La poule verte

Posté le 14/05/2015 dans Les recettes d'Oncle Phil.

Chapitre 1 : La poule au pot (jeudi)
Ça cahote un peu sur le plancher de la fourgonnette les grains de maïs sautent dans le compartiment qui voisine celui des plus placides pommes de terre, mais tout le reste est bien amarré sur les étagères qui tapissent les longs côtés de l’habitacle, le troisième côté forme comptoir ; il est, quand on roule, fermé par un vantail vitré qui relevé, constitue un auvent commode sous lequel se pressent quand il pluvine les clientes qui conservent cependant la coiffe accordéon en plastique si commode pour abriter la permanente bleutée. L’ouverture qui met en communication la carlingue et le poste de pilotage ou Papi est aux commandes du Peugeot D4 aux couleurs des Cafés Masset est étroite et une guirlande de chaussons de feutres y est suspendue, qui oblige Papi à se plier en deux lorsqu’il passe du rôle de pilote à celui de steward. C’est un charmant steward, pas assez grand sans doute pour les normes d’Air France, mais joli garçon, souriant, aux cheveux de jais soigneusement gominés, tout à fait convenable pour assurer la « tournée » hebdomadaire de l’Épicerie-du-Pont qui se délocalise le jeudi vers les petits hameaux les fermes et les châteaux rustiques des coteaux de l’Entre-deux-Mers. La « tournée » du jeudi est sans doute une bonne opération commerciale mais elle permet surtout à l’Épicerie-du-Pont d’assurer, sans trop en avoir conscience, comme monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, une bonne campagne de communication sur un rayon d’une quinzaine de kilomètres autour de Tourlouyac. L’Épicerie-du-Pont s’est en effet assurée une excellente réputation et propose ce qu’il y a de mieux en produits de première nécessité : outre le café Masset qui a offert la peinture du D4 Peugeot on est sûr de pouvoir s’y procurer moutarde Louit, huile Lesieur ou Puget selon les goûts, chocolat van Houten et bottes Baudou sans parler du sucre Frugès, de la chicorée Leroux, du sel Cérébos ou des pâtes Lustucru, dites nouilles par antonomase. Et puis surtout, son propriétaire, chef de rayon, magasinier livreur et, en l’occurrence chauffeur et commercial forain le jeudi, Ernest Laguiche, mon papi, est l’homme le plus aimable, sympathique, amusant et disert qui se soit jamais aventuré avec une telle ponctualité et quels que soient les aléas climatiques, sur les chemins virevoltants et truffés de nids de poule quelque peu délaissés dans les années de guerre dont le souvenir s’estompe dans l’aube aux doigts de rose des trente glorieuses.
Aujourd’hui c’est la fête, papi m’a proposé de l’accompagner dans la tournée ! il fait encore un peu frisquet en ce mois d’avril mille neuf cent cinquante trois, les œufs de pâques, pour aller les chercher dans les plates-bandes de jonquilles ou les pots de pensées agonisantes et de géraniums emmitouflés; il a fallu mettre ciré et bottes en caoutchouc, comme pour aller à la pêche aux couteaux sur les crassat de Taussat ; mais aujourd’hui, un rayon de soleil a réussi à percer et avec mon béret et mon cache-nez tricoté main je suis co-pilote et je m’essaye à siffler « Soldat lève-toi » pour accompagner le démarrage toussotant du fourgon et ne pas démériter de l’honneur qui m’est fait de participer à « la tournée ». Premier arrêt, huit heures et quart, le Pied du Château, madame Piboule est déjà là avec son cabas de toile cirée sa moustache oxygénée et sa petite verrue sur la narine gauche, elle se colle sur le hayon, je descends lui demander de se pousser un peu pour que papi passe l’ouvrir et elle en profite pour me faire un bisou baveux.
– Bonjour Monsieur Laguiche, vous avez amené votre petit commis aujourd’hui ?
-Eh oui Madame Piboule, il faut bien qu’il commence à rencontrer des jolies femmes comme vous !
-Oh Monsieur Laguiche, vous changez pas ! Au lieu de dire des bêtises donnez-moi trois tranches de jambondiorque et une livre de farine
La journée s’annonce bonne, derrière madame Piboule se pressent déjà Monsieur Rimazeilles avec son béret auréolé de crasse grise, Ginette Léogeats, encore en robe de chambre des Pyrénées et Kiki, le drôle du cantonnier, qui fait les courses pour son père qui doit encore cuver sa cuite de la veille.
Le Pied-du-Château une fois servi, le fourgon grimpe allègrement le coteau vers l’église du Haut-Langoiran, deuxième station de la tournée. Là, c’est un peu plus chic mais le panier de la ménagère sera sans doute moins garni : Emilie, la jolie petite bonne de madame Dufau-Compret, ne prendra qu’un quart de livre de beurre et aussi un peu de sucre « en vrac » pour la vieille dame économe qui se nourrit de tisane et de pain perdu quand les poules pondent ; quant à Mimi Rougaille qui vit avec sa mère tyrannique, impotente et tonitruante dans l’ancien presbytère aux allures de château du baron de Sigognac, (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k69089z/f11.image.r=le%20capitaine%20fracasse.langFR), elle se contentera sans doute de renouveler son paquet de sucre en morceaux et d’une petite bouteille de rhum Negrita destinés aux « canards » du soir de Môman. Heureusement pour la rentabilité de la tournée, à la station suivante du Pin, Paulette Briscaille, visible de loin avec son quintal de bonne humeur moulé dans un tablier de chintz à motifs hawaïens nous attend avec deux grands paniers qu’elle remplira de vermicelle, nouilles, riz, gruyère à gros trous, haricots secs, lentilles, beurre, huile, sans compter les petites gâteries pour ses drôles : demi lunes Olibet, tablettes de chocolat Meunier, carambars, malabars et roudoudous.
Après deux autres stations en fond de vallée, et une montée un peu raide au son de « La belle de Cadiz » interprétée a capella par papi mis de bonne humeur par le soleil qui pointe, on aborde l’allée du domaine de Causserouge par trois coups de klaxon bien sonnés. La belle maison girondine avec ses volets gris pimpants, sa jolie génoise , la glycine de la pergola qui pousse ses premières grappes, le gravier crissant de l’allée et le gros chat roux espatraqué sur le perron est décidément bien accueillante et même si le chiffre d’affaire attendu en ce lieu n’est pas d’ordre à bouleverser les comptes de l’Ėpicerie du Pont, elle vaut le coup qu’on s’y arrête car Monette, la jeune veuve du vieux Mathieu Courpiac, qui s’est noyé il y a deux ans en braconnant la piballe ,est vraiment mignonne et gentille. Elle attend tranquillement sur le banc devant la porte basse de la cuisine et papi, au lieu de passer sous la guirlande de feutre pour aller ouvrir le haillon, descend du fourgon pour lui faire la bise et s’asseoir un peu à côté de Monette. La conversation semble joyeuse et Monette me fait signe de venir les rejoindre sur le banc. Cette fois, le bisou est agréable et parfumé à l’eau de cologne ambrée…ça va à l’école ? Et patali et patala et tu devrais aller jouer avec Pipou qui doit traîner dans la cour derrière pendant que j’offre le café à ton grand-père.
Ça, pour jouer, j’ai joué, deux bonnes heures à faire des galeries dans les bottes de paille et à faire Tarzan suspendu aux poutres de la grange, même que je me demandais si papi ne m’avait pas oublié, mais non, sur les midis et demie il a du se souvenir que j’existais et m’a sifflé comme seul il sait le faire en mettant ses deux doigts sur les lèvres. Vite vite il faut rentrer, le café était long et Monette le visage un peu rose et la permanente un peu dérangée me fait un gros baiser et me pousse sur le siège du fourgon qui démarre en faisant crisser ses pneus….sur la grosse poule noire qui s’épouillait dans une ornière du chemin. Brusque coup de frein, zut zut dit Papi, Monette accourt ramasse la pauvre poule qui gigote encore, ne te retarde pas Ernest, tu vas te mettre en retard, ne t’inquiète pas, je la ferai au pot !
Ce jeudi là, la tournée fut écourtée, Paulette Cazemajous dut se passer de moutarde Louit et monter dans l’urgence, avec un fond d’huile Lesieur un peu rance, une mayonnaise qui s’avéra terriblement pernicieuse, l’envoyant ad patres avant même le jeudi de l’ascension ; Raymonde Dufoussa dut boire son café pur, sans chicorée Leroux ce qui lui provoqua une subite hausse de tension sans doute à l’origine de la paralysie faciale et de l’aphasie qui la forcent désormais à rester percluse et à se taire, Marcel Roupit ne put changer ses feutres dont la semelle baillante se prit dans une marche de l’escalier de la cave provoquant une chute fatale et les cruchades frites que mamie avait préparées pour midi étaient à la fois froides, carbonisées et servies à la sauce à la grimace…..
(suite au prochain numéro, en juillet !)
La poule au pot de Monette
fleurs printemps 2015 et blog 121 019Prendre une grosse poule ayant terminé sa carrière de pondeuse sous les roues d’un fourgon Peugeot D4 1949, en l’égorgeant https://www.youtube.com/watch?v=wVS-RZBKJG8 avec un couteau bien effilé au-dessus d’une assiette dans laquelle vous aurez pris soin de hacher deux aillets pour obtenir une bonne sanquette, tremper la poule dans l’eau bouillante deux minutes pour la plumer facilement ; la vider soigneusement en évitant de crever la poche de bile, réserver le foie et le gésier.
Après avoir pris un petit armagnac pour vous remettre de ces émotions, nettoyer un kilogramme de carottes, une livre de navets, quatre blancs de poireaux un oignon piqué de clous de girofle.
Mettre la poule dans une grand pot à soupe et couvrir d’eau. Saler, poivrer, porter à ébullition et écumer, ajouter les légumes et laisser cuire deux bonnes heures.
Le bouillon dégraissé et servi avec des vermicelles fins sera particulièrement apprécié pour le dîner qui sera complété par la sanquette frite, découpée en lanières et accompagnée de croutons aillés,. Après avoir croqué une pomme pour dessert, bien se laver les dents au dentifrice colgate.
Le gras doit être réservé pour préparer le riz au gras servi avec la poule.
Riz au gras : verser 300 grammes de riz de Camargue dans un litre d’eau, porter à ébullition, une dizaine de minutes, verser le gras de la poule au pot, saler, poivrer réduire et tourner le riz jusqu’à absorption complète du liquide et obtention d’une pâte onctueuse enfermant les grains de riz. Le riz au gras est servi avec un coulis de tomates.
Servir la poule découpée sur un plat ovale entouré de ses légumes, servir à part le riz au gras dans un toupin de faïence accompagné du coulis dans une grosse saucière.
Oncle Phil.

 


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