A Cadillac-sur-Garonne, le Paradis existe…

Posté le 15/01/2020 dans Les Gens d’ici.

 

…nous l’avons rencontré. Nous allons vous dire comment, mais auparavant il faut remonter le temps !

Se pencher sur les archives et là, en l’occurrence, sur un article paru dans un ouvrage en 1995, dont le titre est « Ecrans*magiques » édité par le festin (collection Mémoire deBordeaux/Conseil Général de la Gironde)- article pages 166/167 –intitulé : « Du Family-Ciné-Théâtre au Lux, à Cadillac ». Auteur Roland Castelnau-préface Michel Suffran.

I

« La mémoire est une des plus heureuses facultés que le créateur nous ait données. C’est par elle que l’homme unit le passé au présent, qu’il accumule des connaissances et en fait une riche provision pour l’avenir. Hélas, ce don précieux s’atténue au fil des ans et parfois finit par disparaître progressivement à l’automne de la vie… »

Hervé Dorian, ancien officier de marine, à qui nous devons cette sage réflexion est le type même de « l’historien » local, collectionneur passionné. Quand -sur notre demande- il a questionné les anciens Cadillacais sur l’histoire de leur cinéma, on lui a spontanément répondu : « Ah ! Le cinéma des Allées… » Sans être certain que ce soit le premier établissement de ce genre, c’est en tout cas celui qui semble avoir marqué la mémoire des personnes âgées. D’après une vieille carte postale on peut se faire une idée assez précise de ce « Family Ciné-Théâtre », situé sur un lieu de promenade bien connu appelé «  Les Allées », entre les remparts et la route nationale.

Cette  bizarre construction en forme de pagode était toute en longueur. Le soubassement était surmonté d’une longue balustrade. La toiture ornée d’une frise métallique, était soutenue par des piliers en pierre, tandis que de grandes bâches, décorées de motifs floraux, tentaient, les jours de projection, de faire l’obscurité. Le sol en terre battue fut cimenté par la suite. Il paraît vraisemblable que ce vénérable « Établissement théâtral et cinématographique », comme on disait alors, commença ses premières projections juste avant la Grande Guerre, vers 1912.

Les anciens se souviennent encore de cette époque : «  L’été, les séances débutaient à 15 heures, l’hiver à 14h30. Il y avait trois catégories de places (comme dans le chemin de fer). Les tarifs s’échelonnaient de 15 à 20 sous. Si on allait au cinéma, c’était toujours accompagné de ses parents. La séance commençait par un  documentaire, puis les actualités, des intermèdes sur scène, enfin le film, généralement comique et à épisodes. Au cours du premier conflit mondial, les actualités de la guerre concrétisaient, en quelque sorte, les communiqués officiels des armées, placardés chaque soir sur un des piliers de la halle. L’hiver, la salle n’était pas chauffée. Il y faisait très froid mais cela n’empêchait nullement de s’y rendre. Il arrivait parfois que la Garonne toute proche sortit de son lit : les Allées étant alors inondées, on accédait au cinéma par des planches posées sur de grosses pierres. Parfois il était nécessaire de procéder à l’évacuation de la salle compte tenu de la rapidité de la montée des eaux du fleuve…Mais tout cela se passait toujours dans la bonne humeur.”

Aux environs de 1936, le cinéma des Allées, dirigé par M. Dos Santos, exploitant consciencieux, dut subir quelques nécessaires améliorations.  Des loges de quatre à cinq personnes furent aménagées, certaines étaient réservées aux personnalités, d’autres mises à la disposition de personnes souhaitant bénéficier d’une certaine intimité. !

L’annonce des programmes se faisait par des affiches réalisées à la main par un peintre local, ou par le roulement de tambour du garde-champêtre. Lorsque ce dernier ne se souvenait plus du titre du film, il annonçait invariablement « un film passionnant » ! Sur chaque billet d’entrée, une taxe de 6% était prélevée pour « droit des pauvres sur les spectacles » et reversée au bureau de bienfaisance de la commune. Après la libération, les premiers films Agfacolor attirèrent beaucoup de monde et toute la Benauge se déplaçait. Nous supposons que le cinéma des Allées a cessé toute exploitation aux environs de 1948.

Cadillac avait à cette époque un autre cinéma, Le Florida, situé rue du Cros, à quelques encablures du cinéma des Allées. C’est dire que la concurrence était sévère. Certains se souviennent des invectives échangées entre les deux exploitants.  De part et d’autre, à tout moment, on s’espionnait pour savoir qui fréquentait tel ou tel cinéma. Le Florida, pour des raisons de vétusté et de non-conformité aux règles de sécurité fut mis en sommeil durant de longues années, et cessa définitivement ses représentations à la fin des années soixante-dix. C’est aujourd’hui une discothèque.

Mais Cadillac se devait de posséder un cinéma moderne pour égayer ses soirées et de préférence en un lieu où la Garonne, même en furie, ne saurait l’atteindre. Ce fut donc sur la grande  place de la Libération que celui-ci fut édifié. Dans ce qui fut jadis un vaste entrepôt et un bel immeuble d’habitation, le Lux offrait une salle de 380 places (245 au parterre et 135 au balcon.). Dos Santos en fut le premier propriétaire, le musicien Michel Cursan lui succéda. Enfin ; André Jorel, ancien tourneur, acheta cet établissement au chef d’orchestre en 1980, pour ne le conserver que quelques années seulement. En 1989, pour palier à des difficultés d’exploitation, la municipalité racheta le fonds de commerce et confia l’installation de la cabine technique et la programmation à Paul Usureau de Monségur.

Aujourd’hui la Syndicat d’initiative par l’intermédiaire de Jean-Paul Lacroix, à la fois président de cet organisme et adjoint au maire, gère la salle qui est mise également à la disposition de différentes associations. Le rayonnement du Lux s’étend surtout sur les cantons de Cadillac et de Targon.

Mais il faut bien reconnaitre que cette salle trop grande apparaît quelque peu abandonnée à elle même. Une seule séance par semaine, le samedi soir, regroupe au mieux une cinquantaine de personnes. Toute salle de cinéma doit régulièrement être rénovée, modernisée pour inciter les gens à se déplacer. Il faudrait, semble-t’il peu de choses pour que ce cinéma, bien placé redevienne à nouveau attractif.

Si, par malheur, le Lux fermait ses portes, ce serait, n’en doutons pas,  une levée générale de boucliers…par ceux là même qui le délaissent aujourd’hui ! (Roland Castelnau).

Repères :

Ce jour là à Cadillac, on tourne : Le mercredi 4 mars, le journal La Nouvelle République titre : Cadillac a vu naitre un roman noir « Compagnes de la nuit » Christian Fourcade 8 ans et Françoise Arnoul font partie des dix vedettes du film. « …Les Compagnes de la Nuit. Pour la première fois à l’écran, le véritable, tragique, troublant dossier secret de la prostitution. Un chef d’œuvre du cinéma français. ATTENTION, dès le début du film vous verrez les scènes tournées à Cadillac, Place de la Libération, Place de la République, Place du Maréchal de Lattre de Tassigny, Pont de Béguey » Extrait du programme du cinéma Lux.

II

Naissance du Paradis.

En 1995 le cinéma Lux peut être considéré en état de mort clinique. Monsieur Usureau  l’exploitant, vieillissant, paraît « usé ». La municipalité envisage  de laisser tomber  et de donner une nouvelle affectation au bâtiment. Pourquoi pas , un projet immobilier, une banque, un super marché, c’était très tendance à l’époque ? Bref, plus question de lieu culturel, et puis le cinéma, pensez donc…il y a déjà la télé !

On en était là quand il est arrivé tel le chevalier blanc : Robert Ruddell, ingénieur informaticien, qu’à priori rien ne destinait à devenir manager de cinéma. C’était en 1996, il rentrait d’une affectation professionnelle de plusieurs années aux États Unis. Heureux qui « comme Ulysse a fait un long voyage et s’en revint au village plein d’usages et raison » il s’est lancé un défi  celui de faire revivre ce cinéma vaille que vaille, coûte que coûte. Ne supportant pas de voir disparaître ce bien culturel qui lui paraissait si important pour la vie locale. C’est souvent comme cela que commence les belles histoires grâce à un homme, (ou une femme) providentiel,  passionné, qui se trouve là, où il faut, au bon moment.

Il n’est que de l’entendre raconter la genèse de cette histoire : « en 1996, cet été là, je me suis lancé ce défi de faire revivre ce cinéma, car il m’était pénible de regarder se dilapider un bien culturel si important, et puis honnêtement « le fruit était mûr à cueillir »Monsieur Usureau avait de plus en plus de mal à assurer la manutention des grandes bobines. Donc, il avait complètement abandonné la salle de projection en haut du bâtiment et construit une cabine de fortune de 3m2 au rez-de-chaussée, dans la salle de cinéma, parmi les spectateurs ! Vous imaginez la chaleur et le bruit d’un très vieux projecteur !

Je ne me rappelle plus très bien la teneur de mes discussions avec Monsieur Usureau, mais c’est sans difficulté qu’il accepta d’apposer sa signature au bas des formulaires du CNC pour me transférer le titre d’exploitant. Parallèlement, sur les conseils de Jean-Marc Rigot et de ses amis qui s’occupaient du cinéma Max Linder de Créon, il a été décidé de créer une association… »

Et c’est ainsi qu’accompagné par huit bénévoles (un médecin, un psychologue, deux chercheurs, une pharmacienne, une institutrice, une acheteuse et une femme au foyer,) fut constituée à Cadillac, le 2 octobre 1998, une association dénommée « LE PARADIS » avec comme objectif statutaire « la relance de l’activité cinématographique du cinéma Lux »

Quant à la dénomination « Le Paradis » de l’association elle fait référence à celle  donnée par le public au balcon d’une salle de cinéma. Ces nouveaux anges gardiens du Lux « …étaient, bien évidemment hautement qualifiés pour devenir exploitants de cinéma ! » mais tous avaient la foi du charbonnier ! Il n’est que d’écouter le récit de Robert, pour en être convaincu : « Pendant six mois nous avons réparé les fauteuils cassés, appris à faire fonctionner un projecteur 35mm, une pièce de musée que nous avait léguée l’ancien exploitant. Et, sous le regard éberlué des professionnels ,dans la foulée nous planifions « la séance de réouverture » en mars 1999.

Bien heureusement, la fermeture administrative du Lux n’avait jamais été prononcée, sinon la Commission de Sécurité n’aurait JAMAIS autorisé son ouverture. Imaginez les appliques art-déco accrochées aux tentures murales d’origine, alimentées par des fils à moitié dénudés avec des dominos de fortune ! Un seul WC (pour 325 fauteuils) situé sous l’écran au sous-sol, qui malgré plusieurs couches de chaux avait des remugles de fosse septique !

 Le plus dur était fait, le 6 mars 1999.Nous présentions « Astérix et Obélix » devant une salle comble, avec une quinzaine de bénévoles actifs. Dorénavant nous avions l’intention de proposer des séances régulières les jeudis, vendredis, samedis et dimanches soirs. Restait  le souci de professionnaliser l’affaire, ce qui fut fait, en septembre 1999, avec l’embauche de Laurie Araguas en tant que directrice du cinéma… »

Ensuite…et pendant une quinzaine d’années il y a eu une période blanche pour Robert Ruddell qui avait quitté l’association. Pendant ces années la mairie de Cadillac a racheté le bâtiment On est alors en 2003. Puis la grande salle qui menaçait de s’effondrer a été totalement rénovée ainsi que le hall d’entrée en 2008. Le balcon et ses 150 fauteuils ont été supprimés mais la salle du Lux, modernisée, confortable, a ainsi pu accueillir, en 2009, plus de 20.000 personnes soit plus du double  de l’année précédente.

Il faut dire aussi que depuis 2001, le directeur Florent Lemonnier avait su développer une politique d’animation ambitieuse basée sur un savant mélange de films « Art & essai » et « Grand public » mais aussi en s’appuyant souvent sur un réseau de partenaires : associations, collectifs, institutions, afin de créer des synergies autour des évènements culturels,  se faire la chambre d’écho d’initiatives locales et s’inscrire  au cœur du territoire de l’Entre-deux-Mers.

Et le public a suivi. La fréquentation de la salle plafonnant régulièrement autour de 30000 spectateurs annuellement.

L’expérience antérieure aidant il n’était pas question de s’endormir sur ces résultats probants, d’autant plus qu’en 2011 la projection 100% numérique entre en scène dans le monde de la cinématographie ! Et s’il est vrai que celle-ci fait disparaître les tâches de manutention elle engendre également des coûts qui explosent sans compter les pressions commerciales sur tous les petits cinémas à mono-écran qui s’accentuent. Selon Robert Ruddell, qui avait repris depuis quelques années du service pour cette noble cause… « Tout cela nous a contraints à accélérer notre réflexion pour la mise en œuvre d’une seconde salle. Cette dernière opérationnelle en octobre 2018 a été inaugurée par l’acteur vedette Vincent Lindon le 15 février 1919.Un an plus tard, le pari paraît réussi, car chaque semaine, nous proposons à nos différents publics une cinquantaine de séances de 7 ou 8 films et nous pensons pouvoir annoncer prochainement que la fréquentation totale pour l’année 2019 aura été d’environ 45.000 spectateurs !

Car aujourd’hui c’est une grande variété dans la programmation : 75% Art& Essai ; des soirées débats sur des sujets d’actualité, culturels, environ deux à trois chaque mois ; programme d’opéra & ballet : 5 séances de très grande qualité de novembre à avril ; « Ciné-ma Différence » séances ouvertes à tous, mais adaptées pour des personnes en situation de handicap, notamment psychique ; des séances « ciné-senior », « ciné-mémoire », “Clin d’œil “,  des séances pour scolaires et des ciné-goûters pour les tout-petits.

Pour que tout cela tourne rond, il y a actuellement un directeur et une assistante directrice tous les deux à temps complet, plus un projectionniste à temps partiel. L’association compte environ 80 adhérents, dont une trentaine de bénévoles actifs voire très actifs comme la quinzaine qui aide les salariés avec la projection, qui tiennent la caisse, qui assurent l’accueil du public. C’est ça notre différence ».

III

Et demain ? Est-ce le clap de la fin ? Toute l’équipe (les 3 salariés et les 80 adhérents de l’association) pense que non car le prochain grand projet est déjà en discussion. Il s’agit d’envisager la création d’un espace de convivialité dans un  hall d’entrée entièrement remanié, équipé d’un bar servant : jus de fruits (bio naturellement) sandwiches (aux produits locaux bien sûr) cafés, thés etc (équitables comme il se doit)…Un lieu ouvert pour flâner, discuter avant et après le film… en quelque sorte Le Paradis ! »

 Remerciements : à Pierre Larquey, qui nous a permis d’accéder à ses archives- à Robert Ruddell pour sa disponibilité, et à tous ceux et celles qui sont les « anges gardiens » de ce petit « Paradis » à Cadillac-sur-Garonne. – Crédit photo: association Le Paradis. et CE2M

Colette Lièvre.

 

 

 

 

 

 

 

 


One Reply to “A Cadillac-sur-Garonne, le Paradis existe…”

  1. Il est absolument indispensable de défendre et soutenir les cinémas des petites villes comme Cadillac. “J’adore” le cinéma Le Lux qui nous offre une très bonne programmation, sous-titrée au besoin. Nous vivons avec mon mari entre Bordeaux et Cadillac, si un même film est présenté à Bordeaux et au Lux, nous n’hésitons pas à venir au Lux, car prendre tranquillement la petite route, se garer en face du cinéma, ne pas faire la queue, s’enfoncer dans le fauteuil et le film de notre choix, et bientôt prendre un verre sur place… c’est le luxe !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *