L’arbre, ce méconnu!

Posté le 15/07/2013 dans Environnement.

Les Pays, où les arbres ne sont pas rois, sont souvent gouvernés par de tristes sires.

En avons-nous connus de ces géants bienfaisants ! Nos vies en sont jalonnées. Ce sont eux qui accueillaient nos jeux de jardin ou de récré, eux à l’ombre desquels nous étendions la nappe à carreaux de nos pique – niques dominicaux ; eux encore qui chuchotaient dans mes balades enfantines à l’oreille de l’enfant solitaire que j’étais. Beaucoup étaient là avant nous et certains élus le seront après, ceux qui auront échappé aux destructeurs que sont parfois les humains !

Il faudrait songer, à l’instar des monuments  aux morts des deux guerres, à ériger également des monuments aux arbres assassinés !

Y figureraient : Tous ceux de l’allée du parc abandonné où j’allais dans mon enfance cueillir des brassées de fritillaires pintades, arbres aux troncs si énormes que mes bras  ne pouvaient les enlacer en entier. Ils furent abattus afin de construire à leur place de petites maisons précaires et bien tristes !

– Ceux qui bordaient ma jalle à crevettes, ils avaient poussé tous seuls, saules, peupliers, assortis à leurs pieds d’une luxuriante végétation, clapaces[1],  fleurs sauvages des terres humides formant ce que l’on appelait alors une aubarède. L’endroit était peuplé d’oiseaux, de mulots, de rats. Les pêcheurs et les enfants s’y créaient des cachettes fraîches au parfum mentholé. La jalle fut busée, cimentée et tous ses riverains végétaux débroussaillés sans vergogne.

– Les deux immenses tilleuls que j’ai connus, gardiens de la mairie d’un village voisin, leur parfum lors de leur floraison était une fragrance de vigueur. Les habitants découvrirent leur absence un matin. Ils furent coupés dans la  nuit où se commettent les crimes, sous un vague prétexte de maladie. Malades, eux allons donc ! Leur force était un exemple et donnait du courage !

J’arrête, la liste serait trop longue ! Combien de places, de routes, ces dernières années ont été amputées de ces amis tutélaires ?

Dangereux les arbres, ou malades ou dérangeants !,Non, les arbres ne  sont pas dangereux ce sont les humains et la vitesse qui le sont ! Ils nous donnent tant, avant de les déclarer incurables  ne pourrions-nous leur donner une chance ?

Parfois ils sont plantés en dépit du bon sens qui voudrait que l’on songe à la place dont ils auront besoin dans l’avenir car nous plantons les arbres pour les générations futures. J’ai vu récemment toute une allée d’arbrisseaux de Magnolias Grandiflora entassés sur un maigre trottoir le long d’une voie passagère. Encore en  enfance, ces arbres sont déjà condamnés pour le temps où leurs branches, leurs troncs ne pourront se contenter de l’espace qui leur sera alloué. Mettre un arbre au monde est une responsabilité qui demande réflexion  et amour pour lui et ceux qui profiteront de sa présence future. Il est aussi criminel d’installer un arbre en un lieu inadéquat que de l’abattre adulte pour de sales raisons.

Une des plus absurdes entendues il y a peu au sujet d’un merveilleux platane devant une maison connue ayant abrité un ami aujourd’hui disparu : « –Mais pourquoi ce propriétaire veut-il tuer cet arbre ? » Demandai-je à la voisine amie et atterrée par la nouvelle. « –Les feuilles » me répondit-elle. Bien sûr cet arbre plusieurs fois centenaires donne des feuilles en profusion ! Et oui, et à l’automne les feuilles tombent !! Et voila !

Alors, au sujet des feuilles, avant de remplacer ces mondes vivants que sont les arbres par des dauphins en plastiques ou autre comme celui de la maison de mon oncle de jacques Tati, quelques idées : Dans le poulailler, elles forment un bon paillis contre la boue des mauvais jours. Dans les massifs, elles protègent les fleurs du gel. Elles sont décoratives dans le jardin endormi de Novembre, pourquoi les enlever ? Elles sont un poème à elles toutes seules sous vos semelles. Rassemblées en murs certes succincts mais suffisants par des mains potelées, elles deviennent maisons éphémères des jeux d’enfants. Où seront utilisées à d’autres fins ainsi raconte la photo signée Doisneau de la petite fille recouverte de feuilles dans un jardin public !

« Pleurez Pierrot, poètes et chats noirs

La Luneest morte » Chantaient les Frères Jacques !

Las ! Pleurez, le platane fut coupé, guillotiné, ne subsiste que son tronc, témoin de cette gabegie.  Résistant jusqu’au bout, donnant du fil à retordre à ses tortionnaires qui ne savent aujourd’hui résoudre l’éradication totale du  géant.

C’est si triste déjà  lorsqu’ils tombent lors de tempêtes comme celle de 1999 qui nous laissa orphelins de tant d’arbres sans qu’on se permette et de quel droit d’enlever au monde ces mondes que sont les arbres car ils n’appartiennent pas, au sens moral, au propriétaire du sol d’où ils s’élèvent mais aux oiseaux qui l’habitent, aux regards qui se consolent à leur vue.

Ainsi le chêne face à mon jardin, épargné de justesse, il perdit juste une branche en 1999. Ainsi le majestueux magnolia à l’entrée d’un village prés de Fronsac, croissant prés d’une maison inhabitée, sous ses branches immenses, d’autres essences ont poussé en secret ; la vie s’y installe, protégée. Grand Esprit Sylvestre, protège-le des hommes de mauvaise volonté.

Pour terminer sur du positif, merci à deux municipalités, celles de Verdelais et Marmande qui ont gardé leurs tilleuls sur leurs allées ; elles ne sont pas seules mais  celles-ci  ont eu ma visite récemment. J’ai marché émerveillée sous leurs ombres parfumées, la même  qui inspira  Rimbaud lors des promenades de ses dix-sept ans. Lysiane Rolland

 L’arbre, ce méconnu.  

« L’imbécile ne voit pas le même arbre que le sage… » William Blake (1757-1827) Le mariage du Ciel et de l’Enfer -1790.

Le désastre du dépeçage et de la destruction définitive programmée d’un platane de quatre siècles, font se poser quelques questions. Pourquoi est-ce possible en France ? Parce qu’il n’y a aucun recours juridique  si le sujet n’a pas été classé en E.B.C (Espace Boisé Classé) qui est la seule véritable réglementation protectrice. En effet, hors ce classement, rien ne s’oppose à qui que ce soit : particuliers, pouvoirs publics, de faire abattre, sans discernement, souvent sous des prétextes fallacieux, un ou plusieurs arbres, quels que soient leur âge,  leur histoire, leur situation dans le paysage environnant…On se souvient de cette mode qui sévissait dans les années 70-80. Rendus responsables des accidents de voitures, les arbres : platanes, micocouliers, et autres, sujets souvent magnifiques, datant du Second Empire, étaient allègrement abattus le long de nos nationales, désintégrant ces dernières d’un paysage, qu’elles contribuaient à magnifier. Les massacres accomplis, on s’aperçut, mais un peu tard, que cela n’avait rien changé à la courbe ascendante des morts pour excès de vitesse !

Combien de ces arbres ont-ils été condamnés pour créer des parkings et souscrire au culte de la sacro sainte bagnole ?  Combien de vénérables et en parfaite santé malgré leur âge, ont fini dans les scieries pour dégager un terrain à bâtir un lotissement, créer une zone d’activités ? Ce pays qui n’est pas à une contradiction près est aussi celui qui a établi une liste de plusieurs centaines d’espèces végétales à protéger sur le territoire : telle la jacinthe d’orient, le trèfle raide, le trèfle faux pied-d’oiseau, ou encore la scille des bois  etc…ce qui a été l’occasion, parfois, de vigoureux échanges entre écologistes et aménageurs, contraignant ces derniers à surseoir, voire à interrompre tel ou tel projet majeur qui allait bousculer le milieu environnant de la plante. Aucune protection de ce type pour protéger la vie des arbres, qui , rappelons le, sont pourtant dénommés « Sujet » donc reconnus comme « vivants » mais traités en France comme des objets jetables à merci, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays européens où les arbres bénéficient de facto d’une certaine protection.

Qu’est ce qu’un arbre ? En dehors de ce que l’on voit : le tronc, le feuillage, fréquemment d’ailleurs sans pouvoir le désigner par son nom, à l’exception de quelques uns familiers parce que symboliques : le sapin de Noêl, le marronnier de la cour d’école, le platane, en bordure de route…Que savons – nous de sa vie cachée, enterrée, quelquefois plus développée que sa partie visible ? Quel rôle joue le système racinaire en dehors de sa fonction mécanique, celle d’ancrer l’arbre dans le sol pendant sa croissance ?

Il lui apporte la vie, tout simplement en l’alimentant en oligoéléments, en eau. L’arbre est irrigué en permanence par un flux qui évapore des tonnes d’eau en provenance du sol. Cette eau indispensable entre dans la composition des cellules racinaires, d’autant plus, pendant la phase de croissance. Ces racines qui produisent aussi des molécules actives qu’elles transforment en régulateurs nécessaires également à la croissance de l’arbre. « …l’arbre est une créature très inventive sur le plan biochimique. Comment ne pas l’être quand on vit immobile, sans pouvoir s’échapper ?[2] »

Immobile, l’arbre sait se contenter de peu pour son alimentation. Il prend ce qu’il trouve sur place. Mais cette immobilité même l’a contraint à inventer des stratégies de défense biochimique contre les prédateurs. Tels, l’IF Commun, qui se défend contre les souris, les punaises des bois et autres prédateurs en produisant des molécules dissuasives. “...Dans les années 90, le botaniste Sud-Africain Van Hoven a remarqué que les gazelles se régalaient des feuilles d’acacias quelques secondes seulement, car très vite les feuilles devenaient immangeables. L’arbre pouvait en quelques instants modifier la composition chimique de ses feuilles. Plus étonnant encore, la gazelle toujours affamée, va remonter le vent pour rechercher d’autres acacias, car sous le vent tous les acacias sont devenus immangeables. D’acacia en acacia l’information s’est transmise  par l’intermédiaire d’une molécule volatile, celle de l’éthylène, véhiculée par le vent !Les arbres les plus anciens datent du Dévonien soit 380 millions d’années ! Ils ont eu le temps de développer tout un arsenal de molécules actives que l’homme a su exploiter pour en faire des médicaments innombrables et efficaces comme le Taxotère et le Taxis, issus de l’IF (Taxus) utilisés dans le traitement des cancéreux…”

Immobile, l’arbre se nourrit du carbone atmosphérique, de la lumière solaire, de sels minéraux et d’eau souterraine. Tous ces éléments disponibles sont illimités mais à faible flux, c’est pourquoi il a besoin de capteurs de grandes dimensions.Les scientifiques se sont interrogés sur la surface réelle d’un arbre de 50 mètres environ,  en évaluant le nombre de feuilles, en mesurant les surfaces foliaires recto,verso, en les additionnant avec les surfaces développées des rameaux, des branches, du tronc , en ajoutant la surface des racines, ils sont parvenus à ce chiffre étonnant  d’une surface totale de 200 hectares, soit à peu près la surface de Monaco !

Abel Kahn, le biologiste, en séquençant le génome du riz a découvert que ce dernier possédait 50.000 gènes. Une baffe pour notre ego : l’être humain, si supérieurement supérieur, n’en a que 26.000 ! Découverte qui va à l’encontre de ce que les évolutionnistes pensaient : que plus un organisme était évolué plus il avait de gènes. « …Pas du tout, répond Axel Kahn, serions nous capables de passer notre vie les pieds dans l’eau, en nous nourrissant uniquement de cette eau, du gaz carbonique, de l’air, de la lumière solaire ? Nous en sommes incapables car nous n’avons pas le nombre de gènes suffisants… » De plus l’humanité ne possède qu’un seul génome, le génome humain. Lorsque l’on prélève les branches d’un arbre, on constate des différences génétiques bien marquées d’une branche à l’autre. Il y a bien le génome de l’espèce d’arbre considéré, mais les variantes génétiques observées confortent l’idée que l’arbre n’est pas un « individu » mais un « être collectif ».

Si les hommes, parce qu’ils sont mobiles, dominent l’espace ; l’arbre, lui, domine le temps ! Certains peuvent vivre des milliers d’années. Ils sont pratiquement immortels. Leur disparition est toujours due à des agressions extérieures : les hommes, le feu, le gel, la pollution, les pathogènes. En fait l’arbre ignore la sénescence alors même que notre vie humaine est limitée par notre programme de vieillissement.

La générosité de l’arbre.

« Chaque société a sa propre manière de traiter et d’utiliser les arbres. Ces êtres vivants, étranges avec lesquels le sort nous a amené à coexister… »[3]

En Europe, il n’est que de regarder autour de nous, l’homme a su utiliser l’arbre partout : comme bois d’œuvre pour la construction , la fabrication de son mobilier, pour le bois du feu, pour le bois fixant et préservant les berges de ses cours d’eau, pour l’alimentation et la médecine. L’arbre fait sens dans la philosophie, la littérature, la poésie, le dessin, la peinture, la sculpture. Il alimente les mythes et contes qui sont le socle de toutes civilisations et religions. Notre société occidentale technicienne, le triture, le modifie à des fins de meilleurs rendements pour l’industrie, de résistance aux virus pour le rendre plus performant, alors que sous d’autres latitudes, les peuples paysans savent depuis toujours utiliser les propriétés naturelles des espèces poussant sur leur sol, pour récupérer une eau rare, pour augmenter une récolte, ou en utiliser toutes les ressources : feuilles, fleurs et fruits lorsque ils sont comestibles. Les graines pour produire de l’huile ou même purifier l’eau, comme celles du Moringa Oleifera dont les femmes de certains villages situés au Nord Ouest du Soudan se servent pour purifier l’eau du Nil contaminée lors d’une inondation.

En ce temps de réchauffement climatique, de pollutions anthropiques universelles, les arbres, ces formidables « puits de carbone » purificateur d’atmosphère pourraient contribuer à être l’avenir de l’homme, à condition que ce dernier, où qu’il soit, le considère avec le respect que l’on doit à un être vivant, un sujet partenaire « dans l’entreprise souvent hasardeuse qu’est la vie sur terre. »  –Colette Lièvre.

Sources. Cet article a été écrit et très largement inspiré, avec reprises de citations (en italiques) grâce à la lecture de « Plaidoyer pour l’arbre » ( Actes Sud 2005) dont l’auteur est Francis Hallé. Ce dernier botaniste et biologiste est spécialiste de l’architecture des arbres et de l’écologie des forêts tropicales humides. De 1986 à 2003, il a dirigé les missions scientifiques du « Radeau des cimes » sur les canopées des forêts tropicales. Il a publié notamment Un monde sans hiver, Les tropiques : nature et sociétés ( Le seuil 1993) Eloge de la plante. Pour une nouvelle biologie (Le Seuil 1999) et avec D.Cleyet-Marcel et G.Ebersolt, Le Radeau des cimes. L’exploration des canopées forestières ( Lattès 200).

Lecteurs et lectrices que vous vous intéressiez, ou pas,  à ces merveilleux compagnons que sont les arbres, lisez ce livre scientifique et à la portée de tous. Vous leur porterez ensuite un autre regard et nul doute que vous deviendrez leurs fervents défenseurs.

Crédit photographique: Yolande Schoemakers et Alain Rolland.



[1] Dénomination locale pour la pétasite officinale

[2] Francis Hallé , biologiste, botaniste, auteur de « Plaidoyer pour l’arbre ».

[3] « Plaidoyer pour l’arbre » Chapitre 12 « Les phytopratiques individuelles » de Francis Hallé.


2 Replies to “L’arbre, ce méconnu!”

  1. Bien le bonjour,
    C’est un véritable bonheur de lire ce plaidoyer pour la reconnaissance de l’arbre comme patrimoine local des mémoires mais aussi patrimoine global de l’humanité.
    Depuis toujours je fais partie de ceux qui parlent aux arbres. Je me suis enraciné dans l’Entre-Deux-Mers (Saint-Vincent-de-Pertignas) et j’en ai bien sûr planté, notamment à la naissance de chacun de mes enfants (chêne vert, chêne d’Amérique et if). J’aimerai construire un recueil des arbres remarquables du terroir et y associer des pages de l’histoire des hommes (mémoires, légendes, témoignages) pour en faire un guide initiatique à l’adresse des visiteurs mais aussi des riverains.
    A tous ceux qui souhaitent partager leur expérience avec un arbre en particulier, je suis prêt à recueillir leur témoignage… merci de me faire signe

  2. Merci pour ce magnifique playdoyer sur L’ARBRE.
    J’aime les arbres, et je souffre pour eux lorsque je vois qu’on les maltraite, qu’on les coupe ou qu’on les mutile.
    J’ai toujours eu un amour pour ces “géants” de la nature et je suis heureuse lorsqu’on les protège. MERCI !
    Chez moi, lorsque nous avons acheté notre petit lopin de terre il y a bien des années, il n’y avait pas d’arbres… cela nous semblait tellement triste… Depuis, nous en avons planté, et notre petit coin est maintenant un hâvre de verdure accueillant une belle diversité d’oiseaux qui enchantent nos réveils le matin, un régal !
    Pour moi, l’arbre c’est la vie !

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