Un arbre pour presque tout
Il y encore un demi-siècle, l’ouest et le sud-ouest de la France étaient une terre de bénédiction pour l’orme champêtre (Ulmus minor Mill.). Ses usages comme matériaux de construction et d’outillage, fourrage d’appoint en période de sècheresse, bois de chauffage abondant, ameublement et outillage faisait le bonheur des ruraux ; comme arbre médicinal également puisque la décoction d’écorce interne, l’aubier, était connue depuis fort longtemps pour soigner certaines irritations et inflammations.
L’orme ancien de la place de l’église du bourg de Biscarosse, Landes, passe pour avoir environ 650 ans. Planté à proximité de l’église paroissiale, il a pu initialement se trouver dans le cimetière. Il est probable qu’il ait servi d’arbre de justice.
A l’appui de cette thèse la légende d’un édit seigneurial qui menaçait d’y exposer nue toute femme adultère, jusqu’au jour où l’apparition d’un bouquet de feuilles blanches fut perçue comme le signe de l’innocence d’une des victimes. Cette légende met donc en lumière l’apparition d’une particularité de l’arbre qui ne manqua pas d’étonner nos ancêtres (photo de l’auteur, été 12008)
Au centre des bourgs il démarquait de tous temps l’espace franc c’est-à-dire libre de servitudes et, près des églises, il ombrageait les assemblées villageoises. Par contre, dans les cimetières, une très ancienne tradition prévoyait l’utilisation du chêne selon des croyances religieuses, l’orme arrivant loin derrière pour des raisons économiques et écologiques.
On trouvait l’orme devant les châteaux où sa présence, attestée dès le XIIIe siècle, affirmait l’usage du droit de haute justice à l’occupant des lieux. Ceux du château de Pelvézy (Saint-Geniés, Dordogne) ont connu le passage de Saint-Louis en 1245 et seront régulièrement replanté pour pérenniser le droit féodal. Les derniers disparurent il y a une centaine d’années après avoir atteint onze mètres de circonférence.
Des plantations d’ormes servirent à faire perdurer quelques bons souvenirs plus surement qu’une mention dans une charte ou un registre paroissial. Si la plupart des arbres en général retournèrent dans l’anonymat, ici et là certains gardèrent le souvenir de la naissance de Louis XIII, d’une victoire militaire, d’un évènement familial ou d’une joie villageoise… Pour illustrer mon propos je prendrai comme exemple la plantation des ormes jumeaux de la garenne du château de Nérac (Lot-et-Garonne) par Henri IV et sa première épouse Marguerite de Valois.
La tradition populaire a conservé le souvenir d’ormes surnommés “Les jumeaux de la Garenne” (ci-contre carte postale vers 1920) comme plantés par Henri IV et sa première femme Marguerite de Valois en guise de réconciliation au cours de l’hiver 1578-1579 . Les arbres ont disparu des suites de la graphiose une maladie qui a détruit la plupart des grandes ormes européens dans la période 1975-1990
Au XVIe siècle, quand les plantations d’alignements furent encouragées le long des routes par le roi François Ier, on pensa à l’orme. Son fils Henri II allait innover en la matière en décidant la généralisation de cette pratique puisque l’édit de février 1552 prévoyait que « tous seigneurs, manants et habitants des villes, villages et paroisses aient à planter et faire planter dedans la fin de ceste présente année, et en saison propre, le long des voiries et grands chemins publics, et es lieux qu’ils verront plus commodes et propres, si bonne et grande quantité des ormes, qu’avec le temps notre royaume s’en puisse voir bien et suffisamment peuplé et pourvu. ». Voilà qui était bien pensé ! Quarante ans plus tard, le grand voyer d’Henri IV -Sully, duc de Rosny- reprenait à son compte cette initiative, seule capable d’assurer des approvisionnements constants en bois de qualité pour l’artillerie (affûts de canons) et la marine (membrures des quilles…) essentiellement. Bien entendu il fallait s’y prendre en avance car un bel orme demande quand même 150 à 200 ans de délai ; c’est ainsi que les ormes d’Henri II passeront à la postérité sous le nom d’ormes de Sully !
Un autre usage de l’orme en Aquitaine, c’est sa fonction topographique pour baliser les gués ou promontoires ; les carrefours de chemins visibles ainsi de loin grâce à sa haute taille, en concurrence dans cette fonction avec le chêne pédonculé (Quercus robur). Son fort branchage en faisait de magnifiques arbres à pendus ce qui était une façon sobre et efficace de marquer son territoire tout en réaffirmant son libre exercice de la fonction de haute justice.
La présence de l’orme dans les villes relève de tout un ensemble de droits et de servitudes dont il était le témoin irrécusable au cas de contestations.
Un roi à Bordeaux
Dans une ville comme Bordeaux, l’orme sera longtemps un roi incontesté. Au XVe siècle celui de la Recluse bornait un carrefour très passager proche de l’abbaye Saint-Seurin, en vue des murailles puisque cette abbaye n’en faisait point parti. Son nom semble provenir du voisinage d’une chapelle vouée au culte de saint Lazare. A proximité se dressait l’orme Papon, un arbre célèbre aux XIIIe et XIVe siècles, qui abritait sous sa ramure deux chemins à portée de flèche des remparts de la ville. Vers 1302, l’agrandissement de Bordeaux lui fit incorporer dans ses murailles l’ancien cimetière du tènement de Campaure. Là se trouvait un arbre gigantesque qui garda le souvenir du lieu, et comme ce dernier était un arbre et cet arbre un orme, il fut simplement appelé l’orme de Campaure.
L’orme de Saint Eloi est un orme lisse (Ulmus Laevis) qui se trouve sur le front de mer d’Andernos(Gironde) devant les substructions de la villa gallo-romaine et l’église Saint Eloi , raison pour laquelle je lui ai donné cette dénomination. Il présentait sensiblement le même aspect au cours des fouilles de 1902 comme l’atteste le panneau du site. Malgré son aspect chétif cet arbre est âgé de deux bons siècles. C’est un des rares représentants d’une espèce en voie de disparition n’existant plus qu’à l’état disséminé en Aquitaine . A ce jour il ne fait pas l’objet de mesures de protection.(photos de l’auteur, avril 2010)
D’autres plantations d’ormes portèrent longtemps le témoignage d’une volonté d’embellissement de la rive gauche de la Garonne, sur ce qui allait devenir les quais. Un de ces ormes en particulier allait traverser le temps jusqu’au XIXe sous les noms successifs d’Orme des Amants puis d’Orme de la Duchesse (2) pour avoir servi de rendez-vous galant et de lieux de festivités incontournables. Il est probable que le château de l’Ombrière ou castrum umbrariae bâti vers 910 pour servir de demeure aux ducs d’Aquitaine, doive son nom à ces allées d’ormes qui l’ombrageait du côté rivière.
En 1620 le maréchal de Roquelaure retint tout naturellement des ormes pour planter l’esplanade nue au-devant de l’église Sainte-Eulalie. Il fit bien car sous ces ormes naquit en 1648 une célèbre révolte qui portera pour la postérité le nom d’Ormée. Les bourgeois révoltés adoptèrent si bien l’orme qu’ils imprimèrent papiers et frappèrent jetons à son effigie ! En 1653, la division des révoltés et l’arrivée de l’armée royale vint mettre brutalement un terme à cet essai de république bordelaise et les ormes de Sainte-Eulalie retournèrent dans l’anonymat.
Un siècle plus tard, le marquis de Tourny choisit aussi des ormes, en mélange avec les tilleuls de Hollande, pour planter les fameuses promenades qui feront sa renommée. Commencées en 1744, achevées en 1751, elles comprirent quatre rangées d’arbres plantés sur les glacis du château Trompette, une cinquième entre la chaussée et des maisons construites à partir de 1745. D’autres plantations d’ormes agrémentèrent la rue du Chapeau Rouge, l’accès au Château Trompette, la place de la Comédie. Au Jardin public inauguré en 1756, trois alignements d’ormes étaient plantés parallèlement à la clôture. Au total, Tourny employa 500 ormes accompagnés de 700 à 800 tilleuls de Hollande (3). Devenu Champ de la Fédération sous la Révolution, les ormes morts du Jardin Public sont remplacés en 1792 par des arbres amenés de Macau par Etienne Cot qui en profite pour compléter ceux des Chartrons.
L’orme révolutionnaire
Après celle de 1789, la révolution de 1848 sera l’occasion de remettre l’orme au goût du jour. Un grand nombre d’arbres seront plantés dans les communes en prenant soin parfois d’enfouir un message témoignant de l’espoir des planteurs dans le futur. Le souvenir oral d’une bouteille contenant un parchemin s’est perpétué dans quelques lieux comme à Grézillac (Gironde) mais l’abattage de l’orme champêtre en 1986 ne permit pas de la retrouver
C’est aussi la tradition orale qui a conservé l’identité de l’orme de Rauly à Saint-Avit de Soulège (Gironde). Ces cérémonies n’étaient pas officialisées par une mention au registre des délibérations communales par mesure de prudence. Napoléon III, un an après 1848, trahissait la république et faisait supprimer les symboles républicains, à l’exception des trois couleurs pour leur fort symbolisme en termes de victoires militaires. Les arbres de la liberté seront abattus sur l’instigation du ministre Faucher –le bien nommé- mais quelques municipalités ne suivirent pas les directives impériales. L’orme de Rauly aura donc résisté aux hommes et à la graphiose. Avec le bouturage dont il a fait l’objet voici cinq ans en vue de son intégration dans la collection d’ormes de l’unité C.E.M.A.G.R.E.F. de Nogent-sur-Vernisson, sa descendance entrera peut-être dans le génome des ormes résistants à la graphiose, ceux qui amorceront le retour tant attendu de cet arbre extraordinaire.
Jean-François Larché
Crédit photographique: Jean-François Larché.
Bonjour,
Dans ce texte très intéressant sur les ormes il m’a semblé qu’il manquait quelque chose.
Vous pourriez trouver une info supplémentaire en utilisant le lien suivant :
http://www.vallee-du-ciron.com/Sauternes/SautChateauFillhotOrmee%20.htm
Salut.
Il y a un orme remarquable…..sur le parking de la gare de Langon ! Personne n’y fait attention, et pourtant il est assez gros et en assez bon état.
On en trouve aussi 3 au domaine de Malagar (à gauche de l’entrée d’en haut), l’un d’eux, je crois, sera abattu, mais ils ont plutôt remarquables.
Si la graphiose empêche les ormes de devenir grands quand ils sont en forêt ou en haie (proximité => propagation), on en trouve beaucoup à l’âge jeune dans les haies et les forêts jeunes ou bien éclaircies (au sommet du Calvaire, Verdelais), cependant ils présentent des symptômes de maladie.
je recherche le nom d un village qui possedait un orme champetre dote d etonnantes vertus therapeutiques sur le blason de ce village y figure un orme
Si quelques lecteurs ont une réponse à la question de Joelle merci de lui répondre par l’intermédiaire du journal.
L’orme de Langon a été abattu il y a un moment, hélas.
Autre remarque : le nom de la commune d’Omet est un nom gascon signifiant “ormaie” (du latin ulmus + suffixe collectif -etum).
A Andernos l’ormeau qui vient d’être abattu en octobre 2017 n’est pas le même que celui des fouilles de 1903, Celui des photos d’époque était à quelques mètres, il est tombé lors d’une tempête dans les années 40 … Celui qui vient juste de mourir devait avoir environ 120 ans