Republike Populère Transeuropéene
Ministère de la Sékurité Publike
Agence de Veille des Déviances
Buro B60712 033
afère “Cahiers” -B-97AZ 632
Bordo le 5 H 14
Suite à la note adressé le 17 G 14 par l’agent de sécurité du poste de contrôle des déviances GH 6732 au sujet du stock de documents subversifs entreposés dans la galerie de l’abri anti atomique de Beauregard, désafecté lors de la première restoration du Kanonikat Suprème de Saint Jean de La Tran, je transmets ci-dessous les conclusions du commissaire KBG687.
Nature des pièces suspectes :
les pièces suspectes consistent en un lot de 100 cahiers de papier comportant une vingtaine de pages chacun. Les cahiers se trouvaient enveloppés par paquets de 20 dans ce qui semble avoir été une toile de chanvre (matériau textile évoquant la fibre rhoval B607 12). Les paquets étaient déposés dans des caisses de bois présentant sur une de leurs petites faces le logo d’une des principautés qui se constituèrent en république autonomes à la suite de le première explosion de la centrale de Braud -Saint Louis : Château Beauregard/premières cotes de Bordeaux
Lieu de la trouvaille et contexte :
Selon les recherches effectuées par l’agent Clem 027 le château Beauregard aurait été l’un des derniers noyaux de résistance à la restauration du premier Kanonikat. Il était alors tenu par un groupe féminin armé placé sous l’autorité du chef de guerre Koko dont le pseudonyme (Lièvre) semble avoir été choisi en fonction de sa rapidité d’action et de réaction. Après la disparition de tous les mâles valides de la population de l’ancien “département de la Gironde” enrôlés dans des unités de combat diversifiées (cellules, partis, loges, clubs de foutbol, cafés du commerce) qui s’entre détruisirent à l’issue des “élections” de 2017 (3 années solaires avant l’an 0 de l’ère du Kanonikat Suprème ), KoKo décida de regrouper dans les grottes naturelles de Beauregard une communauté de résistantes qui entreprirent de constituer une réserve des objets et artefacts menacés par les mesures prises progressivement par les milices des “Talibans du Kanonikat”. Au fur et à mesure de l’avancée des troupes le long de l’ancienne D10 (actuellement Voie de transfert des brigades légères du corps de surveillance des populations indigènes) semblent avoir reflué vers Beauregard des femmes et des enfants porteurs de ces objets témoins de la perversion de l’ancien régime.
Liste des objets associés aux caisses contenant les “Cahiers de l’Entre deux mers”
-moulin à café : cet instrument de bois intègre un système de broyage mu par une manivelle courbe permettant de broyer les graines d’une substance toxique utilisée lors des cérémonies diurnes ou nocturnes qui assemblaient autour d’un plateau surélevé (dit “table”) des hommes et des femmes s’adonnant au dessus du plateau à des rituels codifiés, et en dessous de celui ci à des pratiques moins ritualisées mais semble-t-il assez communes selon les spécialistes de la sociabilité d’ancien régime.
-téléphone portable : ce petit instrument comparable à nos délaboxes permettaient aux adeptes des sociétés secrètes d’ancien régime de communiquer individuellement à l’insu des autorités policières (c’est du moins ce que pensaient les individus détenteurs de ces objets ; cette opinion erronée et naïve assura on le sait le succès de la politique de normalisation menée lors des premières années du Kanonikat)
-tire bouchon : cet instrument archaïque dont l’origine pourrait remonter au premier millénaire de l’ère précédent celle du Kanonikat présente une tige métallique enroulée sur elle même à l’extrémité aigue. Cette tige est fixée à l’autre extrémité à une pièce de bois polie dont la signification rituelle reste obscure (évocation des racines ethniques ? allégorie de la pensée religieuse torse d’ancien régime ? perversion d’un rite phallique ?). Les chercheurs du centre Clem 732 ayant mis en relation récemment cet objet avec des traces d’altérations observées sur des petits cylindres de liège désignés comme “bouchons” ont proposé la dénomination prosaïque de “tire bouchon” pour désigner cet objet. Je reste personnellement très réservé sur cette interprétation.
-rasoir électrique : ce curieux instrument enveloppé d’une housse de polypropylène est enchâssé dans un bloc de polystyrène lui même enveloppé dans un emballage de “carton” (feuille flexible semblable au rhydek 632 mais absorbant l’humidité) ; un bandeau rouge laisse apparaître une formule rituelle “spécial fête des pères”. Comme la plupart des objets portant cette formule recensés à ce jour, le “rasoir électrique” semble n’avoir jamais été extrait de son emballage d’origine, ce qui laisse supposer aux chercheurs du Clem 734 qu’il était destiné à accompagner les mâles défunts dans leur sépulture.
[suit la description de 676 objets divers non retranscrite ici mais disponible sur le site des archives d’état de la République Populaire Transeuropéenne : entrés Catalogue Manufrance 2011]
Analyse sommaire des contenus des “Cahiers de l’Entre-deux-Mers »
En raison du trop grand nombre de concepts utilisés dans les pages des “Cahiers” non répertoriés dans les logiciels des services de Veille des déviances du ministère de la Sekurite publique je ne peux produire ici que les résultats d’une lecture visuelle par déchiffrement ligne à ligne de gauche à droite et de bas en haut des pages des cahiers. Cette investigation qui a nécessité la mise au point de lunettes spéciales d’adaptation à la lecture d’ouvrages imprimés (BZICLE 6-54 OG637) a mobilisé l’agent Ken Barby 67567-543 durant les mois 05 et 06 de l’an 13 nous transcrivons ici les notes laissées par l’agent avant sa disparition :
Notes de l’agent Ken Barby 67567-543
Les “Cahiers de l’Entre-deux-Mers » apparaissent comme une variante d ‘un certain nombre de “revues” identifiées publiées dans les dernières décennies de l’Ancien Régime : Journal des Débats, Paris-Match, Voici, Le Nouvel-Observateur, Catalogue IKea… ils se distinguent de ces témoignages de la dégénérescence de la pensée observée dans les années 1990-2000 de l’ère ancienne par un nombre réduit de pages et une impression réalisée à l’encre bleue, couleur supposée euphorisante dans la mentalité des indigènes survivants de l’ancienne race [ cette information invérifiable semble avoir été obtenue par l’agent Ken Barby 67567-543 lors d’une enquête orale non autorisée réalisée auprès des indigènes au droit du relais de surveillance de Bèguey] . Contrairement à la plupart de ces artefacts, les cahiers sont dépourvus des pages les plus attractives destinées à recevoir les “publicités” de biens de consommation qui constituent de nos jours la seule justification à la subsistance de quelques unes de ces revues consultables sur les écrans domestiques. Cette absence de “pages publicitaires”, celles de références aux membres de la Classe Dirigeante contemporaine dite “people”, (classe équivalent à la catégorie DSK/KGB 6007 de la République Démocratique Transeuropéenne), l’inexistence absolue de pages financières et, surtout, l’évacuation semble-t-il délibérée de toute allusion au sexe ( mystérieux mais semble t-il primordial stimulus de l’activité intellectuelle des hommes d’ancien régime) semblent être l’une des causes du faible tirage de la revue. Le dépouillement systématique des 100 numéros laisse apparaître, en dehors de quelques éditoriaux difficiles aujourd’hui à comprendre en raison de l’absence d’informations sur le contexte politique local au temps de leur rédaction, une gamme étrange de pôles d’intérêts.
De très nombreux articles semblent se référer à des évènements très anecdotiques de l’histoire locale (personnages inconnus, faits improbables, évènements insignifiants non répertoriés dans les dictionnaires historiques retrouvés après le Grand Autodafé), un grand nombre de pages sont consacrés à présenter des plantes (notamment des arbres, grandes touffes végétales putrescibles et inflammables érigées sur des poteaux de bois irrégulièrement façonnés, accessoires paysagers totalement annihilés lors de l’explosion en chaîne des réacteurs atomiques en 2017 de l’ancienne ère) [….]
Au fur et à mesure du dépouillement des “Cahiers” on peut faire une place à part à des allusions récurrentes à des objets (“petit-train des Benauges) à des lieux (“Cimetière des Oubliés”) à des aménagements d’espaces (“ronds-points-européens”) qui semblent avoir fortement préoccupés des esprits par ailleurs ouverts à d’étranges divagations de l’esprit ; celles-ci s’expriment par une rédaction très contraintes (lignes brèves, organisées en “strophes”, s’efforçant à produire des assonances agréables à l’oreilles mais perturbant parfois la compréhension de discours à tendance autiste apparentées au genre littéraire dit “poétique”)
[la tentative de compréhension de ces pages “poétiques” des “Cahiers” semble avoir été la justification aux yeux de l”agent Ken Barby 67567-543 d’infractions de plus en plus fréquentes au code de déontologie du service de Veille des Déviances appelant à la plus grande réserve quant à la prise de contact avec les populations indigènes. L’enquête diligentée à la suite de la disparition soudaine de l’Agent opérée par le franchissement de la ligne de démarcation au droit de l’ancien “château d’eau “de Podensac- a révélé que l”agent Ken Barby 67567-543 s’affranchit progressivement des principes de sécurité et développa avec les populations autochtones des relations qui l’amenèrent dans un premier temps à ramener dans son poste de surveillance des artefacts subversifs. On découvrit effectivement dans le casier sécurisé des substituts alimentaires solides, en lieu et place des rations C6BON 566543 et des rations liquides KoKA009, un bocal de « Garbure de l’oncle Phil »,un lot de boites de pâté “Lou Gascoun” des tablettes de chocolat Lindt 70% des “bouteilles” d’Enclos de la Ligassone 2008 et de “Cadillac grains nobles “d’origine non identifiée. Une enquête plus poussée amena la découverte sous les lattes de PVC du caisson de repos nocturne DODO7689, de volumes écornés parmi lesquels un exemplaire de “La Princesse de Clèves” “roman” dont les services de Veille de la Déviance du premier Kanonikat avaient pourtant affirmé avoir détruit tous les exemplaires.
Les proches collègues de l”agent Ken Barby 67567-543, suite à la mise en évidence de la contagion de déviance dont ils étaient atteints furent interrogés selon le protocole R A B 22-22 qui les amena à révéler les circonstances du processus déviationniste qui conduisirent l’agent Ken Barby 67567-543 à abandonner son poste et à trahir les intérêts de la RDT. Il semblerait que la recherche désespérée de l’agent double de l’ancienne république de Beauregard dont les textes cryptés étaient signés Lysiane Rolland conduisit l’agent Ken Barby 67567-543 à effectuer des sorties de plus en plus fréquentes du territoire sécurisé.
A l’occasion d’une expédition nocturne dans les carrières des Moutins au droit du poste de contrôle de Portets l”agent Ken Barby 67567-543 fut mis en contact avec une indigène de race gasconne répondant au pseudonyme d’Aliénor à laquelle il confia un délaphone préalablement déconnecté du réseau. Ce délaphone trafiqué leur permettait de communiquer selon un processus d’ancien régime dénommé SMS. Suivent les transcriptions de quelques uns des 2687 sms échangés entre l”agent Ken Barby 67567-543 et la dite Aliénor entre le 7/G/13 et le 16/F/14, date présumée de la désertion de l’agent Ken Barby 67567-543.
KB / Tu reçois correctement ?
A /Oui c trop
KB /Trop quoi
A/ Trop tout ce que tu veux quand on peut s’écrire
KB / OK C trop de s’écrire pour rien !
A / Ah bon ? c rien de s’aimer ?
KB / c koa s’aimer
A / tu comprendras si je cesse de t’écrire
KB/ OK. Demain à Cantelaudette
A/ OK à 19h quand le soleil disparait derrière les ruines des tours de Saige
.
[KB suite à la rencontre de Cantelaudette les échanges de sms semblent traduire une modification des comportements tant de l”agent Ken Barby 67567-543 que de ladite Aliénor ; le contenu de ces échanges est actuellement l’objet d’études de la part des spécialistes des questions de sociabilité d’Ancien Régime de l’équipe du Clem 632 ; ces enquêtes devraient selon l’état actuel de l’enquête permettre de répondre à des questions soulevées par au moins trois variétés de déviances d’ancien régime : la “gourmandise” la “tendresse «et le “goût du plaisir”]
La totalité des échanges consécutifs à la rencontre dite “de Cantelaudette” sont frappés, en raison de leur pouvoir de perversion, par le Secret Déviance, seule est autorisée la transcription des dix derniers “sms”
A / demain 21h à Cantelaudette ?
KB / pas possible, inspection générale de la brigade, il y a du avoir des fuites
A / ils risquent de localiser le passage ?
KB / je le crains
A / tu sais ce qui te reste à faire….
KB / j’ai la trouille
A / ah, tu vois bien que t’es devenu un vrai indigène
KB / j’ai la trouille de + te voir
A / dans ce cas….
KB / j’arrive…
Aucun autre message n’a été enregistré par le système de dépistage des télécommunications d’Ancien Régime ; l’agent Ken Barby 67567-543 semble avoir tout simplement plongé dans sa ration de KOKA009 son délaphone détruisant ainsi irrémédiablement les circuits. Il semble avoir pris la fuite en emportant la collection complète des Cahiers de l’Entre deux Mers qui lui avaient été confiée pour analyse.
Epilogue
Republike Populère Transeuropéenne
Ministère de la Sékurité Publike
Agence de Veille des Déviances
Bureau B60712 033
Affaire “Cahiers” -B-97AZ 632
Bordo le 7 K 14
Suite aux conclusions de la Komission Supérieure de Sekurité de la Republique Populaire Transeuropéenne il est donné ordre de détruire par dissolution au KOKA009 tout numéro des Cahiers de l’Entre-deux-Mers susceptible d’être trouvé dans les limites des frontières de la République. Il est instamment demandé aux services diplomatiques de la République de négocier avec les puissances alliées, Republique du CAC 40 et Royaume de Mac Donald la mise en œuvre d’une campagne de prospection systématique en vue de l’élimination des numéros des “Cahiers de l’Entre-deux-Mers potentiellement épars hors des frontières de la République.
(L’orthographe d’Ancien Régime a été restituée pour les lecteurs du n° 100 des Cahiers, celle adoptée par le Kanonikat purement phonétique risquant de rendre encore plus indigeste la lecture de ce rapport dans lequel toute allusion à des personnages vivant ou ayant vécu est purement le fait du hasard
Ce récit est une légère adaptation aux « Recettes de l’oncle Phil » d’une nouvelle publiée dans le N° 100 des « Cahiers de l’Entre-deux-mers »
La Garbure de l’ agent Ken Barby
Pour six personnes
un talon de jambon de Bayonne
1 piment d’Espelette
1 oignon piqué de 4 clous de girofle
Quatre gousses d’ail
Une branche de céleri
1 branche de thym
1 feuille de laurier
1 chou
3 carottes
2 petits navets
2 petits poireaux
2 pommes de terre
250g de haricots tarbais (ou, à défaut, de lingots)
4 morceaux de confit de canard (ou à défaut, de lard fumé)
Sel, poivre, bicarbonate de soude
La veille, mettre les haricots à tremper à l’eau froide avec une cuillerée à café de bicarbonate de soude
Dans un grand faitout de font, faire dorer le talon de jambon dans un peu de graisse prélevée dans le confit, le piment d’Espelette découpé en fines lanières, l’oignon piqué de clous de girofle, les gousses d’ail coupées en quatre le céleri branche, le thym, le laurier ; donner quatre tours de moulin à poivre et recouvrir d’eau (environ 5 litres).
Porter à ébullition et laisser cuire à feux doux une heure. Pendant ce temps préparer les légumes coupés en gros morceaux et faire dorer à la poêle les morceaux de confit de canard, les désosser les défaire en gros morceaux et les réserver. Conserver la graisse dans un bocal pour un usage gastronomique ultérieur, en commençant par faire revenir dans quatre ou cinq cuillerées les légumes préalablement taillés.
Prélever dans le faitout deux litres de bouillon que vous réservez, plongez dans le restant les haricots et recouvrir avec les légumes rissolés.
Laisser cuire une heure et demie avant de rajouter le chou coupé en larges lanières, couvrir de bouillon une demie heure avant de rajouter les pommes de terre ; laisser cuire encore une demi-heure. Un quart d’heure avant de servir, introduire les morceaux de confit pour les faire réchauffer dans la garbure en prenant soin de ne pas écraser les haricots qui ne doivent se transformer en purée que par la pression de la langue sur le palais.
Bien sûr, ne pas servir avec un Madiran (sauf si vous en connaissez un bon et bien vieilli, ce qui est rare) mais avec un «Côtes de Bordeaux » un peu vieux car contrairement aux idées reçues la garbure est un mets délicat mal adapté aux vins jeunes ou trop costauds.
Oncle Phil.
je valide !
La recette me paraît tout à fait conforme au droit canon !
Bises !