“-J’ai un endroit à te montrer ! Je pense que tu auras quelques lignes à écrire ensuite !”
Il est inutile de m’en dire plus ! Je suis « ferrée » et Paz sait bien que son invitation va me captiver ! Elle sait mon goût à entrer dans les lieux naturels ou construits comme dans des mondes parallèles, parfois hostiles, souvent amicaux, conteurs, artistes de pierres de bois ou d’eaux possédant le talent de susciter l’émotion. Maisons miroirs du temps, connectées à l’invisible, reliées aux disparus, présents cependant de façon métaphysique, pressentis au détour d’un arbre, d’un perron ou d’une berge de lac.
Gornac est un village pas très loin de chez moi, prés de chez mon amie Paz. Comme beaucoup dans l’Entre-deux-Mers, il est vêtu de vignes ponctuées de champs et de bosquets survivants à la culture intensive du Merlot et du Cabernet.
Nous arrivons devant une allée, je n’en décèlerai l’étrangeté qu’une fois en face d’elle, pour l’instant nous garons le véhicule. Nous sommes deux fillettes en pleine forfaiture ! Nous avons beau savoir, par le mari de Paz, mystérieux à souhait, posséder l’autorisation de la visite, nous allons quand même entrer dans un domaine privé ! La délicieuse peur de ne pas être où il faut, de frôler l’effraction, le danger, je la connais depuis toujours ! Elle me saisissait devant l’entrée d’une bâtisse abandonnée, d’une grille cadenassée que j’escaladais sans vergogne, au seuil d’une cabane de pêcheurs désertée. Je flirte avec ces morceaux de puzzle du monde comme une minette de bal ! L’âge n’y fait rien ! Au contraire ! J’ai plus de temps, plus d’aplomb ! Que pourrait-on dire à une dame de mon âge ? Exempte, de plus, du soupçon de vandalisme ! Tout au plus me considère-t-on « perchée » de temps en temps !
L’allée se déploie derrière la grille que nous contournons. Les arbres qui la bordent semblent un bataillon de vigiles, un service d’ordre pour une manifestation invisible !
« Il n’y a que Paz et moi » ai-je envie de leur dire !
Branches reptiliennes, parfois évoquant une peau d’éléphant, parfois des rondeurs féminines vite oubliées dans la continuité torturée des ramures telles des griffes montant haut, ou descendant vers le sol qu’elles paraissent agresser.
On croirait percevoir une mouvance, si lente qu’elle en serait imperceptible mais indéniable.
Je croise un chêne empoigné par un lierre offensif, vigoureux, vert, bruissant de toutes ses feuilles vernissées. Celles-ci donnent l’impression d’être moqueuses sur l’écorce grise et ridée du vieil arbre. Malgré sa hauteur, il n’est pas de taille à lutter !
Enfin apparaît, derrière la seconde grille, la demeure !
Avec l’allée morbide comme corridor, je pensais voir apparaître un de ces castels néo-gothiques, embroussaillé, ardoisé, percé de fenêtres étroites, masquées de vitraux jaunes et gris ! J’étais sûre de découvrir des clochetons, des sculptures, des diableries !
Étonnée, je regarde la maison claire aux volets bleus pâles, le pigeonnier appuyé à elle, les dépendances agricoles en ailes à ses côtés. En fait, une fois franchie la seconde grille, on se sent protégé par elle. Ses pics rouillés sont de bien piètres défenses contre l’armée des arbres, menaçant de leurs branches levées comme des poings qui vont s’abattre, ou le cou tendu telles des têtes d’hydres, épiant la maison, attendant l’heure de l’assaut !
Comme pour plus de sûreté une glycine tentaculaire entoure de ses bras de bois l’entrée de la maison et un pommier du Japon, seule couleur chaude, offre son rouge profond à la haie comme un sang neuf !
Tout près, une mare rêve ! Éventée par des feuillages, affectueux ceux-ci, et peuplée de lentilles d’eaux, gestante de la vie cachée en ses profondeurs. Pour preuve, monte le cri d’un crapaud et un « ploc » instaure en l’étain de sa surface plusieurs cercles qui vont mourir sur la berge où s’aventure une bambouseraie.
“Que faisons-nous ici Paz, en ce lieu ?” Me dis-je après que nous soyons entrées et sorties, après que nous ayons parcouru en tous sens ce domaine où nous évoluons comme chez nous. La découverte, dans un salon, d’un couchage précaire, signalant des habitants de passage n’éveille en nous aucune crainte. C’est étrange, nous nous sentons en sécurité ici. Elle n’est pourtant pas si rassurante cette demeure vide sans l’être, avec ses gardiens de l’allée, l’eau noire de la mare, l’enfilade des pièces telles les décennies d’une vie !
Est-ce de cela dont nous sommes venus nous enquérir ? La maison représente l’être paraît-il ! Alors, celle-ci, telle une captive de harem face au temps destructeur est-ce nous ? Qui nous sommes connues à l’aube de notre jeunesse et qui aujourd’hui pouvons regarder le tracé de nos destins derrière nous.
Est-ce nous ce château et l’allée notre devenir inéluctable !
Nous non plus, face à elle nous ne sommes pas de talle à lutter !
Alors nous profitons de cette belle journée de printemps, du rêve que nous offre cet endroit, et que nous partageons telles les enfants que nous avons su rester.
« Si elle était à nous, nous y ferions ci et ça !! Nous habiterions chacune une aile !»
De concert nous imaginons un soyeux matin ensoleillé là sur cette terrasse, nous y prendrions notre petit déjeuner dans la merveilleuse clarté d’un bel été.
Oh, tu peux nous regarder de travers l’allée, nous n’avons plus peur ! Tout à l’heure, en te retraversant, nous lancerons dans l’air nos rires joyeux et le bruit de nos pas sous lesquels crisseront tes feuilles mortes ! Nous vois-tu, nous sommes « en allée » !!
Lysiane Rolland. Crédit photographique de l’auteure.
En allée,
Posté le 18/09/2015 dans Histoire.
Comme il est bon de lire ces lignes .. Comme j’aurai aimé partager cet instant avec Lysiane et son amie Paz …. Mais il est facile grâce à la plume de notre écriviste de percevoir ce lieu
Merci Lysiane
Je connaissais Gornac car j’y ai acheté ma voiture dans un garage là bas…..ta description me donne envie d’y retourner.
Je ne connais pas Gornac mais je connais Lysiane et curieuse de ses mots je me suis “en allée” dans la lecture de ce texte et me suis retrouvée prise au charme du rève de la mare, j’ai caressé des yeux les branches reptiliennes et reconnu le lierre enserrant l’arbre toujours plus haut mais qui finalement l’habille de jeunesse …
Bravo Lysiane.
Françoise