Sublime mascaret

Posté le 05/01/2012 dans Environnement.

 


L’Entre-deux-Mers[1] est cette partie du territoire girondin entre Garonne et Dordogne, ces deux rivières mythiques qui à la pointe d’Ambès mêlent leurs eaux pour devenir Gironde dans l’estuaire avant de rejoindre l’océan atlantique. En amont les limites territoriales de l’Entre-deux-Mers sont définies précisément là, où cesse l’influence de la marée. Cette dernière se propage depuis la pointe de Graves (à l’embouchure de l’estuaire) jusqu’au Bec d’Ambès. Là, elle se partage entre Garonne et Dordogne. Le mascaret prend forme à partir de Macau (Médoc), se propage jusqu’à hauteur de Barie, côté Garonne et Vignonnet, côté Dordogne, soit à plus de 140 kilomètres de l’embouchure de l’estuaire. Là aussi finit l’Entre-deux-Mers dont la dénomination tient son origine d’une appellation moyenâgeuse qui signifiait « Entre deux marées »

Dans cet Entre-deux-Mers, qui évoque la marée ne peut que penser au Mascaret, ce sublime phénomène naturel qui surprend, émeut celui qui le voit et l’entend pour la première fois et laisse un souvenir inoubliable, sans cesse renouvelé chaque année . Il est plus particulièrement observable et spectaculaire au moment des grandes marées de septembre.

Qu’est ce que le mascaret ?

Il n’existe à travers le monde que 80 sites à mascaret car il faut certaines conditions geo-morphologiques pour que le phénomène puisse exister. « …Parmi les plus connus et les plus impressionnants, on trouve le Pororoca sur l’Amazone au Brésil, le Dragon Noir sur le fleuve Qian Tang en Chine .L’Europe possède une quinzaine de sites à mascaret en Angleterre et en France, en Aquitaine et en Normandie… » Les mascarets français n’ont pas de dénomination propre ils sont tous désignés par le nom générique de mascaret, « mot gascon, signifiant bœuf tacheté, évoquant la métaphore d’un animal bondissant. Bien qu’ayant un nom gascon, les mascarets d’Aquitaine ont été très peu étudiés. La référence historique la plus ancienne remonte au IVè siècle, avec un texte de Sidoine Apollinaire (430-486), évêque de Clermont-Ferrand, qui décrit le phénomène de la marée et du mascaret au niveau du Bec d’Ambès. L’Agenais Palissy (1510-1590) propose une théorie sur la formation du mascaret, qui nous apparaît maintenant fantaisiste, en attribuant la formation du mascaret à des masses d’air emprisonnées dans le sol et qui ressortent en faisant gonfler le niveau de l’eau. Ces deux références historiques ne parlent que de la Dordogne, certainement parce que ce mascaret ne remontait pas, alors, en amont de Bordeaux

La première explication moderne est réalisée par Brémontier (1738-1809) ingénieur des Ponts et Chaussées qui entre 1770 et 1780 a réalisé, en Aquitaine, de nombreuses études concernant les ports et l’aménagement des dunes. Il explique que le mascaret est produit par le déferlement de la marée. Il y aura par la suite une littérature abondante, en particulier sur le mascaret de la Seine qui a donné lieu à de nombreuses publications jusqu’à sa disparition en 1963. Avant les travaux d’endiguement qui l’ont fait disparaître, ce mascaret atteignait une hauteur de 2m50. En 1951, Destriau a établi une carte détaillée des zones à mascarets sur la Dordogne à partir d’observations et de mesures photographiques. Il a aussi tenté d’expliquer le phénomène d’amplification du mascaret 1 à  2 jours après les grandes marées. Plus récemment en 1990, quelques mesures ont été effectuées par le laboratoire EPOC sur la Dordogne… »

Cela fait à peu près quarante ans que le mascaret en Aquitaine fait l’objet d’une forte médiation et ce en raison de la pratique du surf, qui nous est venue d’outre-atlantique,  et qui chaque année à certaines périodes fait venir des centaines de surfeurs. Et pourtant, malgré son nom gascon, sa notoriété, paradoxalement le phénomène a été jusqu’à présent, très peu étudié par le milieu scientifique. « …Pour les spécialistes, le mascaret, appelé « tidal bore » en anglais, est une onde positive de translation qui se forme dans certains estuaires lorsque les conditions de marées et de débits sont favorables. Deux types de mascarets sont observables selon la forme de l’estuaire et les conditions hydrodynamiques : le mascaret déferlant et le mascaret ondulé. C’est ce dernier type qui est observé en Aquitaine. Cette onde se caractérise par une série de vagues qui se propagent vers l’amont au niveau de la renverse de la marée juste après la basse mer ; le front du mascaret ondulé est suivi d’ondes secondaires puis d’une zone chaotique de vagues appelées « éteules ».

Le phénomène qui produit le mascaret est complexe et réunit plusieurs thématiques scientifiques  compliquées et difficiles comme la propagation de la marée en milieu peu profond, la genèse et la propagation d’un ressaut hydraulique, l’hydrologie des fleuves et la morphologie des fonds, l’ensemble en milieu hostile.

« …La morphologie de l’estuaire contrôle la propagation de l’onde de marée. Plus l’estuaire est étroit et peu profond, plus l’onde de marée est freinée par dissipation d’énergie sur le fond. De plus, l’estuaire de la Gironde est de type « hypersynchrone » c’est-à-dire que ces rives convergent en allant vers l’amont, avec une forme caractéristique en entonnoir. Ceci provoque une augmentation de l’amplitude du marnage et des courants de marée de l’aval vers l’amont. L’effet de convergence des rives fait gonfler l’onde de marée et devient prédominant sur les effets de frottement. Ce phénomène est particulièrement marqué en période d’étiage et de mortes-eaux. De plus,  l’onde de marée devient dissymétrique en se propageant vers l’amont, la durée du flot devient plus courte que la durée du jusant. L’onde de  pleine mer se propage plus vite que l’onde de basse mer qui la précède comme si elle voulait la rattraper. Plus le coefficient de marée est élevé plus le phénomène s’intensifie. Ceci se traduit par une brusque élévation du niveau d’eau en début de flot allant jusqu’à la formation d’un mascaret pour les plus forts coefficients de marée. »

L’étude.

En 2009, un groupe de chercheurs, réunissant plusieurs disciplines, a été constitué pour mener à bien un programme d’études des mascarets en Aquitaine. Deux campagnes de mesures ont été mises en œuvre pour mieux comprendre la dynamique des mascarets dans la système Gironde/Garonne/Dordogne et leur impact sur le transport des sédiments, le fameux bouchon vaseux.

« …Les mesures ont été réalisée sur la Garonne, sur le site de Podensac, situé à 140 kms en amont de l’embouchure.

 La première campagne a eu lieu du 24 février au 15 avril 2010 avec un débit élevé de 700m3 d’eau seconde, et la deuxième étude a eu lieu du ler septembre au 22 octobre 2010 avec un débit faible de 125m3 d’eau seconde. Ces mesures ont constitué la première campagne d’étude des mascarets au niveau international puisque aucun mascaret n’avait jusqu’alors été expérimenté de manière intensive… »

Le site de Podensac sur la rive gauche de la Garonne a été choisi en raison de la réunion de plusieurs conditions favorables pour le type de mesures envisagées, entre autre parce que les gros mascaret de septembre se développent particulièrement bien en ce lieu. De plus le site présente une section rectiligne qui évite les perturbations dues aux méandres de la Garonne, et il est moins fréquenté par les surfeurs contrairement à d’autres sites comme Saint Pardon sur la Garonne qui est devenu un rendez-vous emblématique et obligé des surfeurs de tous horizons.

La campagne mascaret 2010

«  Au préalable, une grande campagne d’observation a eu lieu le 20 septembre 2009 afin de caractériser un mascaret de forte amplitude(le coefficient de marée était de 110) Cinquante personnes ont été déployées et un bateau a suivi le mascaret sur l’ensemble de son parcours. Ceci a permis de préparer les deux campagnes de  mesures. Une première campagne a été mise en place en février et mars 2010 afin de tester le comportement des instruments de mesures et les structures de mouillage. Les structures accueillant les capteurs ont été conçues pour pouvoir résister à un milieu hostile, car à cette période de l’année les forts débits de la Garonne peuvent charrier de gros objets, comme des troncs d’arbres. En raison des forts débits, il était évident qu’il n’y aurait pas de gros mascaret durant cette étude. Cependant à la surprise générale, les capteurs de pression ont révélé des ressauts de marées de faible amplitude (50cm) sans vague avec une grande ondulation du plan d’eau. On ne peut pas à proprement parler de mascaret, on n’observe pas de vagues bien formées. »

Instrumentation et résultats.

«  Durant la campagne de septembre 2010, 17 instruments (capteurs de pression, mesure de turbidité, profils de vitesse) ont été mouillés sur le site de Podensac, sur trois sections espacées d’environ 200 mètres

 Ces instruments sont des instruments classiques utilisés dans les mesures hydrodynamiques que l’équipe de recherche METHYS développe sur d’autres sites d’étude (Gironde, plages, bassin d’Arcachon…)

Ces différents  instruments permettent… d’établir un profil complet de la vitesse sur toute la colonne d’eau et donc de calculer les débits et le transport de matière si on connaît le contenu des sédiments de l’eau…ou bien .mesurer à haute fréquence ce qui permet d’étudier des phénomènes fins comme la turbulence…ou encore mesurer la turbidité de l’eau par une méthode optique qui consiste à envoyer un signal lumineux infrarouge et dont on mesure le taux de diffusion sur les particules en suspension. Ces instruments comportent aussi des capteurs de pression, température et de salinité…et enfin permettent de suivre l’évolution du fond et de déterminer des séquences d’érosion ou de dépôt.

Effet du mascaret sur la remise en suspension des sédiments.

« …les résultats montrent l’effet du mascaret car on voit nettement une variation brutale du 0 à 20grammes/litre au passage du mascaret. Une heure plus tard la concentration augmente pendant la marée montante pour atteindre plus de 100 grammes /litre et diminue ensuite au fil de la marée descendante. Cette phase d’augmentation coïncide avec le passage du fameux bouchon vaseux… ».

Mesure des vagues d’un gros mascaret.

« …évolution de la profondeur le 10 septembre 2010. A marée basse, il  a environ 3 mètres d’eau et le marnage (variation du niveau d’eau) est de 6,3mètres. Au moment du passage du mascaret on assiste à une dissymétrie de l’onde marée et une variation brusque de hauteur. Le saut est d’environ 90 cm avec des vagues qui dépassent 1,3mètre d’amplitude, avec une période d’environ 3 secondes. On peut aussi constater la disparition puis le renforcement du mascaret environ 50 secondes plus tard, phénomène qui va se reproduire périodiquement provoquant une ondulation du plan d’eau à peu près tous les 300 mètres… »

 

Vocabulaire :

Le jusant est un terme maritime qualifiant la période pendant laquelle la marée est descendante. Les professionnels de la mer utilisent plus volontiers le mot jusant que son synonyme reflux.

Le marnage désigne la différence de hauteur d’eau entre les niveaux d’une pleine mer et d’une basse mer consécutives, mais aussi les fluctuations du niveau de l’eau dans les cours d’eau, les canaux, bassins et retenues et le dénivelé sur lequel se font ces fluctuations.

La turbulence désigne l’état d’un fluide,( liquide ou gaz), dans lequel la vitesse présente en tout point un caractère tourbillonnaire : tourbillons dont la taille, la localisation et l’orientation varient constamment.

La turbidité désigne la teneur de matières situées dans le liquide et qui le troublent.

Repères :

Ces campagnes d’études et de mesures ont été réalisées par un groupe de chercheurs du laboratoire EPOC( Environnement et Paléoenvironnement Océanique et Continentaux) de l’Université de Bordeaux 1, en collaboration avec le CEMAGREF qui  a mis en place le programme d’études des mascarets d’Aquitaine avec le soutien financier de la région Aquitaine et de l’Université de Bordeaux1

Cet article fait référence et reprend de larges extraits (en italique) de l’article paru dans « Le mois scientifique d’Aquitaine » n°321/322, dont les auteurs sont : Jean-Paul Parisot – Philippe Bonneton – Nathalie Bonneton – Aldo Sottolichio et Guillaume Detandt = équipe METHIS. CNRS.UMR.EPOC – Université de Bordeaux 1 .Talence .33405 .

Nombreux sont ceux et celles, y compris originaires de Gironde, qui n’ont encore jamais vu un mascaret, nous les invitons en septembre prochain à vérifier les heures et coefficients de marées et à se rendre sur sites, celui de Saint Pardon sur la Dordogne affiche souvent « complet » et très accaparé par les surfeurs mais le mascaret est tout aussi spectaculaire sur la rive droite de la  Garonne à la hauteur du Tourne et Langoiran à quelques vingt kilomètres de la place de la Bourse de Bordeaux !

 

 



[1] Ne pas confondre  avec l’aire d’appellation viticole contrôlée « Entre-deux-Mers » qui ne recouvre qu’une petite partie de ce territoire, ce dernier étant aussi le berceau des appellations d’origine contrôlée Premières côtes de Bordeaux (rouge, blanc, rosé) des liquoreux Cadillac, Loupiac, Sainte Croix du Mont , toutes appellations réunies aujourd’hui sous le vocable de « Côtes de Bordeaux »


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