1- L’histoire “romanesque”de Michel dit Albert Samanos.
Michel Samanos est né le 21 septembre 1848 à Soustons. Quelques courriers familiaux1 nous retracent sa vie pour le moins atypique :
C’était un aimable et brillant causeur, licencié en droit, et il s’était fait inscrire comme avocat au barreau de Paris quand en juin 1873, il épousa à Bordeaux, Laure Marie Joséphine Guyot née vers 1853. Elle était la fille d’un sculpteur de talent et de Madame Gautherin, vieille dame très riche qui avait un bel hôtel rue du Palais Ombrière. Laure était ravissante, si jolie, si gracieuse et si bonne que tout le monde l’aimait. De cette union, deux enfants vont naître à Bordeaux : Jean dit Maurice en 1874, et André en 1876.
Or Michel, parti seul à Paris, se lança dans une existence luxueuse, désordonnée, allant de cercle en cercle et faisant des dettes de jeux telles que la situation de toute la famille pouvait être compromise. Une séparation de biens fut faite le 27 juillet 1875 pour sauver ce qui pouvait l’être de la dot de sa femme. Furieux sans doute de n’y plus pouvoir puiser, il semble pris pour elle d’une véritable haine, et l’abandonne définitivement avec ses enfants. Toute tentative de rapprochement que l’on tenta de faire dans la suite, ne servit qu’à lui attirer des avanies et peines supplémentaires. Il ne la revit jamais, et pas ou guère ses enfants sans doute. La pauvre Laure ainsi abandonnée s’était réfugiée chez ses beaux-parents, avec ses deux bébés. Elle retourna ensuite vivre à Bordeaux, avec l’aide d’une rente qu’ils lui faisaient sur des terres qui restaient à Soustons, et sur lesquelles sa dot était hypothéquée. Elle se consacra à l’éducation de ses enfants qu’elle éleva, on peut le penser, avec plus de douceur que de sévérité, pleine de pitié pour eux, mais sans faiblesse pourtant. Elle écrira : « je suis si peu faite pour être mère et père à la fois ! »
Seul à Paris, Michel a ensuite mené une vie errante abandonnant le barreau pour le journalisme. Il écrivit en 1881 un premier roman1 : L’amant de la Comtesse sous-titré drame parisien. La critique3 fut plutôt clémente pour son œuvre, il faut dire que le sujet abordé était très proche de sa propre expérience :
… « L’amant de la comtesse, drame parisien publié par le libraire Marpon et Flammarion est une œuvre remarquable, écrite par Monsieur Albert Samanos. L’auteur nous introduit à la suite d’un homme de cœur, désespéré de la trahison d’une coquette, dans tous les cercles ou les tripots parisiens dont il nous dévoile les mystères, les scandales et les hontes. Les faits et gestes des hauts et des bas agents de ces maisons de jeu, actionnaires, caissiers et croupiers y sont mis dans la plus éclatante lumière pour l’édification et dans l’intérêt de ceux qui les enrichissent en se ruinant. La plupart des joueurs sont malheureusement des pécheurs endurcis que ne corrigera pas la lecture de « L’Amant de la Comtesse ». L’auteur n’en aura pas moins fait un bon livre et une bonne action. … »
Un an plus tard Michel Samanos publie un deuxième roman : Le péché de la veuve4 – « …Un général, ancien ministre de la guerre est au centre d’un terrible scandale, mêlant la présence d’une suspecte-aventurière, espionne payée par l’Allemagne… » . Mais la critique est cette fois pour le moins partagée.
La Revue du Monde Littéraire5 écrit : « …Le jour où l’auteur voudra faire une œuvre marquante, il devra s’appliquer à soigner particulièrement le côté littéraire de ses romans, à en élaguer tout ce qui est lieux communs, expressions toutes faites, à rejeter les mots inutiles, à se débarrasser enfin de tout ce qui entrave la marche et vient sans rime ni raison se greffer sur la partie principale. En n’agissant pas ainsi M. Albert Samanos a négligé l’étude de sa jeune veuve et de ses tristes amours ; à chaque moment elle disparaît pour céder la place à quelque personnage, incident que les nécessités du drame n’appellent pas, ou à des dialogues qui sont tout bonnement des prétextes à dissertions et qui fatiguent le lecteur. Un peu plus de sobriété et de netteté et le roman gagnerait en intérêt, en réalité… »
A l’inverse, l’hebdomadaire Beaumarchais6 précisera : « …Le Péché de la Veuve, tel est le titre du nouveau roman d’Albert Samanos. On peut dire que c’est une œuvre dramatique puissamment pensée et admirablement conduite. Il faut lire ces pages où la passion saine et forte se fait jour dans un style simple, naturel et par cela même d’une grande élévation. Les scènes dramatiques s’y succèdent, empoignantes et vraies ; les types parisiens s’y montrent également dans une réalité implacable.
L’Amant de la Comtesse a donné une certaine notoriété au jeune écrivain, Le Péché de la Veuve assure sa réputation. Nous ne pouvons que féliciter les éditeurs Marpon et Flammarion d’avoir édité une œuvre appelée à produire une grande et légitime sensation dans le monde littéraire et dramatique… ».
Dans le milieu littéraire parisien, on découvre en 1883 le nom d’Albert Samanos en bas d’une pétition remise à la Chambre qui fut signée par une dizaine8 d’écrivains dont Guy de Maupassant.
« …Ces hommes de plume, dont quelques-uns étaient déjà ou devaient devenir célèbres, se plaignaient de l’ostracisme dont étaient frappées, par la maison Hachette, certaines œuvres qui n’avaient rien d’immoral, alors que des publications parfaitement obscènes étaient l’objet de toutes ses faveurs… » Ils demandaient en conséquence que le droit de censure, qu’elle avait usurpé, lui fût retiré, et que le monopole dont elle jouissait abusivement fût supprimé.
Mais Michel Samanos fait face à des nombreux problèmes de santé. Sa mère annonce qu’il est de plus en plus agité et pris d’une manie de « grandeur ». Il fait plusieurs séjours dans des asiles pour aliénation passagère. Malgré cela, il publie deux ans plus tard un troisième roman : « La Vie qui brûle6 »
La critique semble cette fois unanime sur la qualité de son œuvre. Même la Revue du Monde Littéraire8, qui l’avait tant critiqué en 1882, reconnait : « …Nous venons de lire La Vie qui brûle d’Albert Samanos (…), et nous avouons que c’est une œuvre saine, émotionnante et littéraire ; le cœur féminin y est fouillé, analysé dans ses moindres coins. On sent, en parcourant ces pages sombres, que l’écrivain a connu certaines souffrances humaines et qu’au fond de son cœur il y a un singulier mélange de mépris, de pitié et d’amour pour la femme… »
Cependant les problèmes mentaux de Michel Samanos ne font qu’empirer. On le retrouve dans la rubrique des faits divers10 en janvier 1886.
Le journal Gil Blas11, quotidien qui publiait sous forme de feuilleton des romans, dont ceux de Michel Samanos, raconte que : « …ses bureaux ont été avant-hier le théâtre d’une agression de la part d’un des anciens collaborateurs de ce journal, M. Samanos. Depuis longtemps, M. Samanos se promenait chaque soir devant les bureaux du journal, guettant l’un de ses anciens collègues, M. de Vaux contre lequel il proférait des menaces. Il disait en vouloir aussi à MM. Guy de Maupassant, Aurélien Scholl et Paul Arène. Un soir qu’il était vivement surexcité, on dut requérir des gardiens de la paix pour l’empêcher de mettre ses menaces à exécution. Mercredi il força la porte des bureaux du journal, fit irruption dans le cabinet de Monsieur de Vaux, auquel il asséna un violent coup de canne sur le visage. Monsieur de Vaux se défendit de son mieux, pendant que des employés allaient chercher des agents qui emmenèrent l’agresseur au poste de la rue Gluck.
Après l’avoir interrogé, le commissaire se disposait à relâcher Monsieur Samanos quand diverses personnes intervinrent pour faire observer au magistrat que l’agresseur pourrait être atteint de délire de la persécution et qu’il serait peut-être prudent de le faire examiner par un des médecins. En conséquence, Monsieur Samanos a été conduit à l’infirmerie du Dépôt. On assure que, dans une lettre adressée à Monsieur Catulle Mendès, lettre dans laquelle il provoquait Monsieur de Vaux en duel, Monsieur Samanos ajoutait : Je lui ferai une profonde entaille dans le cœur. Cette lettre a été déposée à la préfecture de police… »
Il n’y pas que dans son milieu professionnel que Michel Samanos fait face à des crises, il est aussi source de multiples tensions au sein de sa famille. Ainsi, en mai 1893, lorsque son fils Maurice lui demande son autorisation nécessaire pour s’engager, il refuse obstinément sans raisons, et, malgré l’insistance de sa mère, de son frère Eloi venu pour cela et les lettres pressantes de son tuteur, rien ne peut le faire céder. Il y a des hauts et des bas dans son état mental et à certains moments sa mère en a peur. On commence à faire venir des prospectus de divers asiles de Pau et de la région mais au début de 1894, il séjourne encore régulièrement chez sa mère.
En 1897, sa belle-sœur8, Berthe Samanos étant à Paris va le voir avec un ami qui s’en occupe. Elle est surprise de le trouver dans un asile non payant. Ses fils, déclarés majeurs, ont paraît-il refusé de donner à sa rente le supplément nécessaire ! Peut-on s’en étonner après son abandon et le refus donné trois ans plus tôt à son fils Maurice ? Il est en bonne santé, content de la voir, ne se plaint pas mais son état mental est sans changement. Elle s’en émeut cependant et va s’en occuper dès son retour chez elle avec son mari Eloi. Il est alors mis à la maison d’aliénés de Cadillac où il meurt le 6 octobre 1905.
Les trois romans de Michel (dit Albert) Samanos n’ont jamais été à ce jour réédités. De très rares exemplaires sont parfois disponibles à la vente dans des librairies spécialisées.
Découverte de l’écriture d’Albert Samanos
Le Figaro du 22 avril 1882 à propos de la sortie du livre Le péché de la veuve. « …M. Albert Samanos, l’auteur d’un roman qui a produit l’an dernier une certaine sensation, L’Amant de la Comtesse, vient de faire paraître à la librairie Marpon et Flammarion un nouvel ouvrage appelé certainement à un véritable succès de curiosité, par les scènes dramatiques et passionnées étudiées sur le vif dans le grand monde parisien.
Le Péché de la Veuve, tel est le nouveau titre que le jeune romancier a pris pour peindre les types que tout le monde a déjà reconnus, de la Péraulla, de Martissey, de Vertignac, de la générale Delturie, etc … »
Nous extrayons de ce roman le chapitre suivant, dans lequel les principaux personnages sont présentés au lecteur.
« …La soirée était belle et l’atmosphère tiède, relativement à la saison où l’on était, c’est-à-dire aux premiers jours de novembre qui, d’ordinaire, sont les précurseurs sinistres des longues et froides nuits.
C’était un vendredi, jour de réception de Madame de Peraulla. Cette femme avait décidément toutes les chances ; tout lui souriait, tout lui était favorable et propice. Les hommes, et ils étaient nombreux recherchaient sa société, s’y plaisaient grandement ; certains mêmes brûlaient publiquement de l’encens au pied de cet autel qui s’élevait rayonnant, au milieu des ruines amoncelées, ruines que personne ne voyait encore, surtout les principaux intéressés !
Paris, le tout Paris qui s’amuse, qui vit, qui bouillonne, tournait autour de cette étoile récente, comme autour d’un sphinx étrange, énigmatique, périlleux !
Ce qui est banal, vulgaire, connu ne peut plaire à certains esprits, à certaines imaginations ; il leur faut toujours du nouveau, de l’original ! Le poivre de Cayenne, voilà ce qu’il faut à certains estomacs affaiblis, délabrés, mis à sec par les abus de toutes sortes. Qui pouvait bien alimenter ce luxe qui prenait maintenant des proportions considérables ?
Chanson que cela ! Indiscrétion absurde ! Ce qu’il y avait de certain et ce qui était le seul point intéressant, c’est qu’elle venait de quitter son appartement du boulevard Malesherbes ; qu’elle habitait depuis quelques jours une maison de grande apparence située avenue d’Eylau ; que cette nuit-là, même on allait pendre la crémaillère, et qu’on y rencontrerait un mélange agréable de femmes et de jeunes filles, toutes de vertu facile, maniables, et dont l’existence se passait en intrigues galantes et amoureuses, souvent même productives !
Mais qu’importait ! Elles avaient toutes les allures du grand monde, les apparences de personnes qui se respectent et s’estiment, et nous le savons, les hommes aiment ce qui peut flatter leur amour-propre !
Quelle différence ! Comme il est meilleur de dire : « J’ai une femme du monde, du grand monde pour maîtresse », que d’avouer qu’on a une ouvrière, bonne intelligente et douce qui vous aime bien pour vous-même”.
Les hommes sont ainsi faits que les plus spirituels comme les plus sots se laissent prendre à tout ce qui peut fonder ou agrandir leur réputation d’hommes à conquêtes sérieuses, dussent-ils au fond de ces relations malsaines laisser leur bonheur, y engloutir leur fortune ! Et ils sont encore bien plus flattés par celles qu’ils n’ont pas et qu’on leur attribue que par celles qu’ils ont.
Dites en effet à un imbécile qu’il est spirituel et vous verrez comme cette flatterie lui ira au cœur !
(…). Dès neuf heures, les invités étaient arrivés en masses profondes et serrées. De nombreux valets en livrée verte vous accueillaient cérémonieusement en haut des marches du perron et vous introduisaient dans un vestibule sur lequel donnaient de plain-pied les deux salons immenses où tout ce que Paris comptait de viveurs, de déclassés riches, d’hommes à bonnes fortunes s’était donné rendez-vous. Dans ce salon principal, en face d’une admirable glace de Venise, se trouvait le portrait de Madame de Peraulla en robe de satin blanc avec une rose au côté, et elle montrait le plus ravissant petit pied qu’il soit possible d’admirer dans un soulier de satin.
(…) Madame de Peraulla avait comme un sourire de triomphe sur les lèvres. Songez donc, toute la presse, la presse gouvernementale serait remplie de son nom le lendemain ; la fine fleur de la gent officielle était là, ayant laissé au vestiaire sa morgue et son pédantisme, et se ruant, elle aussi au plaisir de toutes les sensations âpres ! Elle avait choisie pour cette fête une toilette séduisante qui devait faire ressortir tous ses avantages. Un corsage de velours vert émeraude pressait admirablement le contour de son corps frêle mais gracieux, et faisait ressortir sa gorge d’une rondeur ferme. Sur ses épaules, des grappes légères de raisins pendaient négligemment ; la jupe rose, garnie de ces mêmes raisins donnaient à cette créature l’aspect d’une Bacchante antique. Sa tête fine et malicieuse appelait les hommages, et une coiffure nouvelle qu’elle essayait pour la première fois, la rendait presque jolie et, dans tous les cas, terriblement provocante. Sa nuque habilement découverte où se répandaient quelques bouclettes flottantes, irrégulières et mousseuses permettait de voir la ligne du dos qu’elle avait correcte et bien dessinée.
(…) Le général de Malessay parcourait en ce moment les salons ayant à son bras Madame de Peraulla. Ce bon et brave général était souriant comme un jeune homme de vingt ans et, ce soir-là, il portait gaillardement ses soixante-cinq ans.
Effet de la lumière ou effet de l’amour ? …
Ci-dessous la dédicace d’Albert Samanos sur son dernier roman à Jules Barbey D’Aurevilly, qui fut à la fois écrivain, nouvelliste, poète, … et sans aucun doute son confident et réconfort.
« Mon grand ami,
Il y a des pleurs dans ce livre: voilà pourquoi je vous le dédie, à vous, mon illustre maître, qui comprendrez les souffrances humaines dans leur intensité la plus effrayante, et qui savez, si bien d’un mot, d’un seul mot, relever puissamment le courage abattu et ranimer la pensée qui s’éteint sombre et désespérée.
Aussi respectueusement que cordialement votre.
Albert Samanos, Paris, le 1er septembre 1883. «
Jean-Alain Jachiet –(Luxembourg).
Extrait des « Samanos du XIXè au XXè siècles » paru aux Editions Bamertal – ISBN: 978-99959-0-221-6
Bibliographie :
1 Fonds Samanos – Duler. Extrait d’un synopsis familial.
2 L’Amant de la comtesse, drame parisien, C. Marpon et E. Flammarion, 1881 (321 pages)
3 Le livre – Revue du monde littéraire – Bibliographie moderne 1881 (Tome II) pages 478 et 479 pour L’amant de la comtesse
4 Le Péché de la veuve, C. Marpon et E. Flammarion, 1882 (383 pages)
5 Le livre – Revue du monde littéraire – troisième année – Tome IV 18825
6 Beaumarchais du 28 mai 1882, journal satirique, littéraire et financier – Le Figaro du 22 avril 1882
7 La Vie qui brûle, E. Rouveyre et G. Blond, 1884 (235 pages)
8 Pétition remise à la Chambre en 1883 signée par Henri Rochefort, Catulle Mendès, Émile Bergerat, Paul Alexis, Barriard, Champsaur, Ernest d’Hervilly, Jules Guérin, de Hérédia, Léon Hennique, Pierre de Lano, Maurice Montégut, Guy de Maupassant, Barbey d’Aurevilly, Léon Chapron, Jean Richepin, Émile Blavet, Léo Taxil, Cavallé, Deschaumes, Dubrujeaud, Gros-Claude, Paul Hervieu, Ernest Leblant, Lucien Rémi, Octave Mirbeau, Albert Samanos et Henri Becque.
9 Epouse d’Eloi Samanos
10 La Justice 15 janvier 1886.
11 La devise de ce journal quotidien était « Amuser les gens qui passent, leur plaire aujourd’hui et recommencer le lendemain ». Emile Zola, Jules Renard, Georges Courteline y furent régulièrement publiés.
12 Mémoire Vive – Anne-Marie Bellenguez
2- Le souvenir de Rosine Pavkova.
En juin 2016, l’association des Amis du Cimetière des Oubliés a reçu une demande de la part de Monsieur Jean Hamacek-Jirik concernant sa grand-mère Rosine Pavek (en Tchèque Ruzena Pavek) et qui formulait les années de doute qu’il avait à l’endroit de cette dernière, concernant son « éventuelle » hospitalisation à l’asile d’aliénés de Cadillac.
La consultation des fiches du Professeur Bénézech a permis de confirmer à à Monsieur Jean Hamacek-Jirik que Rosine Pavek avait bien été admise à Cadillac le 29 septembre 1929 en provenance des Hôpitaux de la Seine. Originaire de Tchékoslovaquie, divorcée, souffrant d’une démence précoce, décédée le 16 août 1932 à 2 heures du matin de tuberculose généralisée.Elle était soignée par le docteur Régis.
(crédit photographique de Jean Hamacek-Jirik)
3- Mon Papé, cet héros silencieux.
Un combattant de la guerre 1914-1918.
Un combattant parmi tant d’autres !
Lui est revenu de l’enfer.
C’est André Megge, mon grand-père, papé.
Il est né le 2 octobre 1887 à Bordeaux. A 5 ans, sa petite vie bascule : il perd son père.A 7 ans, un nouveau drame : il perd sa mère. Orphelin, c’est l’Assistance Publique de Bordeaux qui le verra grandir.
Jamais je n’ai entendu mon grand- père se plaindre. Il s’était forgé une carapace dans laquelle il avait enfermé ses malheurs, sa tristesse.
En 1908, il réside à Eysines où il est jardinier, cultivateur.
Le conseil de révision lui attribue la note3 pour le degré d’instruction (instruction primaire) et le dirige le 8 octobre 1908 sur la Compagnie de remonte de Saumur. Il est classé cavalier 2ème classe. Il est libéré des obligations militaires le 25 septembre 1910.
En 1911 il habite Talence. En mai 1912, il est locataire de Mme Da Costa, boulevard de la République à Andernos-les-Bains.
Pour la petite histoire c’est chez cette dame, dans la villa Euréka, que Sarah Bernhard viendra se reposer de 1915 à 1916. La grande tragédienne a donc pu admirer un parc bien soigné où poussaient de beaux arbres, des arbustes, des fleurs. C’est mon grand-père qui avait réalisé le jardin…
C’est à cette époque qu’il fait la connaissance de ma grand-mère, Marie Lassalle, dite Germaine, descendante d’une très ancienne famille andernosienne. Elle habitait rue de l’église à quelques pas de la villa Euréka. Ils se sont appréciés, aimés.
La Guerre arrive, impitoyable, brutale.
1er Août 1914, le tocsin de l’église Saint Eloi sonne, comme dans toutes les églises de France… C’est la Mobilisation Générale. Il doit partir au front.
Le 17 août 1914, il arrive au 18éme escadron du train. Il passe au 344éme Régiment d’Infanterie et part aux armées le même jour.
Le 25 novembre 1915, il est affecté au 58éme Régiment d’Artillerie. Par dépêche ministérielle n° 27824 3/3 du 18 novembre 1915, il est dirigé sur le Centre de groupement de Montreux-Vieux, le 9 décembre 1915. Montreux le Vieux, à 16 km de Belfort, à 35 km de Mulhouse, fut dès le 6 août 1914 le premier village d’Alsace libéré. Si Montreux le Vieux est un petit village, c’est aussi une importante gare frontière.
Le 12 février 1915 il accueillait Raymond Poincaré, Président de la République, accompagné du ministre de la guerre Alexandre Millerand, du ministre de la justice Aristide Briand et du Général Joffre, commandant du Secteur.
Le 4 avril 1915, une loi permet aux soldats de se marier par procuration. André et Marie sautent sur l’occasion, d’autant que début mai 1915 une petite fille est née ! Le maire d’Andernos les Bains, Louis David, les marie le 10 juillet 1915.
Elle sans Lui. Lui sans Elle. Leur petite fille, Marie est alors reconnue. Elle sera surnommée Nancy, papé étant aux alentours de Nancy lorsqu’elle est née.
Combien de mariages par procuration ont été célébrés? Combien de jeunes femmes sont devenues veuves sitôt mariées?
La guerre continue, atroce, sans pitié.
En 1914 il y a la bataille du grand couronné, celle de Champenoux, intense.
En 1915-16, il passe à Art sur Meurthe, à Essey près de Nancy…Et puis février 1916 c’est Verdun qui commence. Là, on se tait.
Au mois de mars 1918 il est à Andernos les Bains. En permission ? Tous les trois savourent ces quelques instants pris à la guerre.
Le 11 novembre 1918, c’est l’Armistice.
Il a fait toute la « Grande Guerre ». Il en a vu toutes les horreurs, les atrocités… jamais je ne l’ai entendu s’apitoyer sur le sort des soldats, jamais il n’a décrit ce qu’il a vécu, jamais il n’a dit la faim, le froid, la pluie, la chaleur, la promiscuité, les douleurs, les souffrances, la peur, les blessés, la mort …Il a juste fait son devoir. Il en était très fier. Fier du devoir accompli.
Son livret militaire, retrouvé aux Archives Départementales de Bordeaux, m’a permis de le suivre un peu.
« Combattant volontaire du service auxiliaire a été classé service armé sur sa demande le 17 août 1914, est parti aux armées dans l’unité combattante le 17 août 1914. »
29 octobre 1918 : « L’ennemi a continué à battre en retraite entre l’Oise et la Serre, sur un front de plus de 25kms… Progression vers le Nord, vers l’Ouest… »
« Sur le front depuis le début de la campagne, a toujours fait preuve du plus grand dévouement et du plus grand courage en allant secourir les blessés malgré les bombardements, notamment le 29 octobre 1918 à la ferme Chautaud. »
Ses récompenses, ses médailles (que je n’ai malheureusement pas) :
*Cité à l’ordre du Commandement de l’Artillerie lourde du 18éme corps d’Armée le 30 janvier 1918.
- Croix de combattant volontaire du 9 avril 1939
- Croix de Guerre étoile de bronze
- Croix du Combattant.
- Médaille de la Victoire
- Médaille Commémorative
- Médaille Militaire le 29 novembre 1951
Le 29 mars 1919, il est mis en congé de démobilisation par dépôt démobilisateur du 24ème Régiment d’Artillerie, 6ème échelon. Il se retire à Andernos- les- Bains.
« Le 1er juin 1921, il est affecté au 58ème Régiment d’Artillerie, désaffecté au profit du 24ème R d’A et classé sans affectation le 1er août 1927. Il est affecté à la poudrerie de Saint- Médard le 1er mars 1932. »
A Andernos- les- Bains, horticulteur paysagiste très apprécié, il va vivre auprès de ceux qu’il aime, 5 autres enfants vont naître. Chez lui, villa « Clos Fleuri », rue de l’église, il prend le temps d’écouter et d’aider tous ceux qui ont besoin de lui : remplir des papiers, avoir des conseils, parler pour se libérer. ..
Il est longtemps Président des Anciens Combattants. Présent au Monument aux morts tous les 11 novembre, je le revois, bien droit, la tête levée, le regard fixé sur le drapeau. Quelles images passent devant ses yeux ? Quels sentiments peut-il ressentir dans son cœur ? Mais il est Fier. Fier de lui. Fier de tous ses camarades d’armes, blessés dans leur corps, blessés dans leur cœur, morts. Fier pour la France.
Il sert sa ville en étant pendant 19 ans, conseiller municipal puis adjoint.
Sa femme décède en 1932. Il a 45 ans et 6 enfants. Il se remarie, continue son travail. Un travail qu’il aime et qu’il honore. La vie se déroule, il en a traversé les épreuves sans jamais se plaindre.
Et puis c’est la vieillesse, il est admis à l’hôpital psychiatrique de Cadillac où il décède le 12 septembre 1967, emportant avec lui tous ses bonheurs, tous ses malheurs.
“J’ai contacté l’Association des « Amis du cimetière des oubliés » de Cadillac où il est enterré. Je leur ai écrit une lettre.
Le 11 novembre 2011 elle a été lue en l’honneur de papé. Jamais, un 11 novembre ne m’avait paru plus beau, plus fort.
Papé tu n’es pas « Mort pour la France », tu as juste donné 4 ans de toi pour que la France vive.
Merci papé, Merci à tous tes frères d’armes.”
La « Guerre de 1914-1918 », La « Grande Guerre », La « Der des Der »…
Roger, son fils, son fils unique, engagé volontaire à 18 ans, est « Mort pour la France » en novembre 1944…
Nota : Émouvant témoignage de Madame Eymeri qui se souvient de son grand-père André Megge, enterré au Cimetière des Oubliés, Carré N°16, Tombe n° 18 dont elle a retrouvé la tombe grâce au travail du Professeur Michel Bénézech- « …Les aléas de la vie ont fait qu’avant je ne savais pas où était enterré mon grand-père. J’ai pu me recueillir et porter des fleurs à un homme qui était horticulteur et passionné des jardins. »
je vien de lire ton article , super merci pour l’article.