L’Entre-deux-Mers est une terre de vagabondage. Que l’on parte à pied, en vélo ou en voiture, et si l’on a un peu de temps devant soi, on est vite enclin à sortir des sentiers battus ou des routes dites départementales ; dans ce dernier cas, on peut être tenté de prendre l’une de ces multiples petites routes qui quadrillent l’espace. Très vite, elles vous font quitter la vie ordinaire, celle pleine de bruit et de fureur de vivre, pour vous conduire vers des destinations qui paraissent être à des années lumière de la grande métropole.
Ce jour là justement, après avoir parqué l’auto, nous arpentions une de ces routes faites pour le passage d’un véhicule à la fois, une route pentue dessinée en V, entourée d’arbres en frondaison, bordée sur la droite par des prés. Nous devisions, elle, lui et moi, quand un bruit de gazouillis, ténu et tenace nous avertit que nous étions bien arrivés.
En fait, elle et lui m’avaient entrainé là pour que je fasse connaissance avec elle. Elle sourdait, venant peut être du tréfonds de la terre et apparaissait au grand jour en sortant d’un petit tunnel à l’arcature joliment empierrée par l’Homme. La source claire débouchait tranquillement et s’étalait sur un premier palier, puis semblait sauter « à pieds joints » de marche en marche, accentuant à chaque saut sa chanson cristalline, jusqu’au moment où tout au bas de la pente, elle fusionnait avec le petit ruisseau qui lui-même avait pour mission d’aller nourrir, plus loin, l’estey affluent de la Garonne.
L’Homme racontait comment il avait retrouvé la source qui avait perdu et son identité et sa voix tellement elle était envahie et recouverte de végétation, véritable étouffoir vert. A vrai dire, il semble bien que tout le monde alentour, y compris dans le village, l’avait oubliée depuis belle lurette, à l’exception, peut être, de quelques anciens. Mais qui écoute les anciens aujourd’hui ?
Cependant, il faut vous dire, qu’il n’y aurait pas eu cette résurrection s’il n’y avait eu « PATOU »
Patou brave cheval, à la couleur indéterminée allant du gris au brun indécis, appartenant à l’Homme, mais néanmoins cheval en quelque sorte S.D.F car sans prairie attitrée où il eut pu paître en toute liberté. Aussi Patou de caractère coquin et un peu voyou, partait régulièrement en goguette visiter les superbes « pouliches » élevées selon leur rang à quelques kilomètres de là, au grand dam de leur maîtresse. Cette dernière voyant d’un mauvais œil une idylle éventuelle constituant une véritable mésalliance. Bref, cela ressemblait à une lutte de classe chevaline !
C’est alors que l’Homme qui souffrait de voir la source en si piteux état et projetait de lui faire une cure de jouvence en commençant par un lifting en profondeur, s’est enquis du nom du ou des propriétaires de ladite source pour proposer un honnête échange : laisser un petit pré clos à disposition de Patou, en compensation il s’engageait à effectuer les travaux de remise en état et en eau le cheminement de la source, gracieusement. Ce qui fut conclus ! En fait après « la lutte des classes chevaline » on entrait là « dans l’économie solidaire ».
C’est donc ainsi que Patou vit maintenant des jours paisibles en son pré, et que son maitre Joël Donate, car tel s’appelle l’Homme, s’est attelé à nettoyer, enlever les embâcles, curer le lit de la source établissant des paliers pour qu’elle puisse descendre la pente qui est vive, sans précipitation inutile. Elle a donc retrouvé son chemin en chantant, mais aussi ses amis libellules et tritons, bref sa bio-diversité naturelle.
Toutefois pour l’instant, le continuum du chantier reste en suspens. Les services techniques de la mairie ont débarqué. « Qu’est-ce à dire ? De quoi ? de quel droit vous permettez-vous ?… et comment maintenant on va curer le fossé ! Etc., etc.…. » Mais de fossé il n’y a point, puisqu’il s’agit de la voie naturelle de la source, qui, enfin nettoyée peut reprendre sa fonction d’irrigation et au moment des grosses précipitations assurer pleinement son rôle en évitant les flux qui débordent sur la chaussée.
En attendant la suite, elle chantonne la source ; Patou broute et Joël Donate, qui est homme de « re-source » fait toujours des plans pour continuer si bel ouvrage !
Colette Lièvre
Repères
Joël Donate est enfant de La Bastide, tout comme Fabienne Hurmic. Tous deux d’ailleurs ont appris les fondamentaux (lire, écrire et compter) sur les bancs de la même école de la République. C’est Fabienne, jamais à court d’idées qui a été l’instigatrice de cette rencontre avec la Source. Quant à Joël Donate il s’est installé à Haux, village qui a accueilli, en son temps, son père espagnol, ce qui explique son attachement reconnaissant à ce lieu.