Ce jour là les habitants de Tabanac, Langoiran-Le Tourne, Paillet et Lestiac ont cru que le ciel leur tombait sur la tête. Une pluie diluvienne s’est abattue sur ces communes avec une violence rare. En deux heures il est tombé autant de précipitation que pendant une année ! L’eau a dévalé les pentes des coteaux, grossi les « estey » dont l’Artolie (affluent de la rive droite de la Garonne) à Paillet, les transformant en véritables torrents emportant tout sur leur passage : arbres, boue argileuse, voitures…. En quelques minutes les rues sont devenues rivières, l’eau envahissant de nombreuses maisons qui ont été complètement sinistrées plus particulièrement dans le bourg de Paillet. A la confluence de l’Artolie et de la Garonne sur une longueur de 100 mètres la berge a été emportée…Bref comme l’a indiqué le Sous-Préfet venu sur place : « Ce qui s’est passé est assez proche d’évènements méditerranéens de type « crue cévenole » par la soudaineté et le volume exceptionnel des précipitations ».
Ensuite il y a eu l’urgence avec les services techniques des communes concernées mais aussi de la métropole qui a prêté du matériel adapté à cet évènement exceptionnel et naturellement les pompiers, la protection civile ainsi que la solidarité de toute la population locale pour nettoyer, remettre à peu près en état ce qui pouvait l’être, l’accueil des sinistrés qui avaient tout perdu, l’apport de dons de toutes natures, vêtements, vaisselle, électro ménager etc…et petit à petit la vie s’est réinstallée, à repris son cours sauf pour les habitants qui ont vu leur maison déclarée définitivement hors d’usage , traumatisme inscrit à jamais dans leur mémoire.
Puis il y a eu les réunions dans les différentes mairies pour faire le point. L’affaire n’eut-elle pas été si grave on aurait parlé « moderne » en disant « débriefing ». Les citoyens encore sous le coup de l’émotion sont venus raconter leurs différents malheurs et déboires, il y avait du chagrin de l’amertume dans les propos mais aussi de l’étonnement de la part des habitants nouvellement arrivés, des commentaires mémoriels de la part d’anciens qui se rappelaient quelques épisodes dont ceux des années 2003et 2013 et puis encore ceux qui dénonçaient depuis longtemps le non sens d’une urbanisation pléthorique dans des zones à risques, avec l’arrachage des arbres et des haies, la perméabilisassions à outrance des sols, le non entretien des fossés, etc, etc…
Les maires ont eu des paroles apaisantes, déclarés qu’une étude d’expertise globale afin d’évaluer les dégâts pour obtenir de l’Etat la reconnaissance de catastrophe naturelle sur les causes et les effets et les mesures à prendre allait être diligentée, qu’un expert hydraulicien serait sollicité pour évaluer les risques liés aux différentes configurations du terrain, et que naturellement la population serait tenue au courant le moment venu.
Un an et demi après la population attend toujours et pourtant…
Cette étude existe bel et bien, elle a nom « Cartographie de référence sur les risques naturels inondations et mouvements de terrain » elle a été menée par « CEREMA, l’Expertise technique au service de l’Etat et des collectivités » commanditée par la DDTM 33 pour
le compte de la Communauté de communes du Vallon de l’Artolie.
Que dit-elle cette étude ? En préambule, dans un court résumé, elle précise « Suite aux orages catastrophiques du 25 juillet 2014 sur le territoire de la Communauté de communes du Vallon de l’Artolie , une cartographie informative de référence a été réalisée par le Cerema/DTerSO/laboratoire de Bordeaux. Elle permet aux élus d’optimiser la gestion de leur territoire en termes d’urbanisme et d’engager une politique globale de prévention des risques… »
Soit poursuivons la lecture du rapport… « En ce sens, la DDTM33 ( Direction Départementale des Territoires et de la Mer 33) et la Communauté de communes du Vallon de l’Artolie ont convenu d’établir une cartographie de référence, outil d’aide à la décision des collectivités plus souple, plus rapide, moins contraignante et matériellement plus réalisable qu’ un plan de Prévention des Risques Naturels. En effet celle-ci permettra de motiver si nécessaire des refus de constructions sur la base de l’article R 111-2 du code de l’urbanisme et d’orienter les plans locaux d’urbanisme (PLU) en prenant en compte l’exposition aux risques naturels… »
Dans le paragraphe 4 « Cadre et limite de l’étude » Il est dit que : L’étude porte sur l’intégralité du territoire de la Communauté de communes du Vallon de l’Artolie,..Les risques naturels considérés sont concernés par les phénomènes de : -débordement des cours d’eau présents sur le territoire – ruissellement rural et urbain- mouvements de terrain, chutes de pierres/blocs, effondrement de cavités karstiques.
Ainsi chacune des communes de Rions, Paillet, Lestiac-sur-Garonne, Langoiran, Le Tourne, Tabanac, Capian, Cardan et Villenave d’Ornon , a-t-elle fait l’objet d’un recensement des risques existants.
Dans la partie A intitulée « Phénomène naturel inondations » L’étude CEREMA recense les 22 cours d’eau (dont inclus La Garonne) répartis sur l’ensemble de la Communauté de Communes du Vallon de l’Artolie et indique les phénomènes qui sont à l’origine des inondations essentiellement naturelles et généralement dues à des précipitations soit longues et intenses, soit courtes et très intenses (orages)et précise « …Ces inondations de manière générale sont souvent aggravées par des phénomènes ou problèmes locaux : embâcles, notamment ou encore vannes bloquées ou mal positionnées, réseau hydrographique (fossés, canaux d’irrigation…) non entretenus ou sous dimensionnés, etc…
Quant au paragraphe consacré aux « Petits cours d’eau (affluents et ruisseaux) » il situe bien leur importance et leur rôle dans les inondations « …Moins connues mais tout aussi récurrentes les inondations des petits cours d’eau (Artolie, Gaillardon, Nau, Grand Estey…) comme celles de 2003, juillet 2013 et juillet 2014 sont :
– générées par des orages violents localisés sur des coteaux à l’amont (plusieurs kilomètres) et donc difficilement prévisibles.
-caractérisées par un régime de crue torrentielle, avec une montée des eaux soudaine et brutale et une décrue rapide si l’exutoire le permet, parfois accompagnée de lame d’eau ou vagues dévastatrices et d’un charriage important de matériaux (arbres, boues, pierres, végétation…) perçues par les riverains comme très violentes.
-capable de déplacer dans le lit mineur des cours d’eau des objets de masse conséquente sur des centaines de mètres (ex. Voitures, blocs de béton, blocs rocheux, souches, arbres…) souvent aggravés par des problèmes locaux (embâcles, vannes bloquées etc…)
Les bassins versants de l’aire d’étude sont caractérisés par des coteaux en rive droite de la Garonne, entaillés par plusieurs vallons souvent à sec, très actifs aux phénomènes pluvio-orageux et qui constituent des axes d’écoulement privilégiés du ruissellement pluvial urbain et rural et se comportent comme de véritables torrents lors des grandes précipitations…. »
« …L’épisode pluvieux du 27 juillet 2013 s’est caractérisé par une hauteur d’eau de 37mm en 1 heure, ce qui correspond à des niveaux de l’ordre d’une inondation cinquantennale. Pour l’épisode du 25 juillet 2014, il est tombé 47mm en 1 heure et entre 75mm et 83mm d’eau en 2 heures ce qui correspond à des valeurs au-delà de la centennale… »
S’ensuit ensuite un paragraphe 3 intitulé « Etude historique des évènements naturels » dans lequel on apprend qu’il y a eu une enquête en commune où les élus et riverains des 9 communes de la Communauté de communes du Vallon de l’Artolie ont été rencontrés à l’occasion de réunions en mairie ! – « Un relevé des zones inondées et dommages » a été effectué, avec recherche de témoignages, photos, données etc…à la suite de quoi « …le phénomène inondation portant sur l’aire d’étude a été synthétisé sur une carte détaillant l’ensemble des informations recueillies- limites des zones inondables (avec distinction entre débordement et ruissellement)- dégradations et dommages recensés- axes d’écoulements prioritaires – principales habitations impactées- parcelles sensibles aux risques d’inondation… »
S’ensuit une analyse pertinente de chaque commune concernées, du phénomène ressenti et le constat des dégâts survenus ainsi que de l’absence généralisée d’aménagements de protection existants.
Conclusions -Suites à donner
Les différentes phases de l’étude réalisée se terminent par deux pages de « Conclusions – Suites à donner » dont le lecteur trouvera en suivant un bref résumé, loin d’être exhaustif, de l’ensemble des mesures préconisées et à prendre !
« …Les informations retranscrites permettent à la fois d’expliquer le déroulement des évènements, leur situation géographique, leur ampleur et leur causalité. Ce travail a été mené en étroite collaboration avec la DDTM 33, la Communauté de Communes du Vallon de l’Artolie et les communes.
Il est à noter que lors de la survenue de l’orage du 25 juillet 2014, la marée était basse (influence des marées jusqu’au pont de Rose à Langoiran(Le Tourne) et la Garonne n’était pas en crue, ce qui a permis le ressuyage des terrains et l’absorption des écoulements des divers cours d’eau, dans un laps de temps relativement court, sans qu’aucun autre aléa ne vienne amplifier cet évènement exceptionnel. En d’autres circonstances, les conséquences auraient pu s’avérer plus catastrophiques encore.
Cette étude fournit une base documentaire générale pouvant permettre de poursuivre par des études plus poussées (étude hydrologique et hydraulique notamment) indispensables si des travaux de réfection (recalibrage) du réseau d’eaux pluviales doivent être engagés ou si la communauté de communes souhaite faire réaliser un schéma directeur d’assainissement.
Au vu de l’ensemble des résultats issus des investigations documentaires et de terrain, les principales problématiques et facteurs aggravants rencontrés à l’échelle de la communauté de communes sont :
– Un temps de réaction court…provoquant une montée rapide des eaux lors des épisodes pluvieux
– Un relief accidenté propice au phénomène de ruissellement de coteaux…
– Des écoulements torrentiels charriant une importante masse de granulats et déchets divers…
– La nature argileuse des cols (+ de 80%) qui limite l’infiltration des eaux
– Des axes de circulation (routes chemins) devenant axes d’écoulements prioritaires du fait de leur situation dans les talwegs dans le sens de la pente.
– Un réseau d’eaux pluviales globalement inapproprié sur l’ensemble des communes étudiées, ayant subi par endroits des modifications préjudiciables (raccordements anarchiques)
– Des fossés mal entretenus, mal calibrés, inexistants ou comblés fréquemment dans certains secteurs
– Une urbanisation importante en particulier en zone inondable, dans les champs d’expansion des crues et axes d’écoulements prioritaires
– L’imperméabilisation des sols (toute nouvelle construction imperméabilise une nouvelle surface, augmente la quantité et la vitesse des eaux pluviales qui ruissellent…)
– La réalisation de remblais récents en zones inondables
– Une multitude de petits aménagements qui modifient la trajectoire et la vitesse des écoulements (murs, murets, talus, routes, chemins, dos d’âne)…
– élimination des haies délimitant les parcelles, provoquant l’accélération des écoulements chargés de matériaux
– la culture des vignes dans le sens de la pente avec des sols nus non enherbés facilement érodables. A ce titre, les études (B10) et (B14) décrivent l’impact du débocagement (destruction des haies, des levées de terres, fossés…) sur le fonctionnement hydrologique d’un bassin versant. Les résultats de ces investigations montrent que le remplacement de ces éléments naturels par des vignobles, dont les lignes sont parallèles à la plus grande pente, favorisent la formation de ruissellement. Celui-ci est renforcé par les nouvelles pratiques culturales (damage des sols par le passage des roues des engins au même endroit)
– le non entretien de la végétation (ripisylve, bois, zones humides) qui génère d’importante quantité d’embâcles venant s’encastrer dans les ouvrages, réduisant leur section et provoquant de nombreuses dégradations
– les dépôts sauvages de déchets…
A la lumière des informations recueillies des pistes de réflexion peuvent être engagées pour réduire la vulnérabilité :
– …préserver et restaurer …le champ d’expansion des crues des cours d’eau …par une urbanisation raisonnée en dehors des secteurs à risque
– effectuer un meilleur contrôle des aménagements (remblais, chemins, routes, murs, murets, talus raccordement au réseau des eaux pluviales)…
– empêcher toute nouvelle construction sur les parcelles jugées sensibles au risque inondation (cf cartographie)
– envisager une délocalisation des enjeux (habitations notamment) soumis périodiquement aux phénomènes d’inondation et subissant d’importants dégâts
– favoriser des parkings partiellement perméables (noues, végétation…)
– observer une meilleure gestion à la source des eaux pluviales par un dimensionnement adapté du réseau….
– Préserver, restaurer, entretenir le réseau des fossés d’assainissement agricole
– Créer des fossés à ralentissement d’écoulement ….
– Créer des ouvrages hydrauliques pour piéger les matériaux charriés lors des crues dans les fossés ou cours d’eau
– Valoriser la réimplantation de haies sur levées de terre bordées de fossés, afin de retrouver un maillage bocager permettant de freiner les écoulements à la parcelle, tout en permettant de reconstituer des corridors écologiques bénéfiques pour la biodiversité
– Pour les vignobles existants(B10) des solutions peuvent être envisagées avec la création de fossés et bassins de rétention « micro hydrologique) à la base de chaque parcelle et parallèles aux courbes de niveaux. Ces solutions sont des aménagements anti ruissellement qui sont des moyens de lutte anti-érosion sur les vignobles …Pour de nouveaux vignobles, les techniques anti-ruissellements peuvent aussi être mis en place (implantation de rangs de vignes parallèlement aux courbes de niveaux avec un système de fossés pour la rétention amont aval)
– Entretenir régulièrement les ripisylves, la végétation présente dans les fossés et les résidus de fauche…contrôler les dépôts sauvages de déchets
– Veiller à la bonne efficacité des Plans communaux de Sauvegarde (PCS)
Ainsi donc cette étude que nous avaient promise les élus existe bel et bien et l’on peut se demander aujourd’hui pourquoi elle n’a pas été rendue publique à la population la première concernée par les dommages subis ? Cette étude est-elle destinée à dormir benoitement dans les tiroirs des mairies, comme beaucoup d’autres ?
Mais peut être que les constats faits et les conclusions que préconisent cette étude dérangent-elles ces mêmes élus car il y a bien un constat de carence de la part de « plusieurs générations » d’entre eux qui n’ont pas rempli leurs obligations vis-à-vis de l’aménagement et de la protection des espaces dont ils avaient ou ont la charge aujourd’hui. Ils ont d’ailleurs, souvent, par leur laxisme, ou leur incompétence contribués à augmenter les risques inhérents à un territoire dont la géologie et la morphologie expliquent depuis toujours, sa forte vulnérabilité aux phénomènes naturels tels que les inondations.
Aujourd’hui il appartient aux habitants de la Communauté de Communes du Vallon de l’Artolie d’interpeler, d’écrire à leurs élus, voire de pétionner, afin de réclamer que cette étude soit enfin rendue publique, discutée en réunions publiques, non pas pour faire le procès de la Présidente de la communauté de communes ou des maires concernés, mais pour proposer, trouver ensemble des solutions pour pallier , limiter les dégâts à venir car des phénomènes comme celui du 25 juillet 2014 il y en aura encore et de plus en plus en raison du réchauffement climatique.
Il faut enfin que ces élus comprennent qu’il ne sert à rien de pratiquer la politique de l’autruche, les citoyens continuerons à exiger que cette étude CEREMA soit rendue publique d’autant plus qu’elle est diffusable comme il est précisé par les auteurs !
Colette Lièvre