« Définir l’arbre, c’est comme définir la bêtise…c’est presque impossible et pourtant nous en connaissons tous d’excellents exemples. » Alessandro Barrico.[1]
La preuve :
Reportons nous au XVIIème siècle, lorsque Plataneus acerifolia, soit le platane commun fut introduit en France[2].Il est vraisemblable qu’il devait être de bon ton, alors, pour prouver son rang social, son originalité, son goût pour l’exotisme d’installer sur son domaine, en son parc ce bel arbre. Tel fut certainement le cas des deux platanes jumeaux plantés de part et d’autre de la terrasse d’un petit château viticole girondin, situé en Entre-Deux-Mers, bénéficiant d’un environnement qui leur était particulièrement bénéfique, entre autre d’un terrain riche en sources d’eau claire nécessaire à leur croissance. L’Entre-deux-Mers souvent considéré comme un jardin, comparé quelquefois à la Toscane est connu pour le beauté de ses arbres, ces deux platanes participaient à cette réputation, car considérés comme parmi les plus remarquables de cette région compte tenu de leur âge et de leur taille. Au fil des siècles ils se sont épanouis ; leurs branches s’élançant de leurs fûts puissants vers le ciel qu’ils tutoient de toute leur hauteur :40 mètres. Solidement ancrés dans le sol, leurs troncs avec l’âge ont pris un tour de taille de près de sept mètres de circonférences.
Ces deux géants verts plantés sous Louis XIV, auront assisté imperturbables à tous les bouleversements historiques.La Révolution les a déclarés biens nationaux tout comme le château, alors propriété de Madame Marie-Anne Mitchell, fille de Pierre Mitchell le Maître verrier, dont le nom restera pour la postérité car créateur de la célèbre bouteille bordelaise et du jéroboam Quant à la Dame, la petite histoire prétend qu’elle usât de quelque entregent auprès du Commissaire du peuple pour récupérer son bien !
Au 20ème siècle, lors de la Grande guerre, le château fut transformé en hôpital militaire et l’on imagine très bien nos valeureux poilus se refaisant une santé sous les frondaisons des arbres de ce qui leur parût, certainement, un petit paradis après l’enfer subi !
Magnifiques et sereins, toutes qualités conférées par 400 ans d’existence, ces platanes auraient pu continuer à s’imposer dans le paysage pendant, encore, de nombreuses années, si une succession patrimoniale néfaste n’avait légué l’un d’eux à l’un des héritiers.
Ce dernier aurait pu se réjouir de recevoir un tel patrimoine, mais homme petit par la pensée, souhaitant peut être affirmer sa puissance, rendu ombrageux par cet arbre qui le dominait, le défiait, de toute sa hauteur, prétextant que s’en était trop et une nuisance pour sa maison en raison de racines, de feuilles, d’entretien, bref autant de choses dont la maison et l’arbre s’accommodaient fort bien depuis toujours , cet homme à l’esprit rétréci et manquant manifestement de jugeotte décida qu’il fallait d’urgence abattre le sujet de tant de délits !
Les Hommes de « l’art de tuer les arbres », élagueurs acrobates, tels des alpinistes s’accrochèrent aux branches pour les décimer. En une semaine elles furent toutes à bas à l’exception de deux complètement dénudées, laissées en l’état car personne ne sachant comment en venir à bout, tout comme d’ailleurs, du tronc, tellement énorme, pesant près de vingt tonnes !
Pendant quelques jours, ce cher platane a fait de la résistance; les deux bras levés vers le ciel, tel un crucifié, il paraissait l’implorer. Une chose est sûre, le Dieu des arbres n’est pas français ; sinon cela se saurait, car si tel était le cas, les arbres anciens, remarquables, publics ou privés seraient protégés par la loi, d’office, comme cela existe dans certains pays. Et puis, ils sont venus avec toute la force mécanique d’une grue géante,et , en huit heures ils ont mis définitivement à bas quatre siècles de vie, réduits à un pitoyable tas de bois!
Colette Lièvre.
[1] Alessandro Barrico philosophe, musicologue, écrivain Italien, est considéré comme l’un des plus rands écrivains contemporains de la nouvelle génération. Son dernier roman « Soie » est un grand succès.
[2] Le mot platane vient du grec Platos qui signifie « large, étalé » Arbre hybride issu du croisement entre le latane d’Orient et le platane d’Occident, existe seulement comme arbre domestique.