Risotto Lolita

Posté le 19/03/2015 dans Les recettes d'Oncle Phil.

Adapter pour la flûte à bec des partitions de hautbois ne paraissait pas hérétique aux yeux de son professeur, c’est ainsi que Dora put se produire dans le décor mauresque passablement fané de la Villa Algérienne en cette fin septembre 2004. C’était son premier « concert » et les trois journées précédentes furent une suite délicieuse de baignades et de répétitions à l’ombre du vernis du Japon qui inscrit l’Île aux oiseaux et les crassats de Piquey dans la courbe de son feuillage clairsemé. J’avais beaucoup de mal à tirer du piano approximativement accordé une courbe mélodique digne de la sonate de Saint-Saëns ou des romances de Schumann, mais l’application obstinée de Dora à éviter de donner la moindre stridence aux aigus de la partition en arrondissant ses lèvres sur le bec de buis était contagieuse et je retrouvais celle de mes premières années de conservatoire. Le vendredi, le résultat s’avérait acceptable si ce n’est que, Hindemith ne semblant pas se satisfaire du bricolage musical, il nous fallut renoncer à la sonate annoncée dans le programme photocopié trop hâtivement : le concert étant gratuit et l’assistance choisie, cet abandon ou cette retraite peu glorieuse serait considérée avec une bienveillance amusée ou, au pire, une indulgence à peine condescendante.
Les séances de travail avaient progressivement et subrepticement modifié notre relation et le professionnalisme de Dora me relégait au rang d’accompagnateur attentif à ses directives ; j’avais depuis longtemps cessé de jouer avec une régularité suffisante pour pouvoir porter une même attention à la partition, au doigté et au jeu de ma partenaire que je tâchais de mémoriser en la laissant tenir seule sa partie pendant que je regardais ses doigts courir sur la flute et ses lèvres caresser le bec. Dora, les cheveux tirés noués dans le cou autour d’un chouchou vert fluo avait décidément largement largué les amarres de l’adolescence et j’avais beaucoup de difficulté à m’accoutumer à la dissolution de l’enfant qui jouait naguère sur le sable au pied de la terrasse dans ce corps de jeune femme.
Le concert se déroula dans cette quiétude un peu moite des fins d’après midi de septembre quand l’été s’attarde au-delà de l’extinction du crissement des élytres des cigales ; un piano droit, à peine mieux accordé que celui des Genêts avait été placé dans le chœur et je jouais, dos au public dans la seule contemplation d’une Dora corsetée de moire vert dorée. Schubert se tira assez bien de l’affaire mais Saint-Saëns laissa quelques croches dans l’aventure et le public réduit à une trentaine de porteurs d’oreilles complaisantes applaudit avec ardeur la jeune flutiste et son accompagnateur, en évitant de susciter un bis qui eût embarrassé les uns et retardé les autres, pressés de se retrouver autour du dernier « pot » de la saison. R.B avait, comme à son habitude soigné ses amis : le buffet, d’une simplicité digne des 44 hectares n’était là que pour valoriser les huitres et faciliter la dégustation des graves rouges et blancs qui déliait les langues et réchauffait les cœurs. Dora, assiégée de compliments de vieilles dames mélomanes, de petites filles désireuses de troquer le piano pour la flûte à bec et de jeunes gens curieux de connaître son emploi du temps de la rentrée, effleura de ses lèvres une coupe de Coca et afficha un souverain mépris pour les nourritures terrestres. Je gobais goulûment quelques huîtres et me laissai convaincre par la fraîcheur et la nervosité, bienvenue en cette soirée étouffante, du « Ferran 2002 ». Vers vingt heures l’orage éclata, dispersant l’assemblée après des adieux hâtifs dans la véranda où l’on s’était replié à la hâte.
L’averse ne dura guère au-delà des dix minutes qui nous séparait des Genêts où nous arrivâmes trempés jusqu’aux os et essoufflés, non tant par la marche que par le fou-rire impromptu qui l’entrava et nous obligea à plusieurs reprises à faire halte sous les énormes gouttes qui s’écrasaient sur mon crane dégarni et plaquaient les mèches rousses de Dora sur son visage rayonnant d’une allégresse juvénile. La marée était haute et le reflet de la lune sur l’étendue apaisée du bassin était une invite à prolonger la douche par un bain qui vint à bout de l’excitation suscitée par la soudaineté et la violence de l’orage. En sortant de l’eau, Dora me prit la main et me conduisit sans un mot au travers des pièces sombre et l’escalier branlant jusqu’à la terrasse sur laquelle s’ouvrait la chambre de « tante Denise », saint des saints de la vieille maison.
Ce ne fut que vers trois heures du matin que la faim se fit sentir, ou du moins que Dora qui avait décidément pris en main notre destin, manifesta une irrépressible envie de manger. Le pain était atrocement spongieux et le Frigidaire (c’en était un, modèle 1963), désespérément vide à l’exception d’un vieil ognon, d’ un peu de beurre enveloppé de son papier sulfurisé et de l’éternel bloc de Parmesan sous sa cloche en plastique dur à motifs de rinceaux rocaille qui faisait les délices de mes amis kitschophiles lorsque nous nous réunissions à Piquey pour « réviser » le baccalauréat loin des agitations du début e l’été 1968. Mais sur la table de la salle à manger, entre les reliefs des derniers repas et quelques bouteilles vides (à l’exception du Madiran Laplace 2002 ouvert la veille), dans une coupe en cloisonné bancale où voisinaient pommes de terre germées, bananes noircies, plombs de pèche, sécateurs privés de ressort et mouchoirs en papiers, un petit sac de toile bise de « Riso Carnaroli » rappelait le passage éclair de Pier Luigi descendu en deltaplane avec ce présent incongru le jour de l’Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie. C’est ainsi que dans la langueur d’une des dernières belles nuits de septembre, sous mes yeux un tantinet ébahis par le spectacle de Dora portant en guise de paréo le manton de manille vert amande et rose emprunté au guéridon de tante Denise s’élabora au son de Gigi l’Amoroso exhumé pour l’occasion de la console à partitions et vieux vinyles, le

Risotto Lolita
Ingrédients
Un demi oignon
Riz Carnaroli ( le semi fin padouan serait parfait mais il est trop difficile à manier pour qui n’a pas le coup de main)
Bouillon de bœuf (Maggi ou autre)
Huile et beurre, parmesan râpé
et une bouteille de Madiran (la recette originale est au Barolo)
Préparation
Trancher le demi oignon en fines lamelles, les faire blondir dans moitié beurre moitié huile
Dès que l’oignon est transparent et tendre, jeter le riz (trois poignée par personne)
Agiter à la cuillère de bois et jusqu’à ce que le riz soit brûlant puis verser progressivement le bouillon en donnant deux ou trois tours de cuillère chaque fois mais sans brasser le riz pour ne pas briser la cuticule du riz ce qui le ferait attacher. Juste avant l’achèvement de la cuisson verser en guise de bouillon une verre de Madiran et ôter du feu quand le riz est encore “al dente”.
Ajouter le parmesan râpé et une grosse noix de beurre froid en agitant frénétiquement une minute de manière à battre le beurre et à rompre la cuticule jusqu’à obtenir une consistance crémeuse. Verser dans un plat creux et attendre deux ou trois minutes avant de servir.

Oncle Phil


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