Commémorations

Posté le 12/11/2013 dans Histoire.

 Pour la première fois depuis la signature de l’Armistice du ll novembre 1918, mettant fin aux combats de la Premièreguerre mondiale[1], il n’y aura plus, lors des commémorations, de témoins à y assister. A notre connaissance, le dernier des  poilus s’en est allé cette année 2013 et, pensons-nous, avec lui les restes tangibles d’une mémoire nationale qui s’effiloche au fil des ans.

L’an prochain, en 2014, cela fera un siècle que cette guerre qui ne devait pas durer, était déclarée. Il faudra quatre ans pour que l’armistice soit signée, que les cloches à la volée retentissent dans toutes les communes de France, que le clairon sonne haut et clair sur tous les champs de bataille annonçant la fin de cette boucherie ; Ce jour là se sera levé ivre de joie et plein d’allégresse tout le peuple de France ne pensant plus, le temps d’un moment, aux 18 millions de morts encore couchés dans la boue, aux plusieurs millions d’invalides et de mutilés ; certains d’entre eux ne sachant plus s’ils eussent été mieux morts que vivants amputés de leurs membres, avec leurs visages fracassés ou leur esprit en déshérence.

Les rescapés, originaires de France, ont retrouvé leurs provinces, leurs familles et peu à peu leurs repères. Partout, en souvenir, des monuments aux morts ont été érigés rappelant les patronymes de tous ces Français morts pour la France, oubliant tous les autres venus des colonies, chair à canon s’il en fut et dont « …nos cimetières militaires conservent la trace physique, tout au moins pour les troupes de musulmans « Morts pour la France ». Dès la déclaration de la guerre, l’armée compte 95 bataillons de musulmans maghrébins et d’Afrique noire, soit 300.000 hommes dont 17.000 Algériens »[2]. Et puis, il y a tous ceux tellement détruits physiquement, déglingués mentalement qui ont fini leurs jours enfermés dans les asiles d’aliénés, dans la profondeur de l’oubli,

Il en aurait été de même pour « Les Oubliés du cimetière des fous de Cadillac-sur Garonne » si une association locale ne s’était créée pour éviter la destruction de ce lieu de sépultures d’autant plus sacré qu’un nombre important de soldats de la guerre de 14 y étaient enterrés ; si le Professeur Michel Bénézech n’avait décidé de faire un travail de recherches sur cette population à partir des archives de l’hôpital psychiatrique de Cadillac, ce cimetière et son histoire auraient été perdus à jamais pour la mémoire collective.

C’est ainsi qu’à Cadillac, entre la déclaration de la guerre et la fin de l’année 1925,  546 combattants et anciens combattants ont été hospitalisés et internés. Les hospitalisations se poursuivront jusqu’en 1925, avec un maximum en 1918 où l’on comptabilise 185 entrés dont 74 décèderont et seront enterrés au cimetière communal[3] ; 109 seront transférés en d’autres lieux. En 1919, il y aura 97 entrés, 43 y mourront et 50 seront également transférés dans d’autres établissements ou sortiront définitivement de l’asile.

Sur le plan médical, les diagnostics laissent apparaître les pathologies suivantes :

  1. des dépressions graves, le plus souvent marquées par  la Mélancolie (la plus importante des pathologies observées), l’excitation maniaque, euphorique paradoxale.
  2. la démence précoce soit une schizophrénie qui s’installe sur une population appelée sous les drapeaux jeune, voire très jeune (20-19-18 ans et même 17 ans !)
  3. la paralysie générale provoquée par une syphilis tardive.
  4. des délires chroniques dont celui de la persécution.
  5. divers stades de débilité mentale ou encore de confusion mentale avec  des signes de désorientation provoqués par les traumatismes subis ; des crises nerveuses, suraigües tel le « délire aigu » qui tue en trois jours !

Les causes de décès les plus fréquentes sont :

  1. la tuberculose pulmonaire.
  2. l’évolution des états dépressifs chroniques qui provoquent des « cachexies » , des « marasmes », le malade ne s’alimentant plus et se laissant mourir.
  3. des cachexies évolutives démentielles consécutives à la paralysie générale, à la schizophrénie ou au délire de persécution.

Les nationalités : Si les Français recensés dans cette population sont les plus nombreux, 322 sur les 546 étudiés, la nomenclature géographique laisse apparaître une diversité de pays dont sont originaires ces combattants, la plupart venus des colonies. Tous ces déracinés passeront et parfois finiront leur vie dans l’asile d’aliénés de cette petite commune de Cadillac-sur-Garonne, seuls et naturellement oubliés de leur famille mais aussi de cette France pour laquelle ils auront perdu finalement plus que leur vie, mais leur conscience !

Le recensement sur l’origine géographique de ces anciens combattants hospitalisés à Cadillac  effectué par le Professeur Bénézech permet, à partir de l’échantillon étudié, permet de se rendre compte à quel point ce conflit  fut l’affaire du monde entier, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité. Sont dénombrés originaires de : l’Afrique noire : 99 – Afrique du Nord : 27- Indochine : 24- Allemagne, Autriche et Lorraine annexée : 24- Océan Indien (Madagascar et Réunion) :15- Autres pays d’Europe : 12- Antilles (Martinique et Guadeloupe) :10- Russie :5- Chine :5-  Origines inconnues :3. Plus précisément outre les Français originaires de l’hexagone et les Corses, ils sont venus d’Algérie, de Tunisie, du Maroc, de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion, de Madagascar, de l’Egypte, de la Guyane, du Sénégal, du Dahomey, du Soudan, de la Somalie française, de la Somalie anglaise, du Niger, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée Française, du Viêt – Nam…et de plus loin encore pour ceux qui n’étaient pas originaires du grand empire colonial français mais avaient néanmoins une certaine idée dela France à défendre.

Avant que le Professeur Bénézech n’entreprenne ce travail d’étude, digne d’un bénédictin, qui savait ce qui c’était passé hier dans cet asile d’aliénés d’une petite bourgade de la Gironde ? Qui le saurait aujourd’hui ? Qui le saura demain ? Alors même que ce 11 novembre 2013 les Anciens Combattants ont déclaré forfait et contrairement aux autres années ont décidé qu’il n’y aurait pas de cérémonie du souvenir devant la modeste plaque apposée sur le mur du Cimetière des Oubliés, face au carré « des mutilés du cerveau » !

L’oubli, l’oubliance, manteaux de brume dans lesquels tout s’estompe et se fond sont à l’œuvre anesthésiant la mémoire des vivants devenus incapables de transmettre aux générations suivantes cette Histoire sans laquelle pourtant il ne peut y avoir d’avenir pour l’humanité. Colette Lièvre.

Remerciements au  Professeur Bénézech[4] qui a bien voulu nous transmettre les notes de son travail de recherche et d’étude.

Ce 10 novembre 2013, quelques adhérents de l’association”Les Amis du Cimetière des oubliés” ont accompagné le président Michel Bénézech  qui a déposé une coupe fleurie en mémoire des anciens combattants de la guerre de 1914, internés à l’asile de Cadillac sur Garonne et enterrés dans ce cimetière. Par ce geste ces bénévoles de l’association s’associaient aux anciens militaires, membres du “Souvenir français” qui n’avaient pu se déplacer.

Repères. Les travaux concernant les militaires internés dans les hôpitaux psychiatriques sont très rares. Il convient cependant de citer le Mémoire de Monsieur Hubert Bieser (192-1993) Université de Paris XII (Val de Marne) Faculté de médecine de Créteil « Les militaires aliénés à l’asile de « Ville d’Evrard » de mai 1915 à décembre 1918 » Et celui de Madame Bernadette Laverdure-Cassarin (1992) Université de Caen, Faculté de Médecine « Les aliénés militaires internés à l’asile de Villejuif, étude portant sur 1697 cas ».

Quant au Professeur Michel Bénézech, il a, pour l’instant, interrompu ses recherches. Les cartons des dossiers sur lesquels il travaillait ayant brusquement et mystérieusement disparus du local des archives situé dans les sous-sols de l’hôpital psychiatrique. Il paraît, selon certaines sources, que ces dossiers ont refaits, récemment,  surface et devraient être (rapidement) transmis aux Archives Départementales, où le professeur pourra, souhaitons le, poursuivre ses travaux en toute sérénité apportant ainsi une contribution historique supplémentaire sur cette guerre de 1914-1918.

 

 

 

 

 



[1] Cet armistice reconnait la victoire des Alliés et la défaite totale de l’Allemagne. La paix sera effective avec le traité de Versailles signé le 28.06.1919 dansla Galerie des Glaces et promulguée le 10.01.1920.

[2] Sources : L’Actualité au regard de l’Histoire »Les Musulmans en France »par  Lucette  Valensi (p.29-30)

[3] Le cimetière dit « des Oubliés » soit celui des fous ne sera créé et opérationnel qu’en 1922.

[4] Le professeur Michel Bénézech est psychiatre, médecin légiste et criminologue. Il travaille avec la gendarmerie nationale sur les crimes non résolus.


2 Replies to “Commémorations”

  1. J’ai lu cet article avec beaucoup d’intérêt et remercie ses auteurs. Mon commentaire concerne uniquement la photo d’un monument aux Morts présent sur cet article, qui n’est pas celui de CADILLAC. Celui de CADILLAC est constitué d’un obélisque sur lequel sont adossées deux figures féminines, l’une, la Victoire sans doute, qui a perdu son flambeau, ou drapeau, ou ? L’autre à demi agenouillée, regarde la précédente. Pas de guerrier. Un monument de deuil plutôt, avec cette devise : “NOLI FLETERE” ; sculpté par un artiste originaire du TOURNE : P.G. GENEST.

  2. Bonjour, c’est effectivement exact …la photo du monument aux morts représente le monument de la commune de Paillet que nous avons choisi car il représente “un poilu” et précède le paragraphe rédactionnel qui fait référence à tous les monuments aux morts qui ont été érigés après la guerre. Vient ensuite une photo du cimetière des Oubliés qui illustre le passage rédactionnel concernant les militaires aliénés à l’hôpital et enterrés dans ce cimetière.
    Cordialement. La Rédaction

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