Les temps modernes sont d’abord ceux de la technique et des communications. Communications par voies routières, ferrées, fluviales, maritimes, aériennes et de nos jours numériques.
Les temps modernes sont ceux de l’accélération des échanges de marchandises, des hommes, des idées, de l’argent !
Accélération dont la germination a commencé dès que l’homme a su maîtriser l’outil, ce qui a généré des siècles plus tard ce que Jacques Ellul a appelé « La société technicienne ». Société techniciennes, société-productiviste dont on commence aujourd’hui à mesurer les limites.
Le temps des routes a commencé avec les voies romaines. Celles-ci, ayant besoin de soins constants, n’ont pas résisté à la négligence de l’entretien des fossés, des ponts et aqueducs lorsque l’Empire Romain s’est mis à décliner. Elles ont quasiment disparu, ce qui explique les difficultés qu’éprouvent les chercheurs à les repérer. La fin de l’Empire Romain étant suivie par une période de désordres dus aux invasions, aux luttes de pouvoirs de petits « seigneurs », il va s’ensuivre une longue période de désintérêt pour les chemins.
Ceux-ci, mal entretenus, remplissent mal leur office d’échanges. Il est vrai qu’alors les voies de communication sont construites et entretenues soit par les monastères, soit par les communautés locales ou professionnelles, qui sont, la plupart, concessionnaires de péages. Ce qui explique d’une part l’implantation relativement anarchique des chemins et d’autre part, pour l’Entre-deux-Mers, la prééminence de la voie fluviale, essentiellement la Garonne pour les transports des hommes et des marchandises.
Quand la route va…tout va !
Il faut attendre le XVIè siècle pour que le Roi Henri IV, entre Edit de Nantes, quelques galanteries et poules au pot, crée l’Office du Grand Voyer de France. Il charge le Duc de Sully, grand ami et grand ministre, de voir de plus près ce qu’il en est des routes et chemins en son royaume.
Pour la première fois des ressources sont affectées aux dépenses de voiries. Sully, devenu Premier Grand Voyer de France, découvre que la plupart des communautés et villes ont pour habitude de se servir en fonction de leurs besoins dans la caisse des octrois et des péages. Il envoie dans les provinces des commissaires-députés chargés de surveiller la façon dont est gérée la voirie et notamment « les adjudications aux moins disant » ! Ce faisant, les commissaires-députés sont, en quelque sorte, les précurseurs des services actuels en charge de « la Commission des marchés ».
Avec Sully, les premières routes plantées font leur apparition, pour cause d’impératifs militaires, mais rapidement elles vont s’avérer indispensables pour l’activité commerciale.
Et pourtant, par la suite, pendant près d’un demi siècle, il ne sera plus guère question de routes (construction et entretien) dans ce pays, tant il est vrai qu’il est difficile de se battre et de bâtir ! La guerre de Trente ans fait rage et la Fronde ravage le Royaume de France.
Lorsque Louis XIV accède au pouvoir, le réseau de communication est au plus mal. C’est à Colbert, dont l’une des préoccupations principales reste le bâtiment et la marine, mais qui s’intéresse également aux ouvrages d’art comme les ponts et les canaux (dont le Canal du midi aujourd’hui classé au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO) que l’on doit les prémices d’une réflexion sur les voies de communication.
Il est alors décidé :
-« Les chemins seront conduits du plus droit alignement que faire se peut ». Cet axiome restera l’un des piliers fondateurs de la philosophie des futurs ingénieurs des Ponts et Chaussées.
Il est décidé aussi que pour toute construction de route, il est permis de prendre : « …les pierres, grès, sable en quelque lieu que ce soit, non muni de clôture et en ne payant au propriétaire du fond que le prix du dommage causé » (arrêté de 1706)
En 1716, Louis XV crée « Les Ponts et Chaussées » dont la mission essentielles est « d’adapter les ponts et les routes au besoin du siècle »
Ce sont d’abord les ingénieurs militaires et surtout les architectes qui président aux travaux. Ce sont les paysans, les paysannes qui sont astreints à la « corvée ».Ils construisent les routes à coups de pioches et de barres à mines : creusant, empierrant, nivelant, damant. Une fois de plus à la sueur de leur front, les paysans contribuent à façonner les paysages de France.
Trente ans plus tard est instituée l’Ecole royale des Ponts et Chaussées par Trudaine. Cette fois elle est dirigée par un ingénieur, Perronet, et les architectes, peut être trop enclins à la poésie disparaîtront du paysage de la route. Mais, dans le même temps, il est prévu un fonds pour rémunérer les ouvriers paysans.
Peu à peu les spécialistes de l’administration des Ponts et Chaussées vont investir de nombreux domaines : phares et balises, ports, plans d’alignement, aménagements de voies nouvelles. Lorsque que la Révolution éclate, 30.000 kilomètres de routes sont déjà construits.
Placés sous la responsabilité de l’Etat central, la gestion et l’entretien en sont assurés par les Pont et Chaussées. Au début du XIXe siècle, les cantonniers sont salariés et le Service Central d’études techniques est créé. Les départements qui ont remplacé les Généralités dès 1790 ont alors un rôle mineur : ils doivent simplement prendre en charge l’outillage des cantonniers.
Il est donc indéniable que le paysage routier français nait au XVIIIe siècle.
L’histoire des routes de France est indissociable de celles des Ponts et Chaussées et des relations que cette grande Administration va entretenir au cours des siècles avec les pouvoirs en place : l’Etat, les Collectivités territoriales. Il est vrai qu’avoir la maîtrise de la voirie et plus largement par la suite celle de l’aménagement du territoire, constitue un enjeu majeur de pouvoir.
En 1791, en ces temps révolutionnaires, le réseau routier existant est conçu en étoile autour de Paris, par conséquent la campagne est mal desservie. Il est donc enjoint aux départements de développer « les chemins vicinaux » qui rapidement formeront une catégorie particulière de voies. La même année d’ailleurs, les Ponts et Chaussées investissent ces départements et s’y installent.
En 1824, une classification des routes s’opèrent en même temps qu’est défini le partage des compétences entre l’Etat et les départements.
Le premier finance la construction et l’entretien des routes royales (impériales) e départementales, tandis que les communes et les conseils généraux ont la charge du réseau vicinal. C’est en quelque sorte une première tentative de décentralisation face au centralisme impérial.
Les communes peuvent engager des travaux ; quant aux préfets, ils nomment des agents voyers (ingénieurs départementaux) des piqueurs (conducteurs de travaux) ayant en charge les chemins vicinaux de chaque département. En 1837, 71 départements disposent d’un service vicinal…au grand dam de l’Administration Centrale qui voit d’un mauvais œil ce nouveau corps lui échapper et devenir en quelque sorte son concurrent.
En 1871 une loi est promulguée proposant aux Conseils généraux de choisir le service qui va s’occuper des routes départementales.Le débat est houleux : les enjeux politiques, financiers, corporatistes, s’affrontent et même si peu à peu l’approche technique et l’approche locale se concilient, deux départements sur trois choisissent le service des agents voyers. Ce qui est quand même un camouflet pur l’Administration Centrale. Par la suite, l’organisation générale des services, des financements, de la domanialité des voies, va connaître des fortunes diverses. Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que la situation évolue sous la pression de l’expansion économique industrielle et surtout la venue du chemin de fer.
Les enjeux concernant l’ensemble du territoire national nécessitent une incontestable efficacité technique. La classification des routes est simplifiée, le partage des responsabilités aussi ; entre le ministère de l’Intérieur celui des Travaux publics, l’Etat et les collectivités locales. Les Ponts et Chaussées se voient dotés de compétences nouvelles : les transports, les postes et télégraphes, tandis que dans le même temps de nombreux départements se déchargent de leur réseau de voirie à leur profit.
En 1930 la France a un réseau national de 40.000 kilomètres de routes !
C’est en juin 1938, qu’un décret de loi réforme la voirie départementale, en créant les CD : les chemins départementaux. Ce texte affecte les “CG”dits Chemin de Grande Communication.
Pendant la dernière guerre mondiale, une loi redonne la totalité des services de la voirie départementale et vicinale à l’administration des Ponts et Chaussées réintégrant du même coup tous les agents voyers des chemins vicinaux.
C’en est fini de la décentralisation, tout au moins pour un temps !
En 1966, le Ministère de la Construction et celui des Travaux Publics fusionnent pour devenir le Ministère de l’Equipement, afin de pouvoir répondre aux multiples interactions que génèrent les problèmes de circulation et de logements. Un an après les Directions Départementales de l’Equipement regroupent en une même unité : les études, les programmes, la route, l’urbanisme opérationnel, faisant appel au même coup à des spécialistes : urbanistes, architectes, juristes, administratifs, spécialistes des questions financières qui viennent compléter les équipes de techniciens de la route.
Il faudra attendre 1982 pour que la décentralisation devienne effective. La loi transfère l’exercice départemental du pouvoir de l’Etat, représenté par le Préfet au Président du Conseil général.
La loi du 2 décembre 1982 va concerner et définir les compétences concernant la gestion des routes nationales et une réorganisation interne des D.D.E en identifiant les parties de service qui interviendront uniquement pour le département.
Le XXIe siècle verra avec la loi de décentralisation du 13 août 2004 le transfert des routes nationales d’intérêt local aux départements, soit les 2/3 du réseau routier national.
Tout confondu, y compris avec les autoroutes, la longueur totale du réseau de la France est de 379.986 kilomètres dont 5477 kms à la charge du Conseil général de la Gironde.
Sources et pour en savoir plus :
« …En 1738 Le contrôleur général Dry demande aux ingénieurs des Ponts et Chaussées de dresser par département une carte qui ne contiendrait que les grandes routes, les chemins et les rivières. En même temps, d’étendre la corvée à l’ensemble du Royaume, pour la construction de grands chemins, mesure impopulaire s’il en fut, mais ce fut certainement l’élément principal de la construction de notre réseau de base au milieu du XVIIIe siècle… »
« …En 1747, Daniel Trudaine Intendant des finances chargé du détail des Ponts et Chaussées donne à Jean Rodolphe Perronet la direction du bureau spécial : pour la conduite et l’inspection des géographes et dessinateurs de plans et de cartes des routes et grands chemins du Royaume et pour les instruire de sciences et pratiques nécessaires pour parvenir à remplir avec efficacité les différents emplois des Ponts et Chaussées… »
« …DUBY S. Histoire des grandes liaisons françaises et atlas géographique des routes.
« …L’empreinte napoléonienne sur les routes va durer jusqu’au XIXe siècle, car ensuite l’invasion de l’automobile va modifier de fond en comble la circulation et la conception de la chaussée. Le réseau des routes royales, puis impériales et enfin nationales est resté pratiquement inchangé jusqu’au XXe siècle. Napoléon portait un grand attachement aux routes, il en avait besoin pour que ses armées se déplacent rapidement… »
– Reverdy G. Historique des Routes, Presse de l’Ecole Nationale française des Ponts et Chaussées.
– Service documentation DDE Gironde « Les siècles d’histoire du Ministère de l’Equipement du XVIe siècle au XIXe siècle »
– Guillerme A. Paysages pour demain « Les différents paysages routiers » Actes du colloque du 2.11.1994
Colette Lièvre.