Je rencontrais Geneviève de Dietrich à la fin des années 1990. Je n’avais alors à mon actif que mon premier recueil de nouvelles dédié aux maisons de mon enfance. Les « Demeures » tant aimées, si bavardes, qui m’avaient confié tant de choses, et dont je ne me suis jamais lassée d’écouter, de traduire, traversée d’émotions, les chants secrets.
Comme souvent, entre traceurs de mots, nous échangeâmes nos livres. Mais cette fois là, ce fut entre nous comme une évidence.
Quoi ? Qu’est-ce ? Le titre du roman de Geneviève « Une Folie », semblait si complice de mes « Demeures » ! Jusqu’aux deux doubles-sens inclus malicieusement dans nos choix ! « Demeures » maisons mais aussi demeure comme reste, continue ! « Folie » ainsi sont nommées les vastes habitations d’apparat, telles celles de mon recueil, mais également folie comme coup de cœur, déraison, fait d’écouter le souffle, l’élan !
Croisement direct de nos regards, connexion de nos pensées, complicité de nos écrits. Tout cela détecté avant le premier mot échangé.
Je n’habitais près de Libourne que depuis quelques années. Chaque jour, j’effectuais le trajet de Nérigean au bureau où je laissais rêves et écriture poétique pour le concret monde de la conservation des hypothèques où je déchiffrais et rapportais les actes notariés.
Je cueillais durant le parcours maintes petites pépites qui ne cessaient pas de me conforter dans l’idée que le choix de venir ici, en Entre-deux-Mers, avait été judicieux.
Ainsi, juste aperçue au travers de grilles, une vaste maison, ou un bosquet isolé d’où jaillirent un chevreuil, un faisan, un renard, un écureuil, la vigne parée suivant les saisons affichant sa portée musicale sur les coteaux.
Enfin, durant les toutes premières années, tel un cadeau amical, un sourire ultime juste avant Arveyres, surgissait sur un petit coteau le château aux deux tourelles. Un petit bijou architectural, pas prétentieux tant l’élégance de ses proportions et sa façade claire entourée d’arbres le rendaient de prime abord charmant. Du parc où j’’imaginais l’espace d’un instant, fugace pensée, me réfugier, me cacher, j’entrais dans les salles dont les parfums de bois et de cire, me semblait-il, me parvenaient par ses nombreuses fenêtres ouvertes au monde. Je prenais cette émotion au passage, le temps d’un éclair, et emportais, petit trésor chaud et palpitant, l’image du châtelet de vie et en vie. Car ensuite je rejoignais la grande route menant à Libourne, où peu de choses s’offrent au regard hormis les vastes pancartes publicitaires ou les immenses hangars industriels ou commerciaux dont je n’ai jamais réussi à entrevoir l’utilité.
Puis advint, comme partout, car nul ne peut penser être à jamais préservé, l’avènement d’une voie à grande circulation joignant Bordeaux à Libourne. De grandes carrières furent creusées aux abords d’Arveyres. Le paysage changea. Un matin, je ne vis plus le petit château mais des palissades entourant son emplacement, des travaux gigantesques, le lieu peuplé de monstres jaunes poussifs et feulant à mon passage, menaçants de toutes leurs hautes roues et de leurs lames d’acier pelletant la terre.
J’appris que le château allait être démoli, il était, faute imparable, sur le passage de la bretelle de dégagement de la future voie rapide.
Il n’y avait rien à dire, rien à contester !
Que pouvait un sentiment si ténu, si difficile à expliquer, l’attachement à son charme, aux images qu’il suscitait, à sa vue consolatrice ? Quelle « folie » !
Un ami me réconforta en m’apprenant qu’il ne serait pas perdu car il était racheté et reconstruit à l’identique, il ne savait pas où, certainement, ajouta-t-il, en Chine ou en Amérique. Merveilleuses personnes inconnues, capables d’un sauvetage aussi improbable. Ma peine en fut atténuée, mais mon regard se tournait toujours vers l’endroit où se dressait dorénavant un monticule nu, le lieu déserté, amoindri, orphelin, la seule vie étant donnée par le grondement continu de la circulation automobile. Cependant, j’y décelais, certains matins brumeux, ou dans les écharpes de brouillard en automne, le fantôme des tourelles bienveillantes et leurs coiffes d’ardoise.
Le temps passe et dans son sillage donne l’illusion que les choses ont toujours été ainsi. Mes yeux s’habituèrent au coteau vacant, au bruit pollueur des milliers de véhicules déferlant au-dessus de moi à mon passage du tunnel sous la nouvelle voie.
Le temps passa et l’écriture devint ma compagne de vie confirmée. Je parcourais les salons, les animations, rencontrais des amis inconnus qui lisaient mes nouvelles. Ce monde choisi me permit d’exister, de vivre en accord avec ce que j’aimais, cueillant des brassées de mots, en fleurissant le cours de mes jours.
Ainsi ma route croisa de nouveau celle de Geneviève et Henri. Tous deux œuvraient au sein de la toute nouvelle maison d’édition au nom poétique de « La fontaine secrète » et Geneviève, telle qu’à notre première rencontre, écrivait, peignait, sculptait.
Je leur proposai un tapuscrit. Puisqu’ils habitaient prés de chez moi, je vins chez eux l’y déposer.
Geneviève m’avait donné les explications pour trouver leur maison. Il fallait traverser Castillon puis juste avant le pont bifurquer vers la droite. Ah ! me dis-je, heureusement alertée, elle est au bord de Dordogne. Je trouvais les lieux sauvages, berges plantées de saules où prairies marécageuses. De belles bâtisses m’aguichaient au passage.
Je garai ma voiture devant une grille derrière laquelle une façade coquille d’œuf entourée de beaux arbres scintillait de reflets, ceux de la Dordogne toute proche et ceux de sa chevelure de feuillages. A mon appel à la sonnette, le portail s’ouvrit lentement. Outre la maîtresse de maison, je fus accueillie par l’allée engravée, le perron, l’entrée, les meubles anciens, la décoration soignée, ponctuée ça-et-là par les aquarelles et les sculptures de Geneviève. Dans la salle où nous nous installâmes, la porte fenêtre découvrait la vue sur la Dordogne et un petit trésor que j’enviai aussitôt : un îlot en son milieu, sauvage et vert, exhalant, malgré la vitre, un parfum connu de moi, celui de la menthe et de l’eau ! Je fis ce bouquet de ressentis dans la plus parfaite méconnaissance des lieux, lesquels, si bavards habituellement, hormis les senteurs de rivière, justement ne me confiaient que cela. Oui, seule la rivière me faisait signe ! Rarement je fus aussi ignorée par une maison, je songeais « pourtant tu n’es pas un bateau ! »
Et bien non je ne le reconnus pas !
Il fallut une autre visite et une question de ma part, tant rien, même cette seconde fois, ne fixait mon attention comme une instabilité incompréhensible des lieux qui se dérobaient à toute analyse.
– Cette demeure est-elle depuis longtemps dans votre famille ? demandai-je.
Geneviève marqua un temps, étonnée,
– Comment, tu ne sais pas l’histoire de cette maison ? Tu as pourtant lu mon roman « Une Folie » !
Oui, je l’avais lu et elle y racontait entre autre l’histoire d’un castel reconstruit pierre à pierre !
Cela m’arrive de ne pas relier les mondes entre eux ! D’oublier les passerelles pour en franchir les trous noirs qui les bordent !
Ainsi le récit du roman était resté dans un monde imaginé !
Alors je sus que c’était bien lui, le châtelet d’Arveyres, sacrifié aux travaux routiers ! Et que j’avais ses acheteurs sauveteurs devant moi en la personne de mes nouveaux amis !
Henri me montra les dessins des pierres numérotées tel un plan de maquette. Il me fit remarquer, de nouveau passionné par l’aventure de cette reconstruction les tours heptagonales et pas tout à fait identiques. Cependant moi je me trouvais dans l’une d’elle devant le bureau d’écriture de Geneviève, savourant ces instants inespérés d’être un jour au cœur de cette bâtisse
Nous contournâmes la maison car délibérément ils avaient choisi de lui faire regarder la rivière. Une fois devant sa façade et ses deux tourelles cariatides, vaillantes et douces, je fus en présence d’une demeure amie que je croyais perdue !
Elle sait dorénavant que tout est fugace, incertain, promis à la disparition inéluctable. Elle a cessé de vouloir investir la terre qui la porte. Elle va … en compagnie de ses sauveurs qu’elle abrite pour l’instant. Elle est lucide, coquille fragile malgré ses murs de pierre, approuvée par ses amis, les reflets qui la flattent de leur lumière mouvante, ayant gardé jusqu’à son nom de baptême « Fonsegrède » qui peut se dire aussi « Fontaine secrète ».
Lysiane Rolland est écrivaine.
(Crédit photos: Lysiane Rolland)
Merci lysiane, tu me l’avais racontée cette histoire de maison perdue et retrouvée, mais c’est à la lecture que je ressens les émotions, les rèves quotidiens sur un parcours quotidien, le grand chamboulement de la modernité routière qui ne respecte rien ; et malgré tout les miracles existent!
je pense à Nino Ferrer, “La maison près de la fontaine”… On peut faire des chansons, des nouvelles, avec ces désastres, et parfois l’histoire finit bien! à bientôt et bravo!
il n’y a pas de hasard ,c’est clair …Merci Lysiane de le raconter aussi bien
merci les amies, une dans le Cantal et une en Gironde ! les cahiers sont nomades aussi !! c’est extra !!
Toujours aussi heureuse de te lire …. Lysiane
Je me languis de voir enfin ton prochain livre