En Entre-deux-Mers la petite ville de Langoiran a une caractéristique géomorphologique, celle de se répartir en trois entités distinctes situées entre Garonne et coteaux.
Le long de la rivière, ce qui fut son port et de part et d’autre de la départementale 10 (dite aussi Route François Mauriac) « le bourg ». Situé au sommet du coteau dominant toute la vallée « Le Haut Langoiran », et en redescendant à mi-côte s’étirant jusqu’à la route départementale le lieu dit « Le Pied du château ».
Trois lieux géographiques mais aussi trois lieux de vie différenciés, ayant été plus ou moins bouleversés par la modernité, au cours du temps.
Ainsi le port, anciennement cœur de la vie économique de Langoiran, donc de la vie tout court pour ces langoirannais : marins, charpentiers de navire, petites mains ouvrières, vignerons, commerçants…qui a commencé à mourir au milieu de XIXème siècle avec l’avènement du chemin de fer, jusqu’à ne plus devenir qu’un parking sur un terrain de plus en plus délabré, mais qui fait, enfin, l’objet d’une restauration paysagère, qui, nous n’en doutons pas, sera opérationnelle pour les prochaines élections municipales qui s’annoncent !
Quant au bourg proprement dit, que de changements depuis ces cinquante dernières années !Jusqu’aux alentours des années 80, la rue principale(en fait la département D.10) était bordée de multiples commerces : pharmacies (au nombre de deux) boucheries, charcuteries, une boulangerie pâtisserie, plusieurs magasins d’alimentation dont une supérette où l’on trouvait de tout un peu, largement de quoi suffire aux besoins alimentaires des ménages d’alors, une maison de la presse, mais encore une librairie-papèterie, une bijouterie-horlogerie, un fleuriste, un photographe, un magasin de couleurs et peintures, une droguerie-quincaillerie ( dont la notoriété était telle qu’elle attirait tous les réparateurs, bricoleurs, non seulement d’ alentours mais aussi de Bordeaux certains qu’ils étaient de trouver là l’introuvable ailleurs), une mercerie , (avec laines, layette, vêtements enfants, lingerie féminine) …sans oublier, près du pont Fives Lille, face au garage, l’incroyable Maison Sarrat, spécialiste de l’habillement de travail : vestes et pantalons de charpentiers en velours noir, confortables chemises à carreaux , pulls , chaussettes en grosse laine, bottes et cirés. Et pour le repos : pantoufles charentaises (la vraie) , pèlerine et robes de chambre en véritable laine des Pyrénées etc… mais également l’indispensable pour la maison : toiles cirées, pièces de tissus coton « pur métis » pour fabriquer draps, torchons, rideaux divers etc…Bref que du solide, de la qualité et du made in France ! Avec en prime les conseils avisés des vendeurs !
Et puis il y avait les cafés, le plus célèbre Le Pélican était situé sur la rue qui va au port. Haut lieu de rencontres tout au long de la journée. Il y avait le moment du café-croissants ; celui de l’apéro- casse croûte voire plus ; l’après midi, celui de la belote qui réunissait les anciens venus aussi des villages environnants, histoire de retrouver les copains… !
Le jeudi, c’était jour de marché sur la place de la mairie. En ce temps là, le marché n’était pas réduit à un seul marchand de légumes, qui à fini d’ailleurs par déserter ! C’était un vrai marché avec fromager, volailler, poissonnier, etc…Ce Centre-bourg était une agora, où, tout le monde se croisait, discutait, cancanait, commentait l’actualité locale, refaisait le monde. C’était la vie tout simplement ! Puis un jour, la modernité s’est invitée et est entrée de plain pied dans la petite cité avec la décision du maire d’alors, d’installer un SUPER et Intermarché s’est installé sur la route de Créon, en face du stade Alain Giresse ( enfant du pays mais gloire footballistique internationale dont la maman, factrice, parcourait la commune en vélo pour distribuer quotidiennement le courrier) C’était le temps, où le stade existait encore , vivait et retentissait des cris de joie ou de désespoir des équipes de gamins qui s’entrainaient régulièrement .
Donc Intermarché est arrivé ! En lieu et place d’une vigne existante, les tractopelles ont eu tôt fait de faire place au bâtiment et au parking – alors moins importants qu’aujourd’hui- Il y a bien longtemps que la mémoire collective a oublié : que là, il y a quelques siècles, du temps de la splendeur de l’abbaye de La Sauve Majeure, il y avait donc là, l’un de ses prieurés qui accueillait les pèlerins en route pour Saint Jacques de Compostelle !
Au fil des années suivant l’installation du Super, sont venus Bricomarché, Le Crédit Agricole, le Centre de Santé, tout récemment une clinique vétérinaire, affirmant ainsi, et toujours plus la centralité économique donc vivante du bourg. Dès l’installation du Super, les magasins ont, assez rapidement fermés les uns après les autres quelquefois remplacés par quelques commerces : auto-écoles, pressing, restaurants à couscous et autres et surtout agences immobilières : le marché immobilier de la métropole étant sous tension, les communes limitrophes de Bordeaux sont de plus en plus convoitées. Il ne reste plus parmi les anciens établisements que la pharmacie de « Monique », la boucherie Lanot (ouverture en fin de semaine seulement)…Et ce qui était la rue principale de Langoiran est devenue une route de transit sillonnée, chaque jour, par des centaines de voitures et ce d’autant plus que la zone de chalandise du centre commercial s’étend en cercles concentriques sur des kilomètres du nord au sud et de l’est à l’ouest.
Ainsi va le temps… ainsi va la vie, à Langoiran le long de la Garonne…
Mais si l’on gagne le Haut Langoiran, au sommet du coteau, là tout n’est que calme, beauté et harmonie : la petite église romane, les maisons nobles, les vignobles alentours, dont beaucoup sont « bios » maintenant et la vue à 360°, d’une part, sur le moutonnement des coteaux de l’Entre-deux-mers et de l’autre, peut-être, la plus belle vue qui soit sur le château de Langoiran, la vallée de la Garonne, les méandres de la rivière et au loin la ligne rectiligne et sombre de la forêt landaise. Rien ne semble avoir changé depuis des siècles. Peut-être parce que bien heureusement, l’église et quelques maisons sont classées au titre des monuments historiques, ce qui certainement a évité que soit construit, non loin, « un crématorium » projet envisagé par le maire actuel particulièrement bien inspiré !
Après s’être ressourcé, selon l’expression consacrée, redescendre vers la Garonne en empruntant la sinueuse route, venant de Capian, qui rejoint la D.10 pour retrouver le village « Le Pied du château ».
L’éminent historien, qui est aussi notre référent, Philippe Araguas, rappelle que « le village s’est constitué, avant le château actuel, autour d’un prieuré Saint Germain et a du s’établir au Haut Moyen-âge. A cette période existait le château du bas, bâti dans les palus, dont les fouilles récentes ont permis sa datation probable au XIème siècle. Ce qui laisse penser que les premières maisons du village, semi- troglodytiques, ont du s’établir à partir des Xème et XIème siècles, mais surtout après le XIIIème siècle sous la protection du nouveau château. Celui que l’on peut admirer de nos jours. » – Et si cela est possible , « de nos jours », c’est grâce à cet ancien maire, (celui là même auquel on doit l’Intermarché), qui s’est rendu alors propriétaire d’une ruine invisible car engloutie par la végétation, s’employant ensuite, pendant des années, et encore aujourd’hui à réhabiliter cet incontestable témoin de l’histoire, jusqu’à l’habiter maintenant. A n’en pas douter la postérité se souviendra davantage du Sieur Bibonne pour ce « grand et noble geste » que pour l’installation d’un Intermarché dont l’espace sera devenu (qui sait), dans quelques années, une friche commerciale car ainsi va la vie au fil du temps! Les Langoirannais et autres étant alors approvisionnés à domicile (peut être) par les drones d’Amazone !
Aujourd’hui « LePied du château » a le privilège de posséder deux hauts lieux de rencontres : naturellement le château fort du XIIIème, curiosité pour touristes et spectateurs occasionnels de spectacles et tournois moyenâgeux régulièrement organisés par le Maître du lieu , et, sous la protection tutélaire de la forteresse la Boulangerie Contraire et son parking, car on ne peut les dissocier l’une de l’autre tant ils conditionnent ce microcosme qui constitue le Monde de Bernard Contraire ! Un espace de rencontres, donc de vie collective, qui s’est constitué pendant des années, où le Maître boulanger Bernard Contraire, enfant du pays connu et reconnu par tous, les anciens, les nouveaux, continue de jouer le rôle principal d’animateur , malgré la retraite, l’âge venu et peut- être justement en raison de ceux-là mêmes.
Cette boulangerie où se retrouve quotidiennement et plus particulièrement les dimanches, un échantillonnage, quelque peu, représentatif de la population française : les indigènes locaux aux racines ancrées sur ces terres de vignobles et d’eau depuis des siècles, auxquels se sont agglomérés, au cours des décennies, les autres habitués venus d’ailleurs, par choix ou obligation, dans la région : de la métropole bordelaise toute proche, de France et de Navarre, d’Espagne, du Maghreb, plus généralement d’Europe etc…travailleurs, ouvriers viticoles, artisans, propriétaires terriens, retraités, bobos, néo-ruraux, périurbains, jeunes et moins jeunes…tous ne viennent pas seulement acheter leur pain dont la célèbre spécialité de la maison « la baguette à l’ancienne » mais aussi pour se retrouver dans une ambiance, un espace particulièrement vivant et ce d’autant plus les samedis et dimanches, jours où précisément le parking rempli une fonction précise en plus de celle normale d’accueillir les véhicules Contraire et ceux de la clientèle, celle de devenir un petit forum. Des commerçants rejoignent le stand de fruits et légumes de « Thierry » installé à poste fixe et viennent compléter l’offre alimentaire avec : huitres, vins bio locaux, volailles et jambonneaux rôtis… Tous étant accueillis gracieusement sur ce parking privé.
Et puis, pratiquement quotidiennement, il y a Bernard Contraire chaleureux, jovial, tonitruant lorsqu’il vous interpelle depuis l’autre côté de la rue, vous salue avec un geste ample, racontant quelques blagues ou frasques passées dans sa jeunesse avec ses copains. Il est là, authentiquement du Sud –Ouest, homme de théâtre sans le savoir, et toujours boulanger. Ce métier qu’il a pratiqué depuis l’âge de 14 ans, et à le voir et le connaître, on ne peut que penser qu’il avait fait ce choix par vocation.
Et pourtant à quoi cela tient une vocation ? Au fait que le « drôle » qui devait entrer en apprentissage voulait surtout avoir ses journées libres pour « vivre ». Il voulait bien gagner sa vie mais pas la perdre, ce qui témoignait déjà d’une grande maturité ! Donc il a choisi la boulange, qui occupe les mitrons essentiellement la nuit !
Il est alors devenu apprenti chez Monsieur Baillet père, boulanger Au pied du château (boulangerie qui deviendra des années plus tard celle de Bernard Contraire). Ensuite il a été faire son service militaire qui dans ces années là durait un temps incertain! Libéré, il a été admis chez Les Compagnons du Devoir (1965) effectué son tour de France : Lyon, Strasbourg, Marseille et en 1968 a été promu Compagnon du Devoir. A son retour, il s’est marié et jusqu’en 1974, a travaillé comme ouvrier-boulanger à Bègles. C’est là que le destin intervient en la personne de Monsieur Baillet, son ancien patron-instructeur, qui partant à la retraite, lui propose de reprendre en la rachetant sa boulangerie.
Et c’est ainsi que Bernard Contraire est revenu en son Pays de connaissance, celui qui l’avait vu naître ! Vaillant, soucieux du travail bien fait, appliquant les valeurs inculquées par les Compagnons, il a commencé le travail tout seul…puis ensuite, il a eu l’idée de créer les tournées de livraison de pain, avec deux voitures, au porte à porte aux particuliers, aux restaurants. Parallèlement B. Contraire, n’oubliant peut-être pas son propre parcours, avait à cœur de former des apprentis qui après deux ans d’enseignement pratique partaient de chez lui ouvrier qualifié car sachant tout faire du métier. Il préférait, dit –il : « Les gosses en difficulté, à problèmes, et les enfants d’ouvriers…c’est là que l’on a les meilleurs résultats ! » Combien sont-ils, à lui devoir, d’avoir pu entrer dans la vie active avec un vrai et beau métier en mains ?
En 1999, la Boulangerie Contraire, continuant à se développer, deviendra une SARL familiale. Thibault Contraire, le fils, propose de créer alors un nouveau service, à savoir assurer la livraison du pain aux collectivités : hôpitaux, collèges, etc… En 2008, nouveau changement de raison sociale qui devient SARL Thibault Contraire (ce dernier étant le gérant). Le service livraison étant en constante évolution, il est alors décidé de séparer les deux activités : les livraisons aux particuliers, et aux professionnels sont différenciées.
Aujourd’hui 10 fourgons et 4 camionnettes sillonnent Bordeaux et alentours, mais toujours en respectant le principe d’une fabrication artisanale. Aujourd’hui, l’entreprise emploie32 personnes, réparties entre la boulangerie mère et une unité qui a été crée à Martillac. Cependant au Pied du Château, on continue à cuire le pain devant les clients, et à commenter l’actualité en achetant Sud-ouest. Bernard Contraire, bien que retraité, est toujours dans son monde donnant un coup de main souvent, parfois poussant un petit coup de gueule car toujours omniprésent, toujours à l’écoute de ce qui l’entoure.
En allant chercher sa baguette à l’ancienne ou bio, on ne manque jamais de lui dire : «Bonjour, comment ça va ? » Invariablement, il répond avec un sourire, une poignée de main vigoureuse, voire deux bises claquées sur chaque joue, c’est selon, « Pourvu qu’ ça dure ! »
« Oui, Monsieur Contraire, pourvu qu’ça dure ! »
Colette Lièvre.
Beau reportage et c’est avec émotion que je lis le parcours bien détaillé de mon frère Bernard CONTRAIRE. Oui, il a donné une belle âme et réussite à sa boulangerie!
Nos parents nous ont appris la générosité et il en est un bel exemple.
Toutes les félicitations!
Bel article sur Langoiran et sur cette belle et genereuse personne qu’est mon oncle et parrain Bernard Contraire. Merci, il mérite tellement de reconnaissance et de respect pour tout ce qu’ il fait! On l’aime !!!
Un homme d’exception.