce fut donc une première prise de conscience au sein de l’ensemble des organismes publics chargés de préserver la santé, le bien être de tous, y compris ceux de ces “Vieux” relégués à la marge de la “vraie vie”!
18 ans plus tard, on avait bien naturellement oublié cette fâcheuse période, lorsqu’au début du printemps 2020 COVID 19 s’est invité. Il a fait d’abord une entrée discrète, puis de plus en plus envahissante dans le monde des Hommes, jusqu’à déclencher une véritable pandémie.Cette dernière bousculant tous les codes de bonne conduite de notre universalité : politiques, économiques, scientifiques, médicales…semant partout le désarroi, la peur avec la mort en ombre portée. En France, comme ailleurs dans le monde, les préconisations pour essayer d’enrayer la propagation du virus furent : les mesures barrières, le port du masque, la désinfection des mains et un premier confinement strict avec fermeture de tout ce que “la puissance publique” ne considérait pas comme essentiel. Quant aux “Vieux” déjà enfermés dans leurs EHPAD, ils furent cloîtrés entre les quatre murs de leur chambre, avec comme perspective d’être assis dans leur fauteuil (roulant ou pas) en remâchant des pensées tristes qui s’enlisaient dans des jours sans fin.
Puis il y eut ce relâchement du confinement; un couvre-feu à 18 heures prenant le relais et la vie des Français a repris vaille que vaille, sauf pour les pensionnaires des EHPAD que l’on avait quand même sortis de leur claustration mais qui restaient toujours privés de visites , de sorties à l’extérieur dans leurs familles! Dans le même temps (et depuis le début de l’épidémie) les nouvelles quotidiennes relayées par l’ensemble des media continuaient de tourner en boucle ressemblant à autant de bulletins médicaux voire mortifères, annonçant le nombre de contaminés, d’hospitalisés, de réanimés et hélas de ceux qui s’en été partis au “Pays des étoiles ” seuls, sans personne familière ou aimée pour leur tenir la main.
L’humanité entière attendait un vaccin. Jour après jour, nous étions tenus au courant des performances des différents centres de recherches :U S A-Chine-Russie-Angleterre, lancés dans une course contre la montre.( Pour un peu on aurait engagé des paris, mais le cœur n’y était pas!)- Bref, le temps pressait et l’on escomptait que contrairement aux habitudes, il y aurait un ou plusieurs vaccins mis au point dans un temps record, une année voire moins, alors qu’auparavant il fallait compter sur deux ans et même davantage . Effectivement, fin 2020 les Américains annonçaient la naissance de leur vaccin, alors que les Chinois et les Russes avaient déjà commencé la vaccination de leurs populations avec leurs propres vaccins, tout comme d’ailleurs les Anglais qui exultaient , une sorte de bras d’honneur envers l’Europe! Cette Europe qui attendait avec impatience la livraison des commandes qu’elle avait faites. En France , il était convenu que les premiers vaccinés seraient les patients des EHPAD et le personnel de santé- Ce qui fut fait.
A ce jour il apparait que l’ensemble des pensionnaires des EHPAD, volontaires pour être vaccinés , l’aient été, ce qui ne veut pas dire pour autant que tous ces pensionnaires aient eu l’autorisation de sortir, ou de recevoir des visites. Quant aux “Vieux” qui ont encore un peu bon pied, bon œil et qui font toujours partie du monde “des vrais vivants” ils sont contraints de s’ inscrire sur des listes d’attentes, espérant être un jour ou l’autre vaccinés, car pour l’instant les vaccins qui devraient leur être destinés en tant que prioritaires, arrivent au compte gouttes. Du coup les recommandations infantilisantes pleuvent de la part du gouvernement, rappelant leur fragilité, les incitant à sortir le moins possible, à respecter les mesures barrière, etc, etc…toutes choses par ailleurs qu’ils font naturellement car les “Vieux” justement , parce qu’ils le sont, ont en général assez de bon sens pour savoir que s’ils veulent encore profiter , au mieux, de ce qui leur reste à vivre , savent qu’ il leur est nécessaire de continuer à prendre les précautions indispensables tant qu’ils ne sont pas vaccinés!
Colette Lièvre.
Nota: cet article a été écrit début mars…depuis le rythme des vaccinations s’est accéléré, l’étau des contraintes est en train de se desserrer quand bien même les mesures “barrière” restent d’actualité… Il semblerait bien que petit à petit on revienne au monde d’avant …il nous a tellement manqué! Quand au monde d’après? on verra plus tard…peut-être!