L’air du temps

Posté le 14/05/2015 dans La petite chronique.

Ce dimanche 12 avril Félicité a décidé de se rendre à « L’Escale du livre » quartier Sainte Croix à Bordeaux. Dernier jour de cette grande manifestation annuelle où éditeurs et libraires locaux s’exposent, à l’exception du mastodonte « Mollat » qui boude, méprise, allez donc savoir, ce rendez-vous incontournable pour tous ceux qui aiment lire, voire vénèrent toujours l’objet-livre en lui-même. Celui qui fleure bon l’encre fraiche, qui est en habit de couverture : sobre, classique ou encore un clin d’œil fantaisiste, œuvre créative d’un artiste dessinateur, peintre, graphiste ou bien photographe qui laisse présager de la teneur de l’ouvrage.
Bref, ce dimanche 12 avril, le printemps était de sortie, éblouissant de la lumière d’un soleil roi dans le bleu d’un ciel non moins roi et Félicité arpentait le pont de pierre pour passer d’une rive à l’autre. Geste toujours éminemment symbolique dans cette ville dont la Garonne fut, il n’y a encore pas si longtemps, une frontière quasi infranchissable pour une société qui n’aime guère les mélanges de genres.
Donc Félicité allait d’un pas à sa mesure, admirant le Burdigala qui, justement, passait sous le pont, trimballant ses passagers touristes harangués par un guide de servie qui parlait histoire bien haut dans le parleur ; le bateau laissant derrière lui un sillage d’argent, la rivière ayant abandonné pour la circonstance sa robe couleur de sable.
Sur le pont, à l’exception du pas mesuré de Félicité, l’humanité s’agitait : qui en vélo, qui en rollers, qui en pratique du « running » Pour les non initiés, le running est ce que l’on appelait, dans le temps, la course à pied, puis plus près de nous le «jogging », deux termes devenus complètement ringards.
Ces adeptes, hommes et femmes (ces dernières étant largement majoritaires) arrivaient face à Félicité, ou la doublaient, à petites foulées, les bras repliés contre la poitrine battant simultanément la cadence comme des ailerons, la tête droite, l’œil rivé sur le vide d’une ligne imaginaire, les oreilles bouchées par quelques miniatures informatiques, l’avant bras ceint d’un bracelet, non pas électronique (encore que !) enregistrant le nombre de pas, les pulsations du rythme cardiaque, la performance globale de la course du moment, le tout pouvant être renvoyé sur les réseaux sociaux permettant au plus grand nombre d’apprécier et de commenter les progrès de ces fouleurs d’asphalte !
Pourtant, il semble bien que le plaisir procuré par le running soit un plaisir douloureux, si Félicité en juge par le rictus qui déformait le facies de la plupart des pratiquants, à l’exception toutefois de quelques rares êtres à la jambe à la fois fuselée et musclée, aux fesses modelées comme celles des statues grecques, à la foulée ample et souple, signes qui dénotent une grande pratique de ce sport.
Quant aux autres, tous ceux qui viennent de s’y mettre pour souscrire à la mode du moment, il y a du boulot et de la souffrance en perspective : entre les genoux valgus, les pieds plats, les pieds en dedans, les poignées d’amour, les fesses en gouttes d’huile dont la graisse oscille marquant la cadence des pas … toute cette belle architecture corporelle étant mise en valeur par la tenue de rigueur.
Récemment les orthopédistes (tout en se réjouissant secrètement d’un marché juteux) ont tiré la sonnette d’alarme sur la recrudescence des tendinites, des ruptures de ligaments, des entorses à problème, des affaissements plantaires et plus grave encore des arthroses prématurées vers la quarantaine. Les corps de l’homme et de la femme moderne lambda plus habitués aux avachissements sur des canapés « marshmallows » n’étant plus aptes à supporter, sans dégâts, 20,30 voire 40 kilomètres, deux ou trois fois par semaine au rythme du running !
Qu’importe, tout cela ne peut qu’être réjouissant pour notre économie, voilà , enfin un marché en développement qui donne des ailes aux designers de la création de toute une ligne de vêtements et chaussures indispensables pour bien être dans la course, aux informaticiens, aux professionnels de santé : orthopédistes, , fabricants de prothèses, kinésithérapeutes, pharmaciens…etc, de quoi redonner le moral à une France en déclin, parait-il !
En fait ce 12 avril était un jour d’entrainement avant le jour du marathon bordelais,( car cette bonne ville non contente d’être historique, se veut aussi dans le vent de la modernité) prévu pour la semaine suivante. Ce qui explique la pléthore de gens en course en prévision de cette compétition devenue incontournable dans les villes branchées du monde riche occidental.
Ailleurs on court aussi, mais souvent sous les bombes, ou pour échapper aux massacres planifiés …ainsi va l’humanité !
Félicité                                                                                             crédit photographique: Marco Paladini


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