Voilà une histoire qui ne date pas d’aujourd’hui, mais qui fait toujours polémique, les Langoirannais s’impatientent et aimeraient bien savoir si un jour les travaux de réfection des quais et du port promis par les différentes mandatures depuis de longue date seront enfin effectifs. Il est vraisemblable qu’il leur faille attendre encore un certain temps, non seulement pour des questions budgétaires qui concernent et la municipalité de Langoiran et la Communauté de communes du Vallon de l’Artolie, mais parce que celle-ci va être dissoute à la fin de l’année pour laisser la place à une communauté territoriale élargie. Pas certain que cette dernière, quelle qu’elle soit, décide que la réhabilitation du port et des quais de Langoiran soient prioritaires.
Et pourtant, ils en ont bien besoin. Ce pourrait être aussi l’occasion de faire prendre conscience aux propriétaires et locataires riverains que l’espace public devant chez eux n’est pas là pour leur servir de dépotoir, qu’un coup de peinture de temps en temps cela n’a jamais fait de mal à un portail, qu’un petit coup de sécateur au printemps sur la végétation ne peut que lui faire du bien…etc…etc.
Déjà en 1868, certains membres du Conseil Général émettent les vœux qu’un pont soit construit sur la Garonne en amont de Bordeaux, reliant Langoiran à Portets. Des études sont entreprises : les 73 communes concernées votent même des fonds pour la future construction estimée à 310.000 francs. Un avant-projet est terminé en 1871. Une première enquête publique a lieu deux ans après, et puis…c’est le silence !
Il faut attendre 1877 pour voir ressurgir une nouvelle enquête publique au cours de laquelle vont apparaitre quelques dissensions. Car si nul ne conteste le bien fondé d’un nouveau pont, les élus et les habitants de la commune de Beautiran située sur la rive gauche, protestent avec véhémence, n’étant pas d’accord sur le choix de l’emplacement du futur pont. Ils souhaiteraient que celui-ci aille de Tabanac (rive droite) à Beautiran… Ils font valoir, entre autre, que Beautiran est prévue pour être la tête de la future ligne de chemin de fer des Landes et que le jour où la ligne arrivera jusqu’aux ports de Castres et Beautiran, ce sera là seulement qu’auront lieu les échanges des produits des Landes (le bois essentiellement) avec ceux de l’Entre-deux-Mers.
Enfin ils font allusion au palus de Tabanac beaucoup moins submersible que celui de Portets. Il ne serait pas nécessaire de construire pour la traverse, une levée considérable.
Bien entendu les Langoirannais ne l’entendent pas de cette même oreille ni même d’ailleurs leur conseiller général, Monsieur R. Dezeimeris qui a par ailleurs la responsabilité des route au sein de l’Assemblée départementale. Il se félicite de l’emplacement choisi et le fait savoir : « …Il n’est pas douteux que d’ici peu d’années les transferts par tramway auront pris une franche extension, par conséquent, il est essentiel de mettre en rapport les lignes ferrées avec les communes voisines qui ne sont pas directement reliées au chemin de fer. Donc il serait souhaitable que le tramway puisse emprunter le pont, soit avec des wagons traînés par des chevaux, soit avec des voitures légères… » « …Langoiran fait un important commerce de fruits destinés à l’expédition vers Paris et l’Angleterre, il est très manifeste que le chargement des charrettes pour partir à la gare, le rechargement des wagons sont des opérations coûteuses et surtout très préjudiciable à la conservation des marchandises très délicate entre toute…c’est que le fruits, les pêches, par exemple, mises ainsi à l’abri des manipulations dangereuses, pourraient être cueillies en état plus voisin de leur absolue maturité, condition avantageuse à la fois pour le consommateur et pour la culture… »
Heureux temps où l’on se souvenait que les palus étaient submersibles et qu’un fruit cueilli et dégusté à maturité est un plaisir vrai !
Un si beau Pont…
Il a un tablier métallique prévu pour être placé à 9,66 m au-dessus de l’étiage de 1870. Il comporte trois grandes travées de 64 mètres d’ouverture libre et deux plus petites de 19 mètres, pour pouvoir répondre aux besoins de la navigation. Les ingénieurs doivent tenir compte également du terrain ainsi que le souligne l’agent voyer, chef adjoint, dans un rapport du 30 octobre 1877 : « …si d’ailleurs on examine le plan de la Garonne aux environs du pont de Langoiran, on voit que la rivière forme dans cette partie une courbe très prononcée, et, comme dans toute l’étendue de cette courbe, les terrains cultivés de la rive gauche se trouvent à une faible hauteur au-dessus de l’étiage (5 à 6 mètres environ), il en résulte qu’une partie considérable des eaux de débordements s’écoule en dehors du lit ordinaire sur une largeur de plus d’un kilomètre en suivant la corde de l’arc formée par la courbe. Afin de ne pas modifier cette situation, le chemin destiné à relier le pont projeté à la station de Portets sera établi au niveau des terrains naturels et de cette façon l’écoulement des crues se trouvera assuré dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui ».
Par conséquent il n’y aura pas d’exhaussement ! En ce temps là la sagesse prévaut encore.
Le 9 novembre 1878, le Président de la République, le Maréchal Mac Mahon, déclare d’utilité publique la construction d’un pont à péage, à établir sur la Garonne entre Langoiran et Portets. La dépense est évaluée à 530.000 francs, dont 20.000 francs fournis par le Ministère de l’Intérieur, 20.000 francs par le Ministère des Travaux Publics, et 490.000 francs qui doivent être couverts par un emprunt à 4% sur trente ans, contracté par le Conseil Général auprès de la Caisse des chemins vicinaux qui se substitue aux communes de Langoiran et Portets. En fait, le péage qui sera concédé à Langoiran devra servir à rembourser les intérêts de l’emprunt.
La construction du pont sera adjugée à la société Fives Lille en 1879.
Le 29 juillet 1880, alors que le pont est quasiment terminé, l’ingénieur en chef du Service Maritime signale que la hauteur libre de 10,66m qui a été fixée entre l’étiage de la Garonne et le dessous du tablier, lui parait insuffisante et qu’il y a lieu d’exhausser le tablier du pont de 1,64. Il n’oublie pas de rappeler qu’il avait déjà émis des réserves sur ce point lors de la présentation du pré-projet mais que les Ponts et Chaussées n’en avaient pas tenu compte. Bonjour l’ambiance !
Il en coûtera pour cette bévue quelques 58.000 francs supplémentaires qui vont obérer lourdement les remboursements futurs.
Du péage au phylloxéra.
En mars 1878 le cahier des charges pour la concession du péage à la commune de Langoiran est établi sur les bases suivantes : la concession est accordée pour trente ans ; la commune n’aura pas à faire face aux dépenses d’entretien, par contre elle reversera annuellement 12.000 francs en règlement des intérêts de l’emprunt.
En avril 1883 un tarif de péage, extrêmement complexe est officialisé. Il ne compte pas moins de 32 prix différents. Tous les cas de figures sont envisagés depuis la personne seule chargées ou non chargées, accompagnée d’une brouette, jusqu’aux mulet, cheval, âne, bœuf, veau, porc, voyageant soit à pied(sic) soit transporté à dos d’animal, en brouette, en voiture (sic). Les moutons, agneaux, brebis, boucs, chèvres, cochons de lait, paires d’oies ou de dindons ne sont pas oubliés, ni bien entendu, les charrettes, traineaux, diligences, voitures de postes …etc. Cette inflation de prix n’empêche nullement les déficits. En août 1885, le préfet fait état des déficits annuels constants dans les recettes de péage du pont.
Interpellée, la commune de Langoiran répond qu’il lui est impossible de payer par suite de l’amoindrissement de ses ressources, par le fait de l’invasion du phylloxéra et ses conséquences sur les marchés. Il est vrai que l’évaluation avait été faite par les ingénieurs et le service vicinal sur une base de12.000 francs/l’an, était valable à une époque de prospérité mais était impossible à tenir à la suite de la destruction du vignoble.
Dans l’immédiat, le Conseil général décide d’imposer d’office la commune de Langoiran afin qu’elle rembourse sa dette, mais la question pour l’avenir n’est pas résolue !
L’histoire ne dit pas pendant combien d’années encore les Langoirannais ont du se serrer un peu plus la ceinture pour payer leur pont, mais ceci explique, peut être, l’attachement viscéral que les générations suivantes lui portent toujours.
Le port de Langoiran.
Pratiquement dans le même temps, les Langoirannais ont eu à supporter la construction du port approuvée par le Préfet le 8 avril 1869.
En août 1884, le conseil municipal de la ville s’étonne et demande à l’Administration de faire en sorte que les travaux soient terminés au plus vite alors que les plans ont été approuvés en 1869.
Ce même conseil, deux ans auparavant, avait demandé l’autorisation de faire une plantation d’arbres sur le quai et d’y placer quelques bancs. Parallèlement, les travaux tout à fait remarquables du port (empierrement et maçonnerie des quais et cales) sont prolongés le long du cours de l’estey du Gaillardon, jusqu’au pont de Roses, qui bénéficie lui aussi d’un traitement architecturé, existant encore de nos jours mais qu’il est malheureusement difficile d’admirer étant donné son envasement permanent et son manque d’entretien.
Ces importants travaux sur le port de Langoiran n’empêchent pas les murs du quai de s’effondrer quelques années plus tard. En juin 1889, il faut réparer, consolider par des enrochements : la Garonne est toujours aussi présente et rebelle à toutes contraintes !
Ce qu’il faut noter aussi c’est que certains riverains de la route le sont aussi du port et ont leurs biens immobiliers pris en sandwich entre les deux lignes rouges d’alignement, celle de la route et celle du port. La construction du port suscite aussi des drames personnels.
Ainsi ce Maître charpentier de navire qui écrit sa détresse : « …car le quai qui va être construit devant le pont de Langoiran fera disparaitre sa cale, rendre inutile le chantier et plongera celui-ci et sa famille dans la misère,
Anéantissant le fruit de 25 années de privation, d’activité et de travail soutenu. Atterré par l’approche du malheur, je me permets de vous écrire, Monsieur le Préfet… »
Colette Lièvre
Sources : A.D.33SP519-12 Pont suspendu de Langoiran, service maritime 1866-1880
A.D 33S.P 1169-8 A.D.SP 2577
Extrait de « La Route François Mauriac, une si jolie route » p85-88 – Colette Lièvre.