Blanc. Tout est blanc ou plus exactement tout est en nuances de blanc. Il y a le blanc brillant des murs ripolinés de la chambre, le blanc légèrement gris des draps du lit. Le blanc scintillant de la neige lorsque le soleil brille ; cette neige omniprésente, qui recouvre couche après couche les sapins dont les branches ploient sous son poids, cette neige qui ressemble à une couette posée sur le paysage lointain. Il y a le blanc légèrement bleuté de la brume, étirée en longues écharpes, si légères, à la surface du lac. Il y a ce lac, le Bodensee si grand qu’il semble se dissoudre au loin, tout comme les montagnes qui l’entourent, dans un univers infini et mystérieux. C’est dans cet autre monde que Zélie a brutalement été débarquée. Un monde fait de bruits assourdis, de pas feutrés qui glissent sur le sol, de chuchotements ponctués de longs moment de silence…de parenthèses médicales où les infirmières toutes de blanc vêtues, masques sur le visage viennent prendre la température, mesurer le pouls, distribuer tous les matins mouchoirs et crachoirs. Il y a régulièrement l’auscultation par le médecin : une serviette dépliée sur la maigre poitrine fiévreuse de Zélie, il y pose son oreille et la fillette ressent le poids de sa tête et sent l’odeur de la gomina chargée de domestiquer sa coiffure ; il y a ensuite la palpation des ganglions sur la gorge, sous les bras, l’observation de la dernière radio et ensuite les mots convenus : « Et bien Zélie on dirait que tu as meilleure mine ce matin ! »- ou encore à l’attention de l’infirmière présente : « Etat stationnaire, pas d’évolution majeure… » Il y a aussi les mots qui reviennent et qu’elle ne comprend pas comme B.K. Ce jour là elle s’est enhardie et a demandé au médecin militaire « C’est quoi un BK ? » Ce dernier, pas vraiment habitué à ce qu’une gamine lui pose une question, (elle est la seule enfant assignée à résidence dans cet établissement pour tuberculeux) a levé un sourcil, esquissé un sourire avant de répondre : « C’est bien Zélie, tu es curieuse d’apprendre et de savoir. Et bien les BK sont des bacilles- un peu comme des microbes- qui en s’introduisant dans le corps provoque la tuberculose. C’est un docteur qui s’appelle Koch qui les a découvert d’où leur nom B comme bacille et K comme Koch »- « Et comment ils sont venus dans mon corps ? »-« Tu as du rencontrer quelqu’un de malade donc contagieux et qui t’a transmis la maladie sans le savoir, peut être simplement en toussant. Les BK sont très malins, ils détectent tout de suite les personnes un peu fragiles, faibles physiquement pour venir les infecter. »- « Alors, maintenant c’est moi qui suis contagieuse, et c’est pour ça que je ne peux plus voir ni mon père, ni ma mère, ni mon petit frère ?- « Oui, mais Zélie n’aies pas peur, tu guériras, tu les reverras »-« Quand ? »-« Plus tard quand tu seras tout à fait guérie »Elle a regardé l’infirmière qui lui souriait mais elle a bien remarqué qu’elle avait aussi les yeux tristes !
C’est cette nuit là qu’elle a fait un cauchemar épouvantable. Elle était toute seule dans un endroit improbable, comme une île peut être ? Tout à coup il n’y avait plus de clarté, le soleil avait disparu, masqué par un épais nuage noir. Et, de ce nuage tombait une multitude de minuscules bêtes : une armée de bacilles de Koch. Elle les voyait descendre, innombrables, noirs et silencieux puis arriver sur elle, essayant de pénétrer dans ses oreilles, ses yeux, ses narines…En même temps elle entendait une voix venue d’ailleurs qui disait qu’elle était condamnée à être dévorée. Elle voulait ouvrir la bouche pour appeler au secours mais elle était comme paralysée. Jusqu’au moment, où enfin, elle a poussé un hurlement qui l’a réveillée, tout comme les quelques autres malades dans les chambres voisines.
Les infirmières de garde l’on retrouvée hagarde, tremblante, en état de choc, incapable de parler. Pour la calmer elle a eu droit à un bain tiède, puis une piqûre qui l’a plongée presqu’immédiatement dans un trou noir sans fin ou presque. Quand elle s’est réveillée, elle a appris qu’elle dormait depuis plus de quinze heures, naturellement sous haute surveillance !
Le docteur « gomina » était là avec son bon sourire : « Alors Zélie, on a bien dormi ?mais maintenant raconte moi ce qui t’a fait si peur ? » et Zélie a raconté et puis elle a ajouté qu’elle voulait rentrer chez ses parents et pouvoir retourner au lycée, et que d’ailleurs elle s’ennuyait alors qu’elle avait pris son cartable avec ses livres et cahiers mais que toute seule elle ne pouvait pas apprendre ; c’est alors que docteur « gomina » a dit : « Mais on va arranger ça mon petit, on va te trouver des professeurs ; quand tu seras guérie tu pourras retourner au lycée aussi instruite que les autres ».
Et c’est comme cela qu’une classe a été organisée pour elle, avec un lieutenant d’aviation qui lui donnait des cours de Français, de latin, de mathématiques se relayant avec un autre jeune aviateur qui faisait son service militaire mais était prof d’histoire et de géographie dans le civil. Les cours avaient lieu tous les après midi après la sieste, de 15h à 18 h. et dans la matinée lorsque les soins étaient terminés, Zélie faisait les devoirs, apprenait les leçons que lui avaient donnés ses professeurs qui se disaient contents de ses résultats. A partir de ce moment là le temps filait et Zélie avait retrouvé sa joie de vivre, il lui semblait même qu’elle allait mieux et se sentait moins fatiguée. Il y avait eu Noël avec un magnifique sapin, un petit spectacle organisé par les malades, un bon repas et un peu de tristesse pour tous, car tous étaient loin de leurs familles interdites de séjour toujours en raison de cette contagion éventuelle.
A suivre.