Reportons nous dans les années 60, années pas si lointaines et pourtant du siècle dernier et retrouvons nous dans l’atelier d’artiste de Marie-Josèphe Cotelle-Clère, sculpteur (dirions nous aujourd’hui sculpteuse ?), élève de Grange, lui-même disciple de Rodin.
Imaginons l’atmosphère de travail dans cet atelier de 300m2 où une femme façonne aux ciseaux la matière dure pour lui donner forme selon les commandes publiques de vierge piéta, calvaires, chemins de croix, mais aussi Monuments des fusillés du Mont Valérien, ou encore selon les commandes privées de bustes d’enfants, d’êtres chers suivant une tradition un peu perdue de nos jours. Ambiance de travail, celle d’une ruche, Marie-Josèphe n’est pas seule, elle accueille, enseigne son art à de jeunes élèves qu’elle à cœur d’accompagner dans leur carrière. N’a-t-elle pas créé un « prix jeune sculpteur » pour mieux les faire connaître ?
Dans cet atelier, il y a aussi une petite fille Anne-Marie qui écoute, regarde, baigne dans cette sorte d’incubateur qui lui permettra de développer sa sensibilité artistique. C’est la fille de Marie-Josèphe qui, devenue adolescente souhaitera faire du théâtre, plus particulièrement de la mise en scène. Contre toutes attentes, elle aura un veto de sa mère, pourtant femme libérée, indépendante financièrement, exerçant un art, encore considéré comme étant plutôt réservé au sexe dit fort. Il est vrai que mai 68 n’a toujours pas bousculé les tabous sociétaux du moment.
Hors de question pour une jeune fille de bonne famille, éduquée au sein d’une institution religieuse de devenir comédienne alias théâtreuse si vite apparentée à la gourgandine !
Néanmoins la jeune Anne-Marie sera autorisée à s’inscrire aux Beaux Arts option peinture.
Ayant de la suite dans les idées, dès sa majorité, elle ira aux cours Florent, puis Raymond Girard et enfin à l’école des Arts et Techniques du théâtre . Elle participera même à la création d’une petite troupe qui se produira au Festival de théâtre de Gargilesse en jouant en décor naturel, devant le château deux pièces de Musset, une pièce d’Alexandre Dumas fils “Antony”. Elle jouera aussi à Paris “Le dialogue des Carmélites” de Montherlant dans une mise en scène de Patricia Nivet et montera plusieurs pièces de théâtre.
Cependant sa carrière parisienne sera assez vite interrompue par un mariage avec un provincial charentais exilé à Paris, qui reviendra rapidement vers la région bordelaise, plus exactement à Saucats en plein dans la forêt des Landes girondines. Cela tombe assez bien, nous sommes alors dans les années 70, celles du retour à la terre, à la recherche de la vie naturelle. Anne-Marie découvre les joies du jardinage, des ressources du potager, des œufs coque sortis du cul de ses poules, des marchés locaux. Le temps s’écoule, les enfants grandissent et c’est le retour nécessaire à la vie citadine pour scolariser les deux garçons. La famille s’installe alors dans la proche banlieue bordelaise, avec quelques difficultés financières à la clé. Anne-Marie entreprend de travailler en faisant ce qu’elle sait faire c’est-à-dire donner des cours de théâtre, puis d’art plastiques au sein d’associations, ou des collectivités locales. Auparavant elle aura pris la décision de passer, enfin, son permis de conduire, détail qui n’a rien d’anodin car cela va lui donner aussi une certaine liberté. C’est grâce à cette nouvelle mobilité, qu’un jour elle découvrira l’Entre-deux-Mers et plus particulièrement les bords de Garonne à Langoiran. La Garonne et son mascaret, ses sublimes couchers de soleil, ses changements de couleurs selon ses humeurs et celles de ses marées. La jeune femme tombera littéralement sous le charme, ce qui la déterminera, après le décès de Marie-Josèphe, à acheter la maison de ses rêves, à savoir une ancienne quincaillerie, ayant pignon sur rue, vue imprenable sur l’estey, des volumes et ressources spatiales se prêtant parfaitement au projet qu’elle mûrit depuis si longtemps : créer une galerie d’Art. Elle l’appellera LA TRAVERSEE. Toute une symbolique, celle du chemin de vie parcouru mais aussi toute une réalité, celle là géographique. « La Traversée » se trouve exactement à la limite qui sépare les deux communes de Langoiran et du Tourne[1]
Au départ, Anne-Marie pensait y exposer ses œuvres et puis très vite, lors du festival des « Rencontres de la Route François Mauriac » il lui a été demandé si elle acceptait de participer et de créer un évènement culturel en ce lieu. Puis ce fut le tour de la Communauté de communes du Vallon de l’Artolie, et ensuite les expositions se sont succédées : sculpteurs, peintres, plasticiens, La Traversée est devenue rapidement un espace de rencontres pour les nombreux artistes installés sur ce territoire de l’Entre-deux-Mers qui se trouve être un véritable vivier.
Aujourd’hui après avoir emprunté quelques chemins de traverses, comme la vie vous en impose souvent, Anne-Marie est, semble t-il, revenue aux origines, celles initiées par sa mère Marie-Josèphe, en encourageant les jeunes artistes sans leur demander de droit d’accrochage de leurs œuvres, sans exiger un droit sur les ventes qu’ils peuvent réaliser, comme c’est habituellement l’usage, en ce sens la Dame de La traversée est aussi un véritable mécène.
C’est toujours dans cet esprit qu’elle a réalisé avec un collectif de femmes l’exposition NUNCA MAS.
L’exposition Nunca Mas (Jamais plus)
C’est l’aboutissement d’un projet longuement mûri, deux ans, peut être plus : la création d’un évènement, porté par plusieurs artistes femmes, autour du thème, oh ! combien vaste « Des femmes, de leurs conditions (au sens le plus large) ici et ailleurs dans le monde. »
Donc, un collectif a vu le jour, réunissant dix femmes, de tous âges, ayant eu des expériences de vie différentes mais ayant toutes un dénominateur commun , elles sont artistes : peintres, sculpteurs, plasticiennes, danseuses, comédiennes, décidées à s’engager sur ce projet chacune à sa manière.
Le titre de l’exposition Nunca Mas (Plus Jamais , expression populaire espagnole) est celui du titre d’un livre d’ Alain Ducos et d’une rencontre qui fut décisive, entre Anne-Marie et l’écrivain.
Nunca Mas « je ne veux plus jamais être battue, souillée, violée, dévalorisée, humiliée, je refuse de me soumettre à la violence, aux ordres, à la complaisance, à la perversité, je veux être moi »
Autour de l’exposition, des soirées alliant peintures, sculptures, installations, vidéos, œuvres sonores, chorégraphie, lectures, théâtre mettent en scène plusieurs thématiques suscitant ensuite un débat où interviennent aussi les hommes présents.
Le travail artistique va au plus profond de l’intime, explore les représentations de la Femme et la vie familiale, la religion, la sexualité, la quotidienneté, traite les sujets avec humour allié à la provocation sans oublier la tendresse y compris pour cette autre partie de l’humanité : l’Homme !
L’exposition Nunca Mas est à la Galerie La Traversée jusqu’au 12 février 2012 puis au projet CM, 4 quai Deschamps à Bordeaux Bastide.
Ensuite elle va partir en voyage à Agen, Pau, Paris.
Celles qui à qui l’ont doit cette remarquable exposition : Odile Alliet, Odile Bernat, Carole Collaudin, Corinne Kamiya, Hélaine C.Teljesség, Soisie Pineau, Nicole Rousse, Stefany Valet, Sylviane Veillon-Gutierrez et naturellement Anne Marie-Frémond.
Renseignements :
Galerie La Traversée
8 route de Bordeaux
33550 Langoiran
Tél : 05.56.67.30.33
Courriel : galerie.la.traversée.@gmail.com
Blog : nunca.mas.over-blog.com
[1] Pour les lecteurs qui ne sont pas de la région, se reporter au site www.routef.mauriac.org où ils retrouveront ces deux villages.
Quelques erreurs dans le texte sur la Dame de la Traversée.
Le “dialogue des Carmélites est de Gerges Bernanos, il a été mis en scène par Patricia Nivet et présenté à la salle Nicolaïte de Paris. Antony d’Alexandre Dumas mis en scène par Fabienne Pascaud (Cf Télérama )avec P.Nivet dans le rôle d’Adèle et David Clair dans le rôle d’Antony, dans lequel jouait également A M Frémont. Ce festival se passait à Gargilesse (Indre)