Le Marais d’Ambarès…projet d’assèchement par Brémontier et Partarrieu (1796)
Le 2 février ce sera, une fois de plus, la Journée mondiale des zones humides. Ah ! Ces zones humides qui font l’objet, au moins une fois l’an de toutes les attentions. On se souvient alors combien elles sont fragiles, utiles et menacées par tous les dangers : urbanisation, infrastructures, carrières, pesticides, auxquels il faut ajouter tous les changements globaux, climatiques et autres dus aux actions entropiques, etc…les grands maux de notre monde moderne. Mais au fait, c’est quoi les zones humides pour la majorité des gens ?
Marais, tourbières, prairies humides, lagunes, mangroves, entre terre et eau, les milieux humides présentent de multiples facettes sur notre planète et se caractérisent par une biodiversité exceptionnelle. Les zones humides abritent de nombreuses espèces végétales et animales, et par leurs différentes fonctions, jouent un rôle primordial dans la régulation de la ressource en eau, l’épuration et la prévention des crues. Depuis bientôt 40 ans, la France s’est engagée à préserver les zones humides de son territoire, en signant la convention internationale de Ramsar.
Cette préservation représente des enjeux environnementaux, économiques et sociaux importants.
En France, ces territoires ont depuis toujours fait l’objet de préoccupations voire de soucis pour les populations qui vivent à proximité, qui ont souvent voulu contraindre leur nature en les aménageant, s’imaginant qu’avec la technique elles pourraient les mettre au pas de l’homme., alors que beaucoup de problèmes seraient résolus simplement avec une attention et un entretien réguliers des canaux, jalles… Déjà en 1796…
Projet de dessèchement par Brémontier et Partarrieu du Marais d’Ambarès en 1796.
Nicolas Brémontier (1738-1809) est principalement connu pour avoir, par ses travaux, initié le procédé de fixation des dunes littorales du golfe de Gascogne. Avec Jules Chambrelent (18-1893) qui, ultérieurement a établi un plan de drainage et de boisement, et quelques précurseurs ayant préalablement exploré cette voie, on le considère d’être aux origines de la vaste forêt cultivée landaise.
A partir de 1762, sous-ingénieur issu de l’école des Ponts et Chaussées fondée en 1747 par l’intendant Trudaine, Brémontier connut des affectations successives à Toulon, Marseille, Périgueux. En 1766 Il était nommé à Bordeaux où il déploya une intense activité ponctuée de missions en Bretagne[1], Caen et Cherbourg. Puis en 1784, il était nommé ingénieur en chef de la Généralité de Guyenne où son action allait devenir très importante. Routes, ponts, dessèchement des marais, tout allait dépendre de lui comme dépendraient les projets d’amélioration du port de Bordeaux, du Verdon, et, plus tard, celui de Saint-Jean de Luz[2]. Après 1789, le Directoire du Département de la Gironde ayant réorganisé le service sur la base d’une unité départementale, il fut, en 1791, maintenu avec le titre d’ingénieur en chef assisté de trois ingénieurs[3].Ensuite, avec prudence, Brémontier traversa la délicate période de la Terreur puis se retrouva en 1795 sous le contrôle de Pierre Partarrieu, Commissaire du Directoire près le Département.
Dans la logique d’une reprise du projet de dessèchement des marais de Montferrand ordonné par Isabeau en 1794 puis demeuré sans suite, le 29 Fructidor An IV (15 septembre 1796) tous deux signaient un rapport de 15 pages, explicite mais radical en ce qui concerne les propositions avancées.[4]
Ce document présente d’une part un état des lieux analysant au passage le différend « entre les dessécheurs, ou concessionnaires, du Marais d’Ambarès et les habitants de ce canton », et d’autre part, avec commentaires, les propositions utiles « aux divers moyens à employer pour opérer le dessèchement complet de ces marais ».
En guise de préambule est retranscrite une supplique émanant des administrateurs du canton et dont les quatre commissaires, nommés à cet effet, évoquent « les fréquentes inondations et les eaux stagnantes qui, faute d’écoulement, n’ont aucun parti possible, ni culture, ni pacage, que les eaux se dissipent par évaporation, empestent le pays circonvoisin et communiquent la mort aux hommes et aux bestiaux » puis ils expriment également les causes :
- .les digues de Dordogne et Garonne sont « rompues ou trop peu élevées »
- les portes ou écluses à clapets sont pour la plupart détruites ou en mauvais état ainsi que fossés et canaux.
- la Grande jalle ou canal de dessèchement est trop étroite, obstruée, envasée, la grande écluse exige quelques réparations.
- les Dessècheurs ont laissé combler, par le dépôt et faute de soins, un canal appelé petite jalle nécessaire au dessèchement surtout du Grand Marais , dit Réau d’Allenet.
- le mauvais état des canaux ou fossés de ceinture qui ont tous besoin de récurement empêche les eaux de se rendre dans le grand chenal
- la formation d’une brèche au droit du Petit Marais y laisse pénétrer les eaux venant du côté de Cavernes, des Valentons et de la Grave d’Ambarès.
- Les eaux du Grand Marais n’ont d’autres moyens d’écoulement qu’une petite ouverture à leur point de communication avec la Jalle des Dessècheurs, cette ouverture demanderait à être élargie et approfondie. Il est alors nécessaire e construire un pont de largeur convenable pour que ces eaux puissent passer convenablement dessous…
Préalablement à l’exposé du résultat de ses visites sur site, Brémontier signale que « …l’on comprend sous le nom de Marais d’Ambarès tous les terrains inondés qui se trouvent en Ambarès ou dans le Montferrand », ajoutant que « l’on se sert indifféremment dans toutes les pièces relatives à cette affaire, de chacune de ces dénominations pour en désigner la totalité. Nous avons cru à cet égard, et pour l’intelligence de ce rapport, devoir joindre ici un plan figuré des lieux et sur lequel nous avons divisé cette grande étendue en parties distinctes. »
…
Suit alors le compte rendu d’inspection reprenant point par point les éléments évoqués par les commissaires, confirmant ou complétant ceux-ci au besoin. Ainsi, l’état d’entretien des « canaux et fossés de ceinture » répétitivement signalé revient comme un leit- motiv avec l’expression… « Obstrués par des reausaux ou des glayeuls » cet encombrement semble d’ailleurs identifié comme responsable principal du mauvais écoulement du Grand marais dans la jalle de dessèchement.
Egalement abordée la question récurrente de la “coupure du chemin de la Vie, qui a pu former autrefois une espèce de digue » maintenant franchie “par les eaux ou autres venant du midy ou du côté de Cavernes, Valentons et La Grave d’Ambarès…qui pénètrent en abondance ce qui diminue considérablement le bon effet qu’on doit attendre des travaux des Dessècheurs et les rend insuffisants”.
Enfin et c’est là, un aspect jamais abordé jusqu’ici, la liberté prise par les utilisateurs communaux, voisins ou non, de ménager des passages à leur convenance, « en remplissant les fossés ou canaux de ceinture avec des bourrées ou fascines » actes considérés par les auteurs du rapport comme « vicieux, intolérables, dangereux pour les bestiaux et surtout très préjudiciables au dessèchement parce qu’ils empêchent la circulation des eaux »
Alors viennent les remèdes proposés :
- Etablir la partie supérieure des digues un pied au-dessus des plus hautes eaux connues des deux rivières leurs talus renforcés et dressés sous un angle d’au moins 50° pour résister au choc des eaux.
- Rétablir tous les ponts à vannes ou à clapets construits sous ces digues ainsi que leurs canaux qui y aboutissent et les entretenir.
- dégager les abords de la Grande écluse de tous les dépôts dont elle est encombrée, la réparer et curer à vieux bords et vieille sole, le principal canal de dessèchement.
- rétablir la petite jalle.
- curer les canaux et fossés de ceinture à vieux bords et vieille sole.
- remplir ou fermer la brèche sur le chemin de la Vie. Ne peut se faire cependant sans donner aux eaux des Valentons et de la grave qui s’y rendent un autre moyen d’écoulement autrement elles formeraient un autre marais entre le chemin et le bord de la Dordogne. Pratiquer un autre canal directement vers la Dordogne.
- donner au canal AA une profondeur convenable et largeur de 5 ou 6 pieds. Il n’est pas moins essentiel de construire sur les fossés de ceinture du grand marais les divers ponts demandés par l’administration du canton d’Ambarès, soit à son entrée au couchant, soir encore au point BB à son extrémité vers le communal d’Ambès.
L’essentiel de ces recommandations équivalait tout simplement à établir la mise en application d’évidentes mesures d’entretien sans doute trop longtemps négligées. Par contre il semble qu’avec le complément de programme énoncé à la suite il en allait tout autrement :
Propositions d’ouvrages supplémentaires :
- construction d’une digue .
- canal de ceinture le long de cette digue apte à recevoir les eaux de dessèchement dirigées à la Dordogne.
- établissement de deux écluses sur les extrémités de ce canal.les terres habituellement inondées, restituées à la culture.
Il s’agissait ni plus ni moins de transformer en polder la moitié orientale du site, méthode bien connue à l’époque et que Belleyme avait proposée en 1778 pour le nord de Bordeaux avec « à perte de vue un canal de ceinture…qui servirait à dessécher un vaste terrain qui borde les Chartons et à dégager la rivière »[5]Moins grandiose le projet des Marais de Montferrand et alentours présentait cependant quelques faiblesse. Brémontier en avait d’ailleurs conscience signalant que l’emplacement de la digue était sur le plan « indiqué à peu près par une ligne ponctuée en rouge » Il ajoutait ensuite que pour le déterminer « positivement, il faudrait que nous eussions eu un plan et des nivellements exacts ou une connaissance plus particulière des lieux que les circonstances ou le temps ne nous ont par permis de prendre ».
Le 4 prairial An V (23 mai 1797) un arrêté d’inconséquence devait mettre un terme à toute étude et reléguer le projet au domaine des archives !
Pierre Bardou –Collection des Fiches Patrimoine des Marais de Montferrand. ainsi que la carte des marais.
[1] Brémontier possédait alors une maison à Cambes qui porte toujours son nom.
[2] Nattes J.Marcel .Nicolas Brémontier(1738-1809) Revue historique de Bordeaux et du département de la Gironde, 1986-1987,t,XXXII,p.33à41 – Voir également Nattes J.Marcel, Brémontier dans la Révolution. Cambes, Les Editions de l’Entre-deux-Mers, p.25.2005.
[3] Lhéritier Michel, Revue Historique de Bordeaux et du Département de la Gironde, 1917,t.X.p.22
[4] Archives départementales de la Gironde, SP 198.
[5] Voir note 1- Nattes J.Marcel.p.34