La rue Thérèse à Carbon-Blanc a cessé d’être telle que nous l’avons connue ! Depuis toujours elle défiait la rue principale, l’avenue Austin-Conte, dite « Grand-rue », lui tournant insolemment le dos de ses maisons serrées solidaires, murs mitoyens, bras dessus dessous. La rue était donc un peu obscure et frisquette! Les soirs d’été, ses habitants sortaient les chaises et appréciaient d’y prendre le frais en papotant entre voisins.
Elle connut aussi tel grand père Rolland, un soir de 1944, sous les injonctions de rentrer à l’abri de toute la famille qui y sortit afin de voir ce qui se passait ! Les Allemands en partance, furieux d’avoir eu l’un des leurs blessé par un « résistant de la dernière heure », menaçaient le village de représailles et toute la population craignait le pire ! Il fut évité grâce à l’authentique réseau de la résistance Austin Conte, d’où le nom de la grand-rue, qui après une bataille au cœur de Carbon- Blanc où on dénombra des morts redonna la paix à la commune et à la rue Thérèse ! « J’en ai vu d’autres » disait le grand père qui avait fait 14-18 !
La rue Thérèse avait les services de deux épiceries, celle de Mimi Castagnou et celle de la famille Garryt. Les dames de la rue allaient en chaussons et tablier quérir la poche de café ou le morceau du célèbre « croute rouge « de Mimi ! « On ne pouvait le couper, il s’effritait ça c’était de l’étuvé » m’a-t-on raconté !
Entre deux murs de maisons se faufilait le passage Boudât, il permettait de rejoindre la grand-rue. On s’aventurait frileusement dans cette petite venelle qui ne voyait jamais le soleil. On l’empruntait, un peu craintif, essentiellement pour aller chercher le pain à la boulangerie du bourg. Il avait aussi quelques autres fonctions car je connais certaines ou certains qui y ont fumé leur première cigarette ou échangé leur premier baiser clandestin.
Tout au bout de la rue, la mairie, solidaire des maisons, tel un cheval de trait ou un bœuf de labour trainant carriole, emmenait toute la rue vers la citoyenneté, lui tenant la main comme mère son enfant ! Carbon Blanc étant chef lieu du canton les jeunes gens venaient y passer leur conseil de révision, le bâtiment abritait aussi la Justice de Paix et l’école des garçons. Il y a quelques décennies, la bâtisse qui ne comportait plus que quelques services administratifs de la municipalité, fut la première démolition de cette rue Thérèse. Première ou une des premières de la commune avec la rue du Moulin, la rue Thérèse en fut en tout cas la rue principale jusqu’à l’avènement de la Grand-rue, ajoutée pour drainer une circulation plus importante. Ce qui fait que les maisons, les survivantes et celles qui ont été effacées du paysage sont et étaient également des plus anciennes du village.
La poste au mitan de la rue, veillait au courrier.
Oh comme toute chose, la rue avait son quota d’acariâtres, de mauvais coucheurs, d’agressifs ! Ainsi cette dame renfrognée en proie aux taquineries inévitables des enfants en pareil cas qui leur répondait avec des jets de seaux d’eau ou de liquides divers !
Ainsi cette rue, si pleine de vies présentes et passées, fichées en elle, résonnantes de tant de voies éteintes voit aujourd’hui tout un côté de ses maisons démolies, dévoilant aux yeux du monde les façades tristes de leurs sœurs orphelines.
Oui bien sûr, beaucoup étaient vides, certaines utilisées en logements sociaux. Cela lui plaisait bien à la rue Thérèse d’héberger des gens en difficulté elle qui connut la solidarité des petites gens , de l’offre du panier de cèpes ou de l’assiette de crêpes en passant par la poignée de grives de la chasse du temps où Carbon-Blanc était la campagne.
Un jardin doit éclore à la place des demeures sacrifiées, un jardin à leur mémoire ? J’aimerais le croire !
Qui dira qu’en abattant des rues, des maisons ou des arbres on annihile les ultimes traces humaines gravées dans les pierres, les pavés, les écorces, on en tue la survivance.
Lysiane Rolland (Crédit photo: Lysiane Rolland)
très joli, je te reconnais bien là, militante du sensible!