Cachez ces vieux que l’on ne saurait voir.

Posté le 16/05/2014 dans La petite chronique.

cheval et chatte 008

 

La France vieillit. En cette année 2014, elle compte 20 millions de personnes âgées de plus de 50 ans. Quand Félicité arpente les rues de cette bonne ville de Bordeaux, elle se sent de moins en moins seule. Elle croise de plus en plus de têtes grises ou blanchies sous le harnais, ou encore de personnes qui vont cahin caha s’aidant d’une canne, ou de couples rivés l’un à l’autre à la limite du chavirement ! Les statistiques (et oui il arrive à Félicité de lire aussi les stats…) constatent qu’actuellement en France, un senior « naît » toutes les 37 secondes alors qu’un bébé vient au monde toutes les 41 secondes. Normal ! On fait moins d’enfants, quant à la population elle vieillit de plus en plus jeune puisque maintenant on entre dans la case senior sitôt que l’on atteint la date fatidique de 50 ans ! Il n’y a pas si longtemps on basculait dans cette case à partir de 65 balais, mais comme dans notre monde tout va de plus en plus vite…Ce rajeunissement du « vieillissement » de près de 15 ans n’a rien d’anodin dans le fonctionnement de notre économie qui rejette hors du circuit du monde travail ces seniors devenus subitement bons à rien, si ce n’est toutefois à être toujours considérés comme des consommateurs , comme en témoigne le « Salon des séniors » qui vient d’avoir lieu à Paris du 3 au 6 avril avec comme cible prioritaire les cinquantenaires. Programme alléchant, 10 villages thématiques « mes loisirs, mes voyages »-« mon alimentation »-« la culture »-« les nouvelles technologies »-« être en forme »-« mon logement »-bien vivre chez moi »-mes droits »-« ma retraite, mon patrimoine » et cerise sur le programme « travailler après 50 ans ! »

A la lecture de cette énumération Félicité se dit qu’il était grand temps que ces jeunes vieux soient repris en mains pour leur apprendre, enfin, à se distraire, se cultiver, s’alimenter, se loger, etc…en fait à vivre tout bêtement ! Ce qu’évidemment ils ne pouvaient faire auparavant puisqu’ils travaillaient ! Toutefois cet alléchant programme ne dit pas comment cette cible de séniors consommateurs potentiels privilégiés, financeront cet Eden promis puisqu’ils ne toucheront leurs retraites (plus ou moins chiches) que quelques 15 ans plus tard !
Il est vrai qu’à ce moment, ils auront quitté la case senior pour entrer dans la catégorie des 3ème puis 4ème âge. Ages bénis, s’il en fut, qui, grâce aux progrès de la médecine, de la chirurgie, de l’imagerie médicale, des nouvelles technologies, des matériaux composites, de la pharmacopée sont assurés d’être pris en charge à tous les niveaux, car plus l’humain avance en âge plus il s’apparente à un mécano dont on remplace les pièces défectueuses au fur et à mesure de leur usure. Prothèses multiples, du genou, de la hanche, du rachis, « tuyauteries » cardiaques, pace maker, implants intraoculaires, auditifs, dentaires, …bref tout comme les vieilles bagnoles dont on change les amortisseurs, batterie, pneus etc, on prolonge les vieux au-delà de leurs limites. Et le meilleur est en vue avec l’avènement des nanotechnologies, puces et processeurs infiniment petits qui nous promettent un « homme augmenté » quasiment éternel !
Félicité qui n’a pas oublié son bon sens, se demande comment la société pourra s’offrir cette humanité de vieillards éternels, et en attendant cette nouvelle ère heureuse, elle constate que lorsque papi et mamie perdent leur autonomie et deviennent dépendants, ils sont mis hors circuit, dans des maisons dites de retraite d’où, il est certain, qu’ils ne ressortiront que les pieds devant ! Pendant leur séjour, plus ou moins long, en vase clos, exclus du monde ordinaire, (tout au moins en France) ils ont et auront généré toute une économie dispensatrice d’emplois, outre toutes les professions médicales et para- médicales, ceux concernant les services dits à la personne, pas obligatoirement bien rémunérés ni valorisants, mais sur lesquels nos politiques (sans limite d’âge eux) compte beaucoup pour relancer le marché du travail ! Comptant également sur la fabrication de toute une gamme de produits certains utiles, d’autres improbables. Ces produits divers sont vendus par catalogues, mailing et autres ce qui nourrit déjà les publicitaires et le marché de l’édition. Catalogues à la Prévert de produits qui de A à Z vont accroître le bien – être de la sénescence. Il y a les basiques tels que : cannes, déambulateur, chaise roulante, chaise percée, chaise à douche,…bouillottes, chancelières, chaussons de préférence charentais, pèlerine en laine des Pyrénées, sous-vêtements Damart mais aussi slips, culottes, couches anti-fuites, alèzes et matelas anti escarres, accessoires divers pour les pieds : les cors, les durillons, les doigts de pied en marteau,…les élixirs, crèmes et onguents naturels de préférence, pour les « dérangements de corps » en tous genres…la liste est longue, mais gageons que ces catalogues longuement consultés par nos vrais vieux doivent aussi les faire rêver !
Le marché aurait pu en rester là, c’était sans compter sur les banques, les compagnies d’assurances, les organismes de retraites complémentaires, qui s’intéressent particulièrement au moins de 75 ans, pour leur proposer par courrier affable et avenant, de penser à leur avenir en souscrivant toutes affaires cessantes une assurance obsèques. En s’exécutant, ces sociétés attentionnées font valoir à ces « futurs » clients qu’ils finiront leur vie dans la sérénité pour la raison simple qu’ils ne laisseront pas à la charge de leurs enfants le fardeau de leurs obsèques. Effectivement, compte tenu des prix pratiqués, cette dernière formalité risque de plomber le budget des ménages de leur progéniture qui aura déjà été remisée, par la société, dans la case des Seniors. Elle n’est pas belle la vie ?
Félicité.

 


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