En ces premiers jours d’été caniculaires, il est bon après avoir vaqué de sept à dix au potager et dispersé une averse artificielle sur les massifs et les potées copieusement arrosés au pied la veille au soir, de se cabaner dans les pièces les plus fraîches de la maison avec quelque saine lecture. J’ai choisi cet après midi de me plonger dans les œuvres d’un compatriote qui vécut sous le règne du « Bien Aimé » et de son malheureux fils Louis le seizième, qui mourut Capet.
Ce bienheureux contemporain des Lumières, dont le père possédait un petit « bourdieu » à Langoiran, sur le chemin qui monte au hameau du Pin, est passé à la postérité sous l’épithète « L’ami des enfants ».
Arnaud Berquin fut en effet l’un des auteurs de petites pièces en vers ou en prose, destinées aux enfants et adolescents qui, dans les dernières décennies du XVIII ème siècle commençaient à sortir des limbes d’une indifférence séculaire et à susciter une attention pédagogique. Le témoignage le plus fameux de cet intérêt nouveau porté à l’éducation est l’ « Émile » de Jean Jacques Rousseau qui, pour remercier Berquin d’avoir mis en vers son « Pygmalion » mit en musique une de ses romances.
Arnaud descendait d’une famille de commerçants et d’artisans bordelais (son grand-père sculpta le beau retable de l’église de Rions, son père commerçait avec les Antilles). Après de bonnes études sous la férule des pères jésuites bordelais, il « monta » à Paris vers 1770 où il se lança dans la vie littéraire, publia idylles et romances et fréquentant les cafés littéraires de Saint Germain. Il rencontra Charles Joseph Panckouke, l’éditeur de l’Encyclopédie qui lui confia le préceptorat de ses fillettes. A partir de 1777 Arnaud Berquin se spécialisa dans la littérature enfantine, florissante dans l’Europe entière, et innova en créant un périodique mensuel : « l’Ami des enfants » qui assis sa renommée. En 1784 l’Académie lui décerna pour cette œuvre le Prix d’Utilité doté d’une récompense de 1200 livres. Grand admirateur de Turgot, Berquin accompagna les bouleversements politiques liés à la tenue des États généraux en créant en 1789, La bibliothèque des campagnes « destinée à éclairer la classe la plus délaissée de la Nation, la population des campagnes…La liberté veut des hommes et des citoyens, elle n’en peut créer que par l’instruction. » En 1790, il lançait un hebdomadaire « La feuille villageoise » toujours à l’intention des populations rurales. Pressenti pour être le précepteur du Dauphin, il était assez proche des députés Girondins : Guadet, Gensonné et Vergniaud, ce qui lui aurait sans doute valu de goûter la guillotine, s’il n’était mort de maladie le 21 décembre 1791, en l’hôtel du Croissant à Montmartre à l’âge de quarante et un ans.
La lecture de « L’ami des enfants » permet de comprendre que la niaiserie n’est pas l’apanage des feuilletons de Disney Channel, mais on doit, tout chauvinisme mis à part, reconnaître que cette littérature bercée de bons sentiments manque quelque peu de piment…Cette fadeur béate n’est pas cependant propre à Berquin qui sut aussi se plier aux règles d’autres genres littéraires, j’en veux pour preuve cette séduisante et coquine idylle qui constitue l’introduction à la recette du Gigot d’agneau berquinade.
L’agneau.
Pour un simple ruban, qui parait sa houlette,
Lise, un jour, de Tyrcis reçu un bel agneau.
C’était un jour d’été. L’agile bergerette
Prend l’agneau dans ses bras, vole vers le ruisseau,
Se dépouille, s’y plonge et soudain sur la rive,
Parmi les joncs touffus, croit entendre du bruit ;
Son œil s’y fixe. Elle pâlit ;
Et de ses bras, qu’un froid mortel saisit,
L’agneau glisse, entraîné par l’onde fugitive.
De sa douleur qui peindrait le transport,
Lorsqu’en se retournant, Lise aperçoit loin d’elle
L’agneau contre les flots luttant avec effort,
S’élançant tour à tour vers l’un, vers l’autre bord
Et toujours repoussé par la vague cruelle ?
D’un bêlement plaintif il l’appelle, l’appelle ;
Ah ! Pour le secourir en ce pressant danger,
Que pourrait faire, ô ciel ! La bergère éperdue
Lise veut fendre l’onde…et ne sait point nager,
A son secours appeler son berger ?
Lise ne l’oserait. Hélas ! Lise est nue,
Mais Lise sait que l’inconstant ruisseau,
Après qu’en longs replis il a baigné la plaine,
Sur un lit moins profond ramène enfin son eau,
Et qu’au détour de la forêt prochaine,
Elle peut rejoindre l’agneau,
De l’onde, à ce penser, légère elle s’élance ;
Et, ne se doutant pas que son heureux amant,
Tout près d’elle caché, l’observait en silence,
Elle prend au hasard le premier vêtement
Et, le sein demi-nu, la voilà qui s’avance.
Mais, Lise, ô quel bonheur ! Pouvais-tu le prévoir ?
Tyrsis t’a vu partir, il fend l’eau à la nage,
Poursuit l’agneau, l’atteint, le porte sur la plage,
L’entoure du ruban qu’il vient de recevoir, et se cache sous un feuillage.
Remis un peu de sa frayeur,
En secouant le poids de sa toison humide,
L’agneau d’un arbousier paissait la jeune fleur ;
Lise arrive d’un pas rapide,
A peine, en le voyant, en croit-elle ses yeux,
Le ruban le fait reconnaître.
Mais, ô Dieu ! Si Tyrsis…il était là peut être ;
Elle s’ajuste de son mieux.
Tyrcis paraît. Tyrcis avait un air si tendre ;
L’agneau donné deux fois, était d’un si grand prix
On lui donne un baiser, puis deux, il en eut six ;
On ne les compta plus. Et comment s’en défendre ?
Ceux qu’on eut refusés, il les aurait ravis
La belle, prudemment paya si bien Tyrcis
Que le berger n’eut plus rien à prétendre.
Arnaud Berquin.
Recette du gigot Berquinade !
- Un gigot d’agneau d’environ 1kilo 800 grammes.
- Douze filets d’anchois
- Poivre blanc
- Trois cuillerées d’huile d’olive.
Avec un couteau d’office pointu entrelarder de manière homogène le gigot avec les filets d’anchois en enfonçant le couteau au plus près de la surface.
Ne pas saler, mais saupoudrer le gigot entière de poivre blanc après l’avoir soigneusement badigeonné d’huile d’olive.
L’enfourner au four chaud (240°).
Maintenir cette température pendant dix minutes, puis l’abaisser à 200°.
Laisser cuire encore pendant 20 minutes.
Arrêter le four, couvrir le gigot d’un papier d’aluminium,
Et le sortir du four dix minutes avant de le servir .
Oncle Phil.