Pintade farcie à la “Maurice Denis”

Posté le 26/03/2016 dans Les recettes d'Oncle Phil.

En ces premiers jours d’automne de l’an du seigneur 1977 la forêt de La Double, par laquelle on aborde le Périgord Vert en venant de Libourne constituait un merveilleux champ d’étude pour prolonger sans heurt un été qui avait été doux et serein. Je parcourais alors l’Aquitaine en compagnie de mon ami Bernard, chargé de la partie photographique d’un dossier que nous établissions alors sur les prieurés et dépendances de l’abbaye de La Sauve Majeure en Aquitaine. L’estafette Renault timbrée du sigle du CNRS, qui nous facilitait d’autant la prospection qu’elle induisait les populations locales à nous assimiler à des CRS en vadrouille, était stationnée sur la place déserte devant l’entrée du cimetière. Elle avait attiré l’attention d’un homme d’une quarantaine d’année qui l’examinait avec circonspection lorsque nous sortîmes de l’église chargés de notre barda photographique.

photo_saint Aulay66 Dans la lumière de cette fin de matinée de septembre, qui nous éblouissait d’autant plus que nous sortions de la pénombre de la nef, la silhouette de cet homme, que je pris au premier coup d’œil pour un croquemort venant d’accomplir son office, introduisait une note d’inquiétante étrangeté dans le paysage désert. De taille moyenne, brun et soigneusement gominé, il portait un costume noir de tergal luisant, des escarpins vernis et le nœud triangulaire d’une cravate de deuil maintenait sur un cou grêle les pans frisottés d’une chemise d’une impeccable blancheur. Lorsqu’il s’approcha d’un pas nonchalant de nous, un sourire aimable éclaira son visage en contrepoint radical de sa lugubre apparence. Il se présenta à nous comme conseiller municipal en charge du patrimoine de la commune et à ce titre, curieux de savoir ce qui nous amenait à photographier l’église de son village. La conversation s’engagea. Monsieur l’adjoint au patrimoine était cultivé mais pas jusqu’au point de savoir que La Sauve avait reçu à la fin du XIIème siècle, en dot de Pierre d’Aubeterre, le seizième des dîmes de Saint-Aulaye, il s’en émerveilla, nous invita à interroger l’iconographie mystérieuse d’un chapiteau de la façade qu’il nous dit avoir mainte fois dessiné pour tenter d’en résoudre l’énigme et s’inquiéta de savoir où nous comptions déjeuner. Devant le peu d’enthousiasme que semblait susciter pour nous le menu du jour de « La table à manger », dont il ne minimisa pas les talents de la cuisinière, cette bonne Georgette, il nous proposa sans ambages de nous inviter à le suivre pour partager le déjeuner familial : que l’on suive sa vieille deux chevaux grise et nous pourrions jouir d’une halte bien méritée dans cette journée de travail. L’estafette s’engagea donc derrière la deux chevaux qui se coulait à une allure de calèche muletière dans le tunnel de verdure qui relie Saint-Aulaye à Puymandou ; on quitta bientôt l’asphalte pour des chemins manifestement aménagés pour mettre en évidence la souplesse de la suspension de la deux chevaux mais moins adaptés à celle de l’estafette Renaud, pour parvenir au terme d’un trajet qui nous parut interminable à l’entrée d’une allée qu’avait pu fermer, avant le début de la première guerre mondiale, un large portail dont ne subsistait en pied que le pilier droit auquel était suspendu un panneau sur lequel on pouvait lire le nom du domaine auquel il donnait accès : La Motte Rouge. Même si la forêt de la Double n’évoque que de très loin la sauvagerie des Carpathes, ce toponyme sanglant associé à l’apparence funèbre de notre guide, une vague inquiétude, sans doute aiguisée par l’appétit, ne manqua pas de troubler nos jeunes et romanesques imaginations. L’allée décrivait une large courbe dans une forêt ravagée par des coupes sauvages et des taillis ronceux pour déboucher dans une cour de ferme encombrée d’épaves d’instruments agricoles. Sur un Ferguson qui avait du arriver en Périgord par les grâces détournées du plan Marshall, un vieux paysan au béret vissé sur un crâne que l’on devinait chauve se démenait pour tenter de déplacer un tas de moellons provenant vraisemblablement de l’effondrement de ce qui avait été une füe seigneuriale dont subsistait un pan de muraille. La deux chevaux s’immobilisa dans son cahotement spécifique auprès du tracteur, le temps, pour son chauffeur, soulevant l’abattant vitré de la portière, de héler Fernand dont on comprit qu’il allait être notre commensal. D’un geste Monsieur C. nous invita à le suivre et à garer l’estafette devant le perron d’une grande maison d’allure seigneuriale dont le crépi ocre s’écaillait formant de larges taches grises qui s’harmonisaient avec la teinte des quelques volets encore suspendus à leurs gonds rouillés. La porte, qui gardait l’empreinte de la platine rocaille d’un heurtoir disparu, ouvrait sur un vaste vestibule dans lequel avait du se déployer un grand escalier auquel s’était substitué un assemblage approximatif d’échelles meunières donnant accès à l’étage. Le vestibule ouvrait dans l’axe de la porte d’entrée sur un grand salon dont les murs avaient dû être revêtus naguère de boiseries, il n’était meublé que d’une grande table à tréteaux sur les longs cotés de laquelle s’alignaient une dizaine de chaises dépareillées. D’une voix claironnante et enjouée, M. C. lança un puissant « Madeleine ! je vous amène quelques charmants convives ! » en direction de la porte basse de ce qui s’avéra être une cuisine. En surgit, l’air étonné mais avec un sourire ravi, une grande femme aux cheveux gris ramenés en un gros chignon négligé sur la nuque ; elle portait sur un ensemble en jersey bordeaux passablement avachi un tablier de devant de maître de chais en serge d’un bleu éteint moiré de traces de graisse et ses pieds nus enfilaient des sandales de plâtrier rayées noir et blanc qui n’entravaient pas une démarche légère et gracieuse. S’approchant de nous elle tendit haut une belle main aux doigts un peu rougis accompagnant le geste de mots d’accueil prononcés avec l’accent inimitable du Faubourg Saint-Germain. Elle était ravie de l’initiative de Georges et elle nous priait d’avance d’accepter un repas improvisé construit des reliefs d’un dîner de chasse qu’elle avait donné la veille au soir pour des voisins de campagne. La table fut rapidement dressée par Georges lui-même avec les éléments d’un beau service en vieux Paris, des couverts désargentés et des verres en duralex dans lesquels nous fut servi un vin blanc qui avait tout d’un vieux Monbazillac délicieusement madérisé. Fernand, qui avait roulé son béret dans la poche de sa cote à bretelles, découpa de larges tranches d’un beau pain bis avant de prendre place à table où il commença à se nettoyer les ongles de la pointe de son Opinel. Georges nous invita à prendre place sans attendre son épouse pour nous ouvrir l’appétit de quelques tranches de cou d’oie farci qui tiendraient lieu d’entrée. Madeleine ne fut pas longue à réapparaître, elle avait quitté son tablier et portait un grand plat ovale sur lequel était dressé, sur une épaisse couche de farce les membres dorés d’une volaille qu’elle nous annonça être une pintade tuée et préparée le matin même par Fernand. Éludant très vite les compliments sur les délices de la gastronomie périgourdine et sur la merveille dont elle nous régalait, Madeleine nous fit part du plaisir qu’elle avait à rencontrer des jeunes gens curieux des choses de l’art et se montra bien vite bien meilleure connaisseuse du patrimoine périgourdin aquitain et national que n’aurait pu le laisser deviner un mode de vie aussi champêtre ; mais ses références étaient telles qu’elles figèrent subrepticement nos répliques dans une honteuse conscience de notre incompétence professionnelle. Entre la poire et le fromage un blanc se prolongea dont je tentai de sortir en cherchant des yeux un objet sur lequel faire rebondir la conversation ; j’avisai un petit cadre de bois naturel enfermant un portrait d’enfant posé sur le manteau noirci de la cheminée qui me faisait face : c’était le seul objet de quelque intérêt artistique de cette vaste pièce aux murs totalement nus. Le désignant du regard au dessus de l’épaule de mon hôtesse je hasardai un compliment sur ce joli petit tableau, visiblement rescapé d’un vaste naufrage.
J’avais visé juste, le sourire de Madeleine éclaira soudainement un visage sur lequel commençait à se lire une certaine lassitude devant la déception provoquée par l’inculture crasse mal masquée par le vernis académique de ces jeunes historiens de l’art fraîchement émoulus de l’Université :
Scan0003“N’est-ce-pas, me dit elle, l’œil brillant, il est ravissant, c’est un portrait de moi enfant par Maurice Denis !
La glace était à nouveau brisée, à l’évocation du nom de ce peintre qui avait beaucoup fréquenté, me dit-elle, le salon de sa grand-mère. Ce nom, auquel jusqu’alors je n’attachais guère que l’étiquette de « Nabi », le vague souvenir d’une peinture d’une fraîcheur à peine pervertie par des relents de catholicisme et la provocatrice définition du tableau de chevalet : « se rappeler qu’un tableau, avant d’être un cheval de bataille, une femme nue, ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblés », était pour elle évocatrice du monde enchanté de l’enfance. Madeleine, du fond de cette vieille demeure délabrée du Périgord Vert se replongeait soudain dans l’émerveillement des années heureuses de l’avant-guerre passées entre la maison de sa grand-mère au Vésinet et l’appartement atelier bohème que ses parents occupaient à Montparnasse et où elle avait sauté sur les genoux d’André Gide.
“Ah ! oui, je connaissais « Le Voyage d’Urien », mais c’est incroyable qu’un jeune homme puisse s’intéresser encore à cette littérature si décadente ! “
“Ah ! bon, je ne connaissais pas la coupole du théâtre des Champs Elysées ? Mais il faut sortir jeune homme, il n’y a pas que l’art roman que diable !”
Pintade farcie à la Maurice Denis
Une belle pintade du Périgord de 1kg5 avec foie et gésier
Quatre cuillerées de graisse d’oie
100 grammes de tendrons de veau haché fin
100 grammes de chair à saucisse
Le foie et le gésier de la pintade
Six branches de persil
Une gousse d’ail
Deux cent grammes de marrons soigneusement pelés et brisés
Un sachet (50 grammes) de chanterelles séchées
2 cuillerées à soupe de Cognac
Un petit suisse
Sel poivre quelques grammes de noix de muscade râpée

Réhydrater les chanterelles dans le Cognac
Hacher menu les ingrédients de la farce, y intégrer les marrons brisés et les chanterelles
Poivrer saler et farcir la pintade ; la ficeler
Faire dorer la pintade dans une cocotte de fonte sur feu vif avec la Graisse d’oie,
Une fois qu’elle est bien et uniformément dorée, mouiller légèrement, couvrir et la glisser dans le four chaud 50 minutes
Chauffer un plat ovale de Grosse faïence
Découper la pintade et la servir sur la farce avec la sauce obtenue par déglaçage de la cocotte au Madère.
Oncle Phil.


One Reply to “Pintade farcie à la “Maurice Denis””

  1. “Madeleine” est peut être parente avec ma grand-mère Marthe, dont le portrait, et aussi celui de sa soeur Thérèse et son frère Marcel, et de ses parents, a été également fait par Maurice Denis, en 1897, et qui a vécu à Saint Aulaye… et du côté de Servanche… Merci pour la recette !

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