La rue du Cul de plomb

Posté le 09/09/2016 dans Le feuilleton.

Chapitre 28

Oncle Alain, très tôt, l’avait accompagnée à la gare, mise dans un train en partance pour Paris, installée dans le compartiment spécial réservé aux contrôleurs auxquels il avait fait plusieurs recommandations. L’un d’entre eux ayant été plus spécialement chargé  d’assurer le transfert de Zélie d’une gare à l’autre à Paris pour reprendre la correspondance du train qui devait la ramener à Clermont-Ferrand, « à la maison ». Oncle Alain l’avait prise dans se bras en l’appelant sa princesse, lui recommandant de faire attention à elle, l’avait embrassée. Elle lui avait dit : « tu sais comme je t’aime » et lui avait demandé : « Tu viendras nous voir à Clermont- Ferrand ? » Il lui  avait promis. Il était resté sur le quai, puis le train a démarré,  Zélie le nez écrasé contre la vitre l’a vu agiter sa main en signe d’au revoir, et très vite elle l’a perdu de vue…à jamais ! Zélie ne devait jamais le revoir. Oncle Alain est mort tout de suite à la fin de la guerre !

Le train roule à travers la campagne, semble hoqueter par instant, s’arrête souvent, trop souvent, rappelant que les travaux de remise en état des voies continuent. Zélie n’en a cure. Depuis qu’elle a quitté Paris, elle sait que chaque tour de roue l’éloigne toujours un peu plus de Charleville. Malgré les heures déjà passée de ce voyage qui est interminable, elle ne sent pas la fatigue, au contraire. Elle a comme une excitation toute intérieure, une sorte d’exaltation, elle voudrait pouvoir crier le bonheur d’avoir retrouver sa liberté. Elle se remémore tous ces derniers jours, à partir du moment où Oncle Alain l’a  réveillée dans le wagon où elle s’était endormie pensant déjà pouvoir partir, en fait s’évader !

Ce soir là, son oncle l’avait ensuite conduite chez Madame Ledent,. Il avait bien compris qu’il était inutile de la ramener auprès d’Aimée. Ce soir là donc, elle avait dormi sur le canapé du petit salon et les jours suivants aussi et ce jusqu’à la fin du troisième trimestre. On était alors début juillet et l’école se terminait juste deux ou trois jours avant le 14 juillet, qu’en cette période d’occupation on ne fêtait plus. Oncle Alain avait voulu qu’elle aille jusqu’au bout de ce trimestre, ne serait-ce que pour avoir les notes de fin d’année. Zélie avait fini seconde de sa classe, mais elle avait refusé d’aller à la « cérémonie » de proclamation des résultats. Elle ne voulait plus revoir Aimée qui bien entendu en tant que directrice de l’école, superviserait cette cérémonie. La veille elle avait dit au revoir à sa maitresse qui l’avait félicitée pour ses résultats, l’avait encouragée à continuer à « bien travailler » et l’avait embrassée. Elle n’avait pas eu à dire au revoir aux élèves de sa classe, elle n’y avait ni amie, ni copine ! Il lui semble que tout cela est déjà très loin, le train roule, dans trois, peut être quatre heures elle sera à Clermont Ferrand !

Bien qu’au mois de juillet, le jour commence à baisser lorsque la locomotive après un cri strident est entrée en gare de Clermont Ferrand. Le contrôleur l’a faite descendre du train et lui a dit d’attendre sur le quai que l’on vienne la chercher. Petit à petit, le quai se vide des voyageurs, Zélie regarde à droite, à gauche avec un peu d’anxiété, et si personne ne venait ? Elle sait combien les communications sont difficiles d’une zone à l’autre, le courrier est quasiment inexistant et tellement surveillé. Seules les cartes postales « officielles » sont autorisées…Elle est maintenant complètement seule sur le quai, elle décide donc de prendre, d’une main, sa petite valise en carton qui contient ses effets et de l’autre son cartable et se dirige vers la sortie de la gare, décidée de retrouver « sa maison » coute que coute. Dehors, elle l’a vu de suite… son père est là, bien là avec son vélo et sa petite remorque scrutant la sortie des voyageurs. Elle a couru vers lui  qui lui a tendu la joue pour un baiser, en râlant « Mais qu’est-ce que tu foutais, j’allais partir croyant que tu n’étais pas dans le train ! » -« Je foutais rien, on m’avait dit d’attendre, alors j’attendais ! »-« Zélie, monte vite dans la remorque, j’ai déjà été contrôlé deux fois par les « verts de gris » Il faut absolument que l’on arrive à la maison avant le couvre-feu sinon… » Le père a enfourché son vélo, s’est mis à pédaler « en danseuse » pour aller plus vite. Zélie secouée, s’agrippant aux deux montants de la remorque. Cela fait près d’une année qu’elle a quitté cette ville, celle-ci était alors encore en zone libre-un mois et demi  après son départ, en novembre 42, les nazis l’ont investie occupant en totalité la France, Vichy en devenant la capitale. Zélie comprend pourquoi à cette heure là, en plein été, il n’y a pratiquement plus personnes dans les rues ; la fillette remarque que les retardataires pressent le pas ou courent, le père lui, pédale de plus en plus vite en ancien champion cycliste régional qu’il fut un temps dans sa Lorraine  ce qui lui avait valu, à l’époque, une certaine notoriété !

L’anxiété la gagne, voilà bien longtemps qu’elle n’a pas ressentie cette oppression précédent invariablement un mal de ventre, cette peur diffuse comme si un danger imminent allait survenir ! Le père pédale …et tout à coup ils sont arrivés dans la grande cour de leur immeuble, le père a posé pied à terre, et a soigneusement refermé la lourde grille rouillée, protection dérisoire qui l’a toutefois rassurée. Elle était revenue à la maison.

En montant l’escalier, immédiatement elle est assaillie par l’odeur des cabinets d’où suinte un mince filet jaunâtre qui file de marche en marche, obligeant à regarder où l’on met les pieds. Elle entend Gilberte qui, du premier étage, penchée au-dessus de la rampe, dit : «  Je commençais à m’inquiéter, l’heure du couvre-feu est dépassée ! » Zélie est entrée, une bise sur chaque joue, mais pas d’effusions particulières, ce n’est pas le genre de la maison, une réflexion toutefois : « Zélie, tu n’as toujours pas grandi, ni grossi !… » Il est vrai qu’elle est toujours aussi petite et maigrichonne et pourtant dans un mois, ce sera son anniversaire, elle aura neuf ans !

Ce soir là, elle a retrouvé le goût ineffable de la soupe de sa mère qui avec pratiquement rien, arrivait à faire des miracles en cuisine. Ce n’est qu’après un certain temps qu’elle a réalisé que l’on n’entendait pas les chougnements du gamin d’habitude accroché au tablier maternel. Il était déjà couché et Gilberte a annoncé fièrement que maintenant il marchait ! Quant au grand frère on supposait qu’il allait bien. Il était venu en permission pour Noël, depuis il avait envoyé une de ces cartes postales officielles, laconiques où il n’était possible que de cocher les cases du genre : je suis en bonne santé, le voyage s’est bien passé etc…c’était il y a cinq mois. Ce qui a fait dire au père « pas de nouvelles, bonnes nouvelles ! »- Le soir dans son lit en se rappelant cette si longue journée, Zélie s’est souvenue de cette phrase qu’elle a trouvé un peu étonnante compte tenu du contexte ! A table elle avait annoncé qu’elle avait son carnet scolaire et qu’elle avait terminé l’année seconde de sa classe ce qui lui a valu de la part du père «  Tu aurais pu être première- enfin c’est quand même pas mal ! » Par contre personne ne lui a posé de questions sur son séjour de presqu’une année complète à Charleville. Zélie a toutefois mentionné que son oncle lui avait promis qu’il viendrait les voir dès que la guerre serait finie ! Ce qui n’a suscité aucun commentaire.

En fait, elle se dit : « c’est comme si je n’étais jamais partie ». Elle avait retrouvé son lit avec face à elle le rideau de tissus et ses fleurs fanées qui dissimulait les caisses de déménagement. A droite, contre le mur, le lit du gamin qui dort la bouche ouverte avec quelquefois un léger ronflement et dégage cette odeur un peu surelle de transpiration. Brusquement elle a sursauté, car elle l’avait oublié, le bruit et le tremblement léger des murs occasionnés par le trolley qui rentre au dépôt. Après 21 heures il n’y a plus de transport publics, plus personnes dans les rues à l’exception de celles qui ont des laissez-passer (médecins, infirmières..)Seules les patrouilles allemandes sillonnent la ville silencieuse et veillent à ce que le diktat du couvre-feu soit respecté.

(à suivre…)


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