Des Idées pour oublier la télé…

Posté le 13/01/2013 dans Des idées pour éviter la télé ....


.Bordeaux – Cinéma. A voir dans les salles de Bordeaux et alentours.

A ne pas rater , le film Thérèse Desqueyroux , film posthume de Claude Miller adapté du célèbre roman de François Mauriac.

1962 Malagar: François Mauriac, Emmanuelle Riva et Philippe Noiret (crédit photograhique: Centre François Mauriac de Malagar)

Pour ceux et celles qui avaient été enthousiasmés en 1962 par les interprétations d’Emmanuelle Riva et de Philippe Noiret, dans le film Thérèse Desqueyroux que Franju avait alors réalisé, il y avait un peu d’appréhension et beaucoup de curiosité à aller voir cette seconde version. Ils ont été comblés. Thérèse (Audrey Toutou) et Bernard Desqueyroux (Gilles Latouche) habitent complètement leur personnage. Thérèse mystérieuse, enfermée dans son monde si loin de celui de son quotidien et dont les yeux si noirs ne laissent rien voir de son dessein : empoisonner son mari, un homme qu’elle n’aime pas, un homme qui ne peut la comprendre, si terrien, si bon vivant, si ancré dans ces Landes, si viscéralement attaché à ses pins ! Les paysages sont lumineux, éblouissants. Le spectacle de l’incendie qui ravage une forêt dont les pins crépitent est fascinant. Toute l’atmosphère étouffante des Landes girondines en été est palpable !

François Mauriac pour écrire le roman fut inspiré par un procès en cour d’assise auquel il avait assisté le 25 mai 1906. On y jugeait Henriette Canaby accusée en 1905 de tentative d’empoisonnement sur son mari Emile Canaby, courtier en vins bordelais, et parait –il, alors,très endetté. Finalement le jeune femme ne fut condamnée que pour faux et usage de faux d’ordonnances avec lesquelles elle se procurait de l’acotinine, de la digitaline et de l’arsenic qui entrait dans la composition d’une médication prescrite à son mari : la liqueur de Fowler. La tentative d’empoisonnement ne fut pas retenue par le tribunal. Il est vrai que pour sauver les apparences du couple, dans cette société bourgeoise bordelaise, son mari avait témoigné, alors, en faveur de son épouse.

Nota : Henriette Canaby repose au cimetière de Cambes.

 

« Thérèse Desqueyroux sous le regard du criminologue contemporain » par Michel Bénézech.

Introduction – Les lignes qui vont suivre sont celles d’un lecteur « amateur », ni philosophe, ni écrivain ou littérateur, ni spécialiste de François Mauriac. Le titre de cette communication nous permet de centrer notre étude sur le roman Thérèse Desqueyroux et son personnage principal, Thérèse, tel qu’il apparaît encore dans d’autres textes de son créateur. Précisons d’emblée que Thérèse Desqueyroux n’est pas un roman policier au sens actuel du terme. On n’y trouve point de technique criminalistique, de suspens et de suspect, d’énigme sur l’identité du criminel. Il s’agit tout simplement de la peinture psychologique d’une femme qui échoue à empoisonner son mari et du milieu social dans lequel elle vit, où plus exactement elle survit. Comme le note François Mauriac dans son avis au lecteur, le personnage de Thérèse lui a été inspiré par diverses rencontres, la première étant celle d’une femme à la « petite figure blanche et sans lèvres » jugée en cour d’assises. Alors qu’il n’était qu’adolescent, l’on sait que l’écrivain a assisté courant 1906 à Bordeaux au procès d’Henriette Canaby accusée d’avoir volontairement attenté à la vie de son époux par l’effet de substances. Défendue par maître Peyrecave et acquittée du crime d’empoisonnement, Madame Canaby sera finalement condamnée à 100 francs d’amende et quinze mois de prison pour faux et usage de faux 1-2

Le roman  -Catégorie criminologique.

Publié aux éditions Grasset en 1927, Thérèse Desqueyroux est un roman de Mauriac, assez court.[3] Il raconte l’histoire d’une femme perturbée et mal mariée qui essaye d’échapper à son environnement en se débarrassant de son conjoint grâce à de l’arsenic donné à doses excessives et répétées. Dans la classification des homicides du FBI, ce crime pourrait être répertorié sous deux rubriques complémentaires : 1) Mobile intérêt : groupe « Entreprise criminelle », sous groupe « Affaires d’assurances et d’héritages », catégorie « Par profit individuel » ; 2) Mobile psychologique : groupe « Motif personnel », sous groupe « Homicide domestique », catégorie « Planifié »,  c’est-à-dire homicide prémédité et organisé.4.

L’instruction criminelle.

Rapportée dans le premier chapitre et quelques pages ultérieures de l’ouvrage, l’instruction est décrite comme « bâclée », sans expertise psychiatrique de Thérèse ni expertise en écriture des ordonnances médicales falsifiées par cette dernière. Le père de la coupable, maire et conseiller général, est en effet intervenu pour préserver à tout prix la respectabilité et la réputation de la famille, du « nom », sans compter que les élections sénatoriales approchent.  Le non-lieu, ordonné par le juge d’instruction, s’explique apparemment par trois circonstances :

1) Le médecin généraliste a retiré sa plainte pour les fausses ordonnances ;

2) Bernard, victime et mari de Thérèse, soutient sans réserve son épouse ;

3) Cette dernière ment effrontément et nie catégoriquement les faits d’empoisonnement.

Par ailleurs, Il est indiqué que si l’affaire allait jusqu’aux assises, ce serait l’illustre avocat Léonce Peyrecave qui assurerait la défense.

Thérèse, l’empoisonneuse.

On trouve peu de détails sur l’enfance de Thérèse, sa jeunesse (chapitre 1). Dans ses antécédents familiaux, on sait que sa grand-mère maternelle a mystérieusement disparue (scandale ou crime ?) et qu’il y a eu des tuberculeux et des syphilitiques parmi ses ascendants, comme cela était courant à l’époque dans beaucoup de familles. Sa mère est « morte en couches alors que Thérèse était encore au berceau » (sic), elle a donc été privée d’une présence maternelle aimante et rassurante. Fille la plus riche, la plus intelligente et la plus charmante de la lande, c’est une « lycéenne raisonneuse et moqueuse ». Au point de vue physique on la devine plutôt élancée, avec une petite tête mais un grand front, un visage blême, des lèvres fines « avalées », des yeux secs. Son charme est irrésistible. C’est une « intellectuelle » qui aime lire, qui privilégie la vie de l’esprit et qui déteste la chasse, loisir traditionnel dans la région.

Sur le plan affectif, Mauriac nous livre beaucoup plus de renseignements sur son héroïne. Il la décrit comme orgueilleuse, méprisante sans doute, égoïste et indifférente aux autres, froide, ironique, compliquée, essentiellement centrée sur elle-même. C’est une anxieuse, ayant peur de mourir, sans bonheur ni joie, ressentant un profond sentiment de solitude intérieure, d’inutilité, de néant de la vie : « elle se ronge ». Dépressive et suicidaire par moments, elle peut s’enfermer dans sa chambre, gardant le lit, silencieuse, insomniaque, refusant de s’alimenter, sale, grillant cigarette sur cigarette d’une « main toute jaune de nicotine », rêvassant du passé et d’un bonheur futur, se laissant complètement aller jusqu’à la détérioration de son état physique. Se sentant prisonnière de son milieu et de sa belle-famille qui l’empêchent de devenir elle-même, Thérèse déteste Bernard, son mari, et le climat psychologique étouffant de son environnement (La séquestrée de Poitiers est deux fois citées). Elle ne s’intéresse pas davantage à son enfant, la petite Marie, et ne veut pas qu’elle lui ressemble.  Mauriac précise cependant que son héroïne est un « esprit fort », qui ne pleure jamais, sujette aux rêveries imaginatives.

On apprend encore que Thérèse présente de l’indifférence confessionnelle, ne pratiquant pas sa religion, sans pour autant être « assurée du néant ». Très attachée à ses terres et à ses pins, elle a connu avant son mariage une relation privilégiée, de connotation homosexuelle, avec Anne, demie sœur de son futur époux. L’importance qu’elle porte à la pureté depuis l’enfance (« j’étais comme un ange plein de passions »), se double de tendances sado-masochistes morales dans ses relations à autrui : « Je souffrais, le faisais souffrir sans aucune pitié ». Sans aucune pitié, elle a effectivement sans aucune pitié, fait souffrir son amie Anne, ressentant la douleur comme sa « raison d’être au monde », en éprouvant souvent une certaine volupté. Tout ceci aggrave l’isolement, la solitude où selon elle Bernard l’a condamnée.

Le mariage et la vie conjugale de Thérèse sont bien représentatifs de son état d’esprit insatisfait et négatif. À Argelouse, les familles Larroque et Desqueyroux, qui sont voisines, veulent unir Bernard (vingt six ans à son mariage) et Thérèse (âge inconnu à son mariage, seize, dix huit  ans ?). C’est le désir de tout le pays. C’est un mariage de raison et d’intérêt, étant donné les fortunes respectives complémentaires, mais une union sans amour, sans bonheur et sans joie, une « cage » aux yeux de Thérèse, en dépit du fait qu’elle devient la belle-sœur d’Anne. D’ailleurs, le jour des noces, elle est « laide et même affreuse… méconnaissable », la nuit nuptiale étant désastreuse : « ce fut horrible… ». Se sentant souillée dans son intimité, impure, son hostilité à l’amour physique devient manifeste. Elle se découvre frigide, fait semblant de jouir, refuse intérieurement la maternité qui lui sera imposée. Après la naissance de leur fille Marie, elle commence à ne plus pouvoir supporter son époux, à vivre « tout contre cet homme ». Elle devient jalouse du bonheur d’Anne très amoureuse de Jean Azévédo, juif converti et tuberculeux, qui fascine aussi Thérèse par son parisianisme, son intellectualisme et la liberté de ses propos.

Bernard, la victime.

Contrairement à son incomprise et malheureuse épouse, Bernard est un beau garçon campagnard au teint coloré, bon vivant, légèrement obèse, aux manières frustes et sauvages sachant le patois, parlant du nez. Bien que « bâti à chaux et à sable », il est fragile, toujours inquiet, craignant la maladie et la mort. Sur les plans intellectuel et affectif, Mauriac le décrit comme instruit, « très supérieur à son milieu ». Il suit en hiver des cours de droit à Paris. Simple, naïf, de bonne foi, il a un coté paysan, aime la nourriture, la boisson, l’automobile, la chasse (fusil, chien, palombière). Il est pudique, sauf dans les relations sexuelles avec son épouse qu’il paraît considérer comme une proie. Esprit équilibré et organisé, méthodique, précis, Bernard sait toujours ce qu’il a à faire, parlant d’un ton péremptoire avec une certaine autosatisfaction. Incapable d’aimer et de comprendre Thérèse, ce fut un « fiancé indifférent », peu pressé de se marier. Il a du rôle de la femme un point de vue misogyne, traditionnel dans son milieu. Cette dernière doit effacer sa personnalité dans ses devoirs d’épouse et de mère et accepter sa condition familiale et sociale.

 Le couple Bernard- Thérèse.

L’approche psychologique des deux époux laisse pressentir que leur vie conjugale devrait être dysharmonique. C’est évidemment le cas. Il existe en effet un trouble grave de la communication entre Thérèse et Bernard, Thérèse et ses beaux-parents et enfin entre Thérèse et son père qui, méprisant les femmes, déclare à deux reprises dans le roman: « toutes des hystériques quand elles ne sont pas des idiotes ». Nous avons d’un côté une héroïne anxio -dépressive, souffrant d’une grave problématique existentielle, mais de présentation froide, ironique, raisonneuse, bien que ce soit une rêveuse passionnée, sevrée d’amour, qui veut s’émanciper, s’évader, qui recherche la vie et les vivants de façon égoïste. D’un autre côté, Bernard est incapable de satisfaire le besoin d’affection et de liberté de son épouse. Il n’est pas inintelligent du tout mais ses aspirations sont triviales et sensuelles, sans intérêt pour la psychologie des êtres qui l’entourent. Il ne comprend rien à cette femme compliquée, mécontente, qui l’a toujours intimidé et humilié, à ce pur esprit dégoûté par l’amour physique. Entre cette intellectuelle incomprise et frigide et ce demi-paysan, il existe un fossé affectif et spirituel infranchissable. Pour Thérèse, sa famille d’adoption est une « cage aux barreaux innombrables et vivants… tapissée d’oreilles et d’yeux » qui l’empêche de s’épanouir, de se découvrir, de devenir elle-même, de se réaliser, de se libérer.  Il faut noter que Bernard n’a pas de rival dans la réalité (Thérèse ne le trompe pas, n’aime pas un autre homme) et que les époux se vouvoient. Pour s’évader de cette prison psychologique et sociale, l’héroïne de Mauriac doit-elle détruire préventivement cette famille pour éviter qu’elle  finisse par l’anéantir ?

Le crime d’empoisonnement.

Indiquons d’emblée qu’il s’agit d’une infraction particulière à l’origine d’une incrimination spéciale. L’ancien article 301 du  Code pénal (du temps du roman de Mauriac) a fait place à l’actuel article 221-5 du même code : attentat à la vie d’autrui par l’emploi ou l’administration de substances de nature à entraîner la mort. C’est donc l’administration volontaire de substances dont le caractère mortifère est connu de l’auteur. Même s’il ne résulte aucune conséquence dommageable pour la victime, le seul fait d’avoir tenté de l’empoisonner ne constitue le crime d’empoisonnement passible de trente ans de réclusion criminelle.

Pour Bernard et sa famille, le seul et unique mobile envisageable du crime est évidemment l’intérêt, à savoir l’héritage des pins de son mari. Toutefois, à la fin du roman, Bernard ne croira plus à un simple calcul utilitaire. Pour Thérèse, on l’a bien compris, le mobile véritable est sa survie psychologique, la défense désespérée  d’une épouse déçue qui se venge et aspire à la liberté. Moins de deux ans après leur mariage, Thérèse va donner à Bernard des doses anormalement élevées de liqueur arsenicale de Fowler, médicament qui avait été prescrit en gouttes à ce dernier pour une anémie. À noter que le jour d’un grand incendie, Bernard, qui a vingt-sept ans, a multiplié involontairement par trois le nombre de gouttes qu’il prend quotidiennement. Cette  surdose aiguë entraînera des symptômes qui seront confondus avec ceux d’une « grippe infectieuse ». Deux ordonnances médicales illicites sont retrouvées par le juge d’instruction : la première, rédigée par le Docteur Pédemay, a été falsifiée par Thérèse qui y a ajouté de sa main de la liqueur de Fowler ; la seconde, entièrement fausse et rédigée par Thérèse, porte trois substances thérapeutiques dangereuses, à savoir le chloroforme, l’aconitine et la digitaline. On ne trouvera aucune trace de ces toxiques dans le sang de Bernard.

Le roman ne précise pas exactement les modalités d’administration criminelles de la liqueur de Fowler et on hésite entre une intoxication quotidienne ou plus vraisemblablement par périodes dans le chocolat du matin de Bernard ? Quoi qu’il en soit, l’époux présente un tableau clinique d’empoisonnement chronique à l’arsenic se caractérisant par des troubles digestifs, une polynévrite des membres inférieurs (« jambes inertes et insensibles »), des syncopes, une tachycardie (augmentation de la fréquence cardiaque) et une hypothermie (baisse de la température corporelle). Comme dans l’affaire Canaby, c’est un domestique et un commissionnaire « inconnu » qui iront chercher les toxiques à la pharmacie. Alors que Thérèse reste à Argilouse, la victime va mieux dès son hospitalisation d’urgence en clinique à Bordeaux.

L’instruction criminelle est ouverte suite à la plainte du Docteur Pédemay, averti par la pharmacie Darquey de l’existence d’ordonnances falsifiées à son nom, et se termine par un non-lieu faute de preuves comme nous l’avons déjà précisé. Il n’y aura ni divorce ni séparation officielle entre les époux, Bernard ne laissant pas sa femme s’expliquer après les faits et la condamnant moralement sans appel à vivre seule à Paris loin des siens et de ses arbres. En effet, Thérèse veut avouer à son mari, espérant ainsi être pardonnée. A la fin du roman, Bernard interroge « cette folle…cette maniaque » sur la raison de son crime mais il regrette ensuite de lui avoir posé la question. Thérèse lui demande à nouveau pardon. En définitive, la victime ne comprendra jamais qu’il y a deux Thérèse : la bourgeoise propriétaire de pins fière de tenir son range et la femme insatisfaite d’amour et de liberté.

Le personnage de Thérèse.

En sus de Thérèse Desqueyroux, d’autres écrits de Mauriac nous renseignent sur la psychologie de son héroïne. Citons, pour ne plus y revenir, Le Romancier et ses personnages (1933) et les Notes de François Mauriac publiées en 1977 par son fils Claude. Dans Conscience, instinct divin, premier jet de Thérèse Desqueyroux, publié dans La Revue nouvelle du 1er mars 1927, quelques semaines après le roman, nous avons affaire à une chrétienne dont la confession écrite est adressée à un prêtre. On y trouve déjà la pureté absolue de l’enfance, le sado-masochisme moral (« je souffrais, je faisais souffrir, je jouissais du mal que je faisais et de celui qui me venait de mes amies »), le mariage sans vrai amour et l’angoisse des nuits où le « cher ourson » devient une « bête cruelle qui avait besoin des ténèbres ». Ici le crime d’empoisonnement a valeur de rituel de purification morale, purification de la souillure de la pureté de Thérèse mais aussi du mari (Pierre) qu’elle veut libérer du mal de la sexualité.

Dans la nouvelle Thérèse chez  le docteur (1933 puis 1938), l’héroïne se rend chez un célèbre psychiatre parisien « mâtiné de juif » un soir où il ne consulte pas (à 23 heures). Excitée, elle raconte sa rupture avec son amant Azévédo, puis parle d’un autre amant qui lui demande d’empoisonner un de ses ennemis, petit propriétaire viticole du Sud-Ouest, qui le fait chanter. « Sauvez-moi, docteur » dit-elle en mettant la main dans son sac d’où elle ne sort pas d’arme à feu mais un paquet de produits toxiques destinés à son suicide. D’abord effrayé, le psychiatre se cache derrière son bureau. On retrouve dans ce texte cette fascination du mal et de la mort déjà si présente dans Thérèse Desqueyroux, cette « puissance de destruction » dont elle a peur mais qui fait partie de son destin de criminelle-née. On y rencontre une Thérèse au comportement théâtral, hystérique, histrionique dirait-on maintenant, suicidaire. A noter que le premier titre qu’avait donné Mauriac à cette nouvelle était La Fin de Thérèse (1928). Dans la seconde nouvelle consacrée à l’empoisonneuse, Thérèse à l’hôtel (1933), il s’agit d’un monologue dans lequel l’héroïne raconte une série d’aventures amoureuses qui témoignent de son besoin de tendresse, de son désir d’amour. Si ces relations l’ont sauvé de la déchéance, elles n’ont pas satisfait son illusoire quête de la liberté. Elle découvre un peu plus son pouvoir de destruction d’« ange noir », thème cher à Mauriac. A la recherche d’un bonheur impossible, Thérèse manifeste ici une culpabilité plus profonde de ses capacités à faire le mal.

Dans La Fin de la nuit (1935), second roman de Thérèse Desqueyroux, écrit en huit jours selon Claude Mauriac, on est en présence d’une héroïne plus âgée de quinze ans dont c’est le dernier et platonique amour. Thérèse a séduit le fiancé (Georges) de sa fille, fiancé qui n’aime pas Marie alors âgée de 17 ans. Après l’avoir éconduit, Thérèse, pour apaiser ses remords, lui demande d’épouser Marie. Elle sauve ainsi le bonheur de sa fille qu’elle avait compromis. A la fin du roman, Thérèse mourante revient avec Marie à Argelouse. C’est donc le tableau d’une rivalité amoureuse et jalouse entre deux femmes d’âges différents, une mère et sa fille, Thérèse luttant jusqu’au bout contre le mal qui est en elle et qu’elle est incapable de vaincre. Prédestinée au crime par un caractère satanique, elle est née « hors la loi ».

La psychologie des empoisonneuses.

Les données anciennes de la littérature nous présentent le crime d’empoisonnement comme celui des hypocrites, des lâches et… des femmes. L’illustre aliéniste Legrand du Saulle, dans son ouvrage Les hystériques (1883), précise que quand une hystérique veut donner la mort, c’est volontiers à l’aide du poison, arme de la femme par excellence puisqu’elle ne nécessite pas de force physique. Dans sa célèbre thèse à Paris, Les empoisonneuses (1906), Charpentier range ces criminelles en deux catégories : 1) Les dégénérées hystériques aux antécédents héréditaires psychiatriques, qui se caractérisent par une intelligence normale mais déséquilibrée, de la persévérance, de la ténacité, une anesthésie affective et morale, de l’égoïsme, de l’orgueil, de la perversité, de la suggestivité, de la sensiblerie, une tendance au vol et à l’anonymographie. Il s’agit ici du « type criminopathologique spécial, essentiellement féminin » ; 2) Les mélancoliques empoisonneuses aux réactions homicides (suicide indirect ou altruiste). En somme, pour les psychiatres d’autrefois, l’empoisonneuse est une hystéro-perverse sur fonds de dégénérescence et de déséquilibre mental, individu amoral et pervers usant du moyen le plus abominable. Les données psychiatriques actuelles font justice à ces explications bio-psychologiques traditionnelles. Il n’y a pas de mentalité particulière, spéciale à l’auteur d’un empoisonnement. Les hommes, on le sait maintenant, empoisonnent statistiquement davantage que les femmes et il faut tenir compte du contexte sociologique et environnemental. L’importance des relations statistiques suicide-homicide a été mise en évidence, beaucoup de meurtriers présentant des préoccupations suicidaires avant et après passage à l’acte. C’est le cas de Thérèse.

Thérèse ressemble-t-elle à l’empoisonneuse classique des anciens aliénistes ? Certes, elle est apparemment peu affective, orgueilleuse, égoïste et frigide, mais c’est surtout une structure pathologique du caractère avec des composantes agressive, dépressive, sado-masochiste morale, et un désespoir existentiel se caractérisant par la peur de l’anéantissement. Suicidaire, mais pas mélancolique au sens psychiatrique de ce terme, elle cogite sur l’acide prussique contenu dans les fougères, sur l’incendie des pins et des gens et sa tante Clara (sourde, laide, vierge) meurt opportunément au moment où elle va se tuer avec le chloroforme qui provient du paquet cacheté de cire contenant les trois toxiques qu’elle a obtenus avec une fausse ordonnance et qu’elle a retrouvé, bien plus tard, au grenier dans une vieille pèlerine. L’empoisonneuse de Thérèse Desqueyroux ne répond donc pas aux typologies du Docteur Charpentier.

Diagnostic criminologique de Thérèse.

De tout ce qui précède, on peut d’emblée affirmer que l’héroïne de Mauriac n’est pas « folle » comme le pensent son mari et sa belle-famille, que dans Thérèse Desqueyroux elle ne souffre pas de troubles psychotiques et qu’elle est donc pénalement responsable de son crime d’empoisonnement. Toutefois, par la suite, dans La Fin de la nuit, elle présentera un long épisode délirant à thèmes de persécution et de culpabilité. Elle se sent en effet épiée, surveillée, menacée, en danger d’être elle-même empoisonnée par sa fille. Elle se croit au centre d’un complot « immense et secret » aux investigations anonymes et invincibles. On la sait coupable, elle mérite le bagne, on cherche un « motif légal », il faut qu’elle évite les « pièges tendus ». Ce tableau délirant, de mécanisme interprétatif (elle n’a pas d’hallucinations), paraît persister jusqu’à son retour dans la lande. Marie, sa fille, n’hésite pas à déclarer à son fiancé : « elle a toujours été folle… c’est une déséquilibrée dangereuse, nous sommes payés pour le savoir. » Selon Freud, le délire de persécution est l’expression de pulsions homosexuelles refoulées : dans Thérèse Desqueyroux, c’est le cas de la très pure Thérèse vis-à-vis de sa tendre amie Anne.

Imaginons que l’on puisse faire l’expertise mentale du personnage romanesque de Thérèse. Selon les critères des classifications actuelles des troubles mentaux, on peut d’abord affirmer que celle-ci souffre indiscutablement de troubles sévères de la personnalité s’expliquant par deux facteurs majeurs : la privation de mère morte en couches et un père davantage occupé par sa carrière et ses mandats électifs que par l’éducation et les états d’âme de sa fille. Cette double carence affective, par absence et négligence parentales, est à l’origine d’un sentiment d’insécurité fondamentale. Mais cette personnalité pathologique fragile se révèle à l’analyse clinique comme complexe, incluant de nombreux traits appartenant à diverses catégories des troubles psychiatriques : 1) Personnalité schizoïde : froideur relationnelle, détachement, faible empathie pour autrui, activité solitaire, peu d’amis intimes ; 2) Personnalité passive-agressive : critique et mépris des autres, cynisme, sentiments d’être incomprise et méprisée ; 3) Personnalité borderline : sentiments de vide, d’ennui, besoin d’être aimée, image floue et incertaine d’elle-même, trouble des conduites alimentaires (anorexie), tendances suicidaires, humeur dysphorique, anxiété épisodique, causticité, propos méprisants, addiction au tabac, idéation persécutoire en situation de crise (dans La Fin de la nuit) ; 4) Trouble dépressif : tristesse, morosité, pessimisme, auto dévalorisation, culpabilité, absence de plaisir ;

5) Trouble sexuel : aversion sexuelle, évitement du contact génital, frigidité, pauvreté sensuelle (le « péché de la chair » et la pureté dans l’œuvre de Mauriac) ; 6) Sado-masochisme moral : fascination pour le mal, agressivité, faire souffrir et souffrir souvent avec plaisir. Paradoxalement, cette personnalité au moi fragile chez une rêveuse insatisfaite ne présente pas de traits histrioniques francs, sauf dans Thérèse chez le docteur où l’on observe une forte exagération de l’expression émotionnelle, la dramatisation de la situation conduisant par peur le célèbre psychiatre parisien à se jeter tout blême et tremblant derrière son bureau !

Thérèse et Emma Bovary.

Écoutons Flaubert : « Tout ce qu’on invente est vrai. Ma pauvre Bovary, sans doute, souffre et pleure dans vingt villages de France à la fois, en cette heure même.5» Existe-t-il un sujet plus banal que celui d’une jeune femme imaginative, mariée sans amour à un petit médecin de campagne, un officier de santé ordinaire et sans personnalité, qui s’ennuie à mourir dans son trou de province, qui pour survivre rencontre la passion amoureuse, l’adultère avec deux hommes différents, et qui criblée de dettes, ruinée, sombre dans le désespoir et se suicide avec de l’arsenic pris chez son pharmacien. Son mari, qui a découvert post mortem son infidélité, mourra brusquement de chagrin en tenant « dans ses mains une longue mèche de cheveux noirs », ceux de son épouse adorée.

Thérèse est selon nous une Emma Bovary, mais une Emma solitaire, intellectualisée, sèche, sans sexualité épanouie, économe quoique très riche, victime du conformisme et de la sottise de son entourage, alors que la vraie Emma a cru se consoler en trompant son mari et non pas en souhaitant le tuer. Si Emma a pu accéder au plaisir physique d’aimer et d’être aimée, Thérèse, du fait de son bovarysme froid, jaloux et intellectualisé, en a toujours été incapable. C’est pour cela qu’elle s’est vengée sur autrui de sa souffrance et de son malheur. Remarquons que Madame Bovary (1857) est le premier roman de Flaubert et que Thérèse Desqueyroux (1927) est le roman d’un écrivain de quarante-deux ans. Les femmes insatisfaites ou libres inspirent-elles les auteurs encore jeunes ? Nous avons comparé sur le tableau suivant quelques caractéristiques psychologiques et comportementales de ces deux héroïnes :

Thérèse Desqueyroux. Emma Bovary
SolitaireJalouse amoureuseFrigideIntellectualiséeDépressive chroniqueRicheEconomeCriminelle GrégaireNon jalouse amoureuseNormaleIntéresséeNon dépressive chroniquePauvreDépensièreMorte par suicide

Toutefois, on découvre dans le roman de Flaubert, comme aussi par exemple dans Tess d’Urberville (1891) et Jude l’obscur (1895) de Thomas Hardy, ou encore L’Amant de lady Chatterley (1928) de Lawrence, une dimension plus générale, plus universelle sur la conquête des femmes pour leurs droits (égalité avec les hommes) et leur liberté (intellectuelle et sexuelle) que dans celui de Mauriac qui nous semble, local, individuel, concentré sur une provinciale et sa problématique. En raison de l’âge de l’auteur qui n’a pas sans doute pas atteint sa pleine maturité, le texte de Thérèse Desqueyroux souffre, à nos yeux d’une faiblesse allégorique, manque de cette abstraction vers l’universel, de cette élévation spirituelle des grands chefs-d’œuvre de la littérature internationale. En mourant, Jude l’obscur murmure les impérissables paroles de Job (III,I-20) : « Que périsse le jour où je suis né et la nuit où l’on a dit : « Un homme a été conçu. »… Pourquoi ne suis-je point mort dans le sein de ma mère ? Pourquoi n’ai-je point cessé de vivre dès que j’en suis sorti… Car maintenant je dormirais dans le silence et je reposerais dans mon sommeil. C’est là que les prisonniers reposent ensemble et qu’ils n’entendent plus la voix de l’oppresseur… les grands et les petits s’y retrouvent et l’esclave est affranchi de son maître. Pourquoi la lumière a-t-elle été donnée à celui qui est misérable et la vie à ceux qui ont l’amertume dans le cœur ? »

Conclusion.

Thérèse, malchanceuse empoisonneuse à l’arsenic de son époux Desqueyroux, est à la fois coupable de son acte mais aussi victime d’un double conflit. Conflit intérieur d’abord entre sa sensualité physiologique naturelle, sa passion et son idéalisme moral, son désir de pureté. La conséquence de cette situation sera un profond refoulement de sa sexualité et un grave malaise existentiel de nature psychopathologique complexe. Conflit extérieur ensuite, aggravant le précédent, entre son besoin de liberté intellectuelle et le conformisme étroit de son milieu familial et social. Tout ceci ne lui a guère laissé d’autre alternative que le crime, entreprise manquée et impunie par la justice, qui lui vaudra cependant la condamnation morale de ses proches et une mesure d’exclusion accompagnée d’un long exil à Paris.  De nos jours, cette affaire de droit commun serait traitée différemment et Thérèse n’aurait pas bénéficié d’autant d’indulgence de la part des magistrats.

Michel BénézechAncien professeur de médecine légale et de droit privé. – Psychiatre honoraire des hôpitaux, criminologue.

Références.

[1]Bénézech.M.Un crime d’empoisonnement à Bordeaux-L’affaire Canaby. Revue Historique de Bordeaux et du département de la Gironde.1993-2000.TommeXXXV-221.

[2] Bénézech M. L’affaire Canaby et Thérèse Desqueyroux. Cahiers de Malagar, automne 2010, Tome XIX, 151-158.

[3].Toutes nos citations et annotations littéraires concernant l’œuvre de François Mauriac sont extraites de la Bibliothèque de la Pléiade : Mauriac, Œuvres romanesques et théâtrales complètes. Paris Gallimard, tome II(1979) et III (1981)

[4] R.Ressler. Crime classification manual. The standart system for investigating ans classigying violent crimes.

London, Simon and Schuster. 1992.

[5] G.Flaubert . Oeuvres, Madame Bovary.Paris, Bibliothèque dela Pléiade, Gallimard, tome I.

Remerciements :

Au Professeur Michel Bénézech et au Centre François Mauriac de Malagar pour leurs autorisations de publication de cet article paru précédemment dans les Cahiers de Malagar publiés par le Centre François Mauriac de Malagar et les éditions Confluences- Cet ouvrage paraît chaque année pour les Vendanges de Malagar et reprend les interventions de l’année précédente. Concernant le texte de Michel Bénézech sur Thérèse Desqueyroux, il a été publié à l’origine dans les Cahiers de Malagar n° XIX à la suite des Journées du Patrimoine organisés par le Centre François Mauriac à l’Hôpital Saint-André de Bordeaux les conférences données à cette époque avaient pour thématique Mauriac et la médecine.

En 2012, Michel Bénézech pour les Cahiers XXI a repris son texte d’origine et a fait quelques corrections, c’est le texte que vous pouvez lire, chers lecteurs, dans ce numéro de vos petits Cahiers.

Langoiran au Bistrot Splendid

  • Vendredi 18 janvier à 20heures.

Tildon Krauz, folk old time (Brooklyn.USA) Prix: 7 euros.

  • Vendredi 25 janvier à 20heures.

Hot Gang. Rockhabilly (Périgueux.Fr) Prix :7 euros.

  • Vendredi ler février à 20heures.

La Galette 2013 – entrée gratuite.

Les meilleurs vœux de l’ouest. (Territoire imaginaire itinérant de l’époque des cow boys)

  • Samedi 16 février à 20heures.

Vintage rock et modern blues (Bordeaux fr.)

  • Jeudi 21 février  à 19heures –

Piano Bar avec jean Philippe Marticelli  -entrée gratuite.

  • Vendredi 1er mars à 20 heures

Deux figurants – Chansons (Bordeaux) Prix 7 euros.

Février.

Lugasson

Salle des fêtes le samedi 9 à 17 heures

Conférence et débat-public sur la Grotte Chauvet-Pont d’Arc (Ardèche)

avec comme intervenants: Catherine Ferrier, Université Bordeaux 1 (UMR 5199 PACEA) et Pierre Guibert, Université Bordeaux 3 (UMR  IRAMAT-CRP2A)

La grotte Chauvet-Pont d’Arc en Ardèche est un site d’importance majeure par l’ancienneté des dessins et le raffinement des techniques graphiques L’homme de la préhistoire y a aussi réalisé des feux pour lesquels nous ne connaissons pas les fonctions exactes: éclairage, cuisson, chauffage, production du charbon de bois, cérémonie rituelle…? Pour tenter d’y répondre, une équipe de scientifiques a entrepris une série d’expérimentations en milieu souterrain dans une carrière de l’Entre-deux-Mers. Les premiers résultats confortent certaines hypothèses avancées et laissent apparaître de nouvelles perspectives d’interprétations…”

 


 


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