FEU A.380 !

Posté le 15/05/2021 dans La petite chronique.

Le mercredi 3 février 2021, Sud-Ouest (Gironde) titrait : « Quel avenir pour les barges qui portent l’A.380 ?…Des deux barges que les Bordelais regardaient passer sur la Garonne, seul[i] le « Brion » continue de transporter des ailes d’avion. Durant encore l’année 2021 ce navire transportera des pièces de Beluga puis 2022 sonnera la fin de son rôle pour Airbus. Le « Breuil »son jumeau est déjà à l’arrêt, désarmé à Bassens. Comme pour les infrastructures de Pauillac et de Langon, il y a d’onc urgence à trouver comment réemployer les deux barges … »

Qui se souvient encore vingt ans après que la construction de l’A.380 aéronef , aux dimensions exceptionnelles, suscitait alors soit un enthousiasme laudatif  soit inquiétude et interrogation sur la finalité d’un tel projet ?  Il est vrai que la puissance publique, sous prétexte d’urgence absolue, avait jugé inutile d’organiser un débat public craignant par avance les réactions des citoyens envers un projet qui dépassait largement les normes habituelles.

Considéré, par ses concepteurs comme un avion révolutionnaire pour le transport aérien, ce devait être le plus grand avion de transport de passagers jamais réalisé, capable de transporter jusqu’à 800 passagers pendant 14.000 kms sans escale. Conçu pour répondre aux prévisions d’accroissement  du trafic aérien  d’environ 5% sur 20 ans, calculés d’après la croissance économique des trente dernières années. Qu’importe si seuls 30 aéroports internationaux étaient alors susceptibles de l’accueillir et encore en aménageant une piste particulière ; qu’importe si déjà le dernières statistiques faisaient état d’un fléchissement international du trafic aérien  résultat d’une crise économique déjà observée outre-Atlantique ; qu’importe si sur le plan régional, il a fallu transformer les départementales de la Gironde,des Landes et du Gers en itinéraire hors gabarit .Seize communes seront impactées au détriment de la qualité de vie des habitants-  des milliers d’hectares de bois, de champs seront détruits au détriment de l’environnement. (En juillet 2001, Le Monde titrait « A.380, un désastre écologique »).

Il y eu le parcours routier (travaux prévus pour 1 milliard d’euros) il y aura, aussi, les travaux pour aménager le parcours fluvial : les composants de l’A.380 étant acheminés  par cargos jusqu’à Pauillac puis déposés ensuite sur des  remorques de transport, ces dernières véhiculées  ensuite par  les fameuses barges jusqu’à Langon en utilisant la Garonne. Ces barges de 14 mètres de large et de 60 mètres de long nécessiteront des équipements particuliers  pour pouvoir franchir les ponts, tels le mythique Pont de pierre à Bordeaux, mais aussi le pont de Langoiran !

Parallèlement l’A.380 dont l’assemblage était réalisé à Toulouse, aura nécessité l’aménagement- d’une zone industrielle spécialement construite dont le coût était alors estimé entre 3 et 5 milliards ! Et bien évidemment il faut ajouter le coût du programme de l’A.380 soit 11 milliards !

Afin que l’affaire soit rentable pour EADS, qui est la maison mère d’Airbus, cette dernière société devait  réaliser 350 millions d’économie annuelle à partir de 2005. Ce qui signifiait la mise en place d’une politique drastique d’économie à laquelle ont du participer tous les partenaires équipementiers, sous traitants, eux-mêmes ayant du s’adapter pour pouvoir participer au programme. Quelques grandes entreprises du Sud-Ouest en ont fait les frais comme la société Messier Dowty qui était alors le fournisseur attitré des trains d’atterrissage d’Airbus et n’a alors réussi qu’à obtenir 15% du marché, le reste étant raflé par son concurrent américain  B.F Goodrich. Envolés les 200 emplois qui étaient espérés pour la région paloise. Quant à la société Latécoère, basée à Toulouse, 1er fournisseur d’Airbus en aérostatique, elle a été contrainte de redéployer son outil industriel  et délocaliser sa production de sous-ensemble en République Tchèque. Là l’investissement industriel prévu était de 10 millions avec en corollaire un doublement des effectifs  pour atteindre 450 personnes. La Tunisie avec sa filiale SEM était chargée de produire les éléments de câblage- Quant à la société Reatier  située à Figeac, c’est en Pologne qu’elle fera fabriquer les équipements mécaniques, hydrauliques et pièces en composites afin de réduire les frais de production d’au moins 35%. Enfin Airbus qui avait un protocole d’accord avec la société chinoise AVIV pour produire des éléments d’aile de l’A.320, a proposé à cette entreprise de prendre une participation à hauteur de 8% dans le programme A.380. Quant à la fabrication du moteur le choix s’est porté sur Rolls Royce.

Et l’emploi ? Dans la plaquette de présentation aux maires dont les communes allaient être impactées par le futur itinéraire à grand gabarit, les emplois créés par le projet A.380 étaient évalués à 40.000 en France dont 9000 pour le seul Sud-Ouest. ! Vingt ans après on sait ce qu’il en a été, cette prévision de création d’emplois n’avait été, en fait, qu’une opération de communication bien menée.

Mais revenons à l’actualité et aux barges qui sont maintenant en passe de rester en rade ce que redoute le propriétaire actuel.  Originellement, lors de la création de l’itinéraire à grand gabarit qui avait une justification immédiate avec l’Airbus 380, il devait aussi répondre à un enjeu de développement  industriel donc économique du Grand Sud-Ouest. Il parait qu’il manquait en France, en Europe, une voie susceptible d’acheminer des équipements industriels de grandes dimensions ( par exemple, des pièces de plus de 25m de long)  ceux-ci devant être de plus en plus nombreux tels : alternateurs, dessaleurs d’eau de mer pour raffineries pétrolières, éléments de centrales nucléaires ,passerelles, ponts roulants etc…autant d’éléments qui devaient transiter en alternance avec les pièces de l’A.380. Or à l’époque certains prédisaient, déjà, que si ces prévisions restaient sans suite, le fiasco financier serait à la hauteur des dimensions titanesques du super gros porteur.  Effectivement pendant la durée de vie de « feu A.380 », soit pendant ces vingt dernières années, les riverains de la Garonne, de Bordeaux à Langon, n’ont jamais vu passer les barges que chargées d’éléments du super-avion !

Aujourd’hui les éventuelles perspectives  de survie des barges  seraient moins glorieuses puisqu’il est question du transport des déchets industriels provenant du Lot et Garonne ou encore du transport de colis lourds ! Et Félicité  a envie de dire, pourquoi pas, si cela permet de continuer à faire vivre une partie des installations existantes qui sinon vont finir en jachère !

Aux dernières nouvelles, il apparait que l’Etat recherche un acheteur pour le site de l’A.380!

En conclusion, Félicité (qui a de la mémoire) s’interroge, une fois de plus, sur la capacité de la France de la mise sur le marché mondial de projets technologiques faramineux, qui à peine nés,  font  flop car déjà obsolètes avant d’avoir vécus, et si cette capacité ne fait pas aussi partie de « cette exception culturelle française apte à chanter « Cocorico » à la face du monde. Il n’est que de se souvenir : du magnifique paquebot « France », de l’éblouissant avion « Concorde », ou encore du prodigieux Minitel… Feu A.380 s’ajoutant  maintenant à la liste ! De profundis!

Félicité.

[i] Sources :

  1. journaliste Gaëlle Richard, article Sud-Ouest du 3.02.2021.
  2. extrait du dossier sur le A.380 paru dans les Cahiers de l’Entre-deux-Mers n°46- septembre-octobre 2001 – Archive à retrouver sur site :www.routefmauriac.org

 


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