Les crues de la Garonne.

Posté le 18/03/2014 dans Environnement.

En avril 1897, le conducteur du service maritime en résidence à Cadillac sur Garonne, rappelle que « …généralement la crue de Cadillac atteint une hauteur de 0,15 mètres à 0,20 mètres supérieure à la hauteur d’eau de La Réole : toutefois par suite de l’influence des marées, cette règle n’a rien d’absolu ; on a observé quelquefois mais très rarement que la hauteur à Cadillac est un peu inférieure à celle de La Réole notamment en février 1897…l’étale se manifeste à Cadillac généralement 12 heures après La Réole mais là aussi aucune règle ne peut être établie, quelquefois l’étale s’est produit à Cadillac 24 ou 48 heures et même une fois 72 heures après La Réole…Généralement lorsque les dépêches annonceront 7m85 d’eau à La Réole, la crue atteindra le niveau des rails à Cadillac[1]… »

Le 3 avril 1898, ce jour là à Cadillac, il y a 9,12 m d’eau, autant dire que les rails du petit train [2]sont sous un mètre d’eau ! Et la route est inondée, malgré son rehaussement, sur près de 2,500 km entre Langoiran et Lestiac. Lorsque l’eau se retire, il faut réparer les dommages : remettre la voie sur ses rails, revoir les terrassements, refaire le ballast, un mur de soutènement, les carrelages, les pavages, nettoyer et remettre en l’état les machines et voitures…Si en avril 1898, la hauteur de la crue est de 7,55 m, évitant de peu la gare, il n’en est pas de même en février en 1904 : l’eau arrive à 8,37 m noyant les rails, pénétrant les trottoirs de la station, empêchant les trains de circuler. En 1930, les 4 et 5 mars, des orages violents associés à la montée des eaux occasionnent de nouveau d’importants dommages, évalués par le concessionnaire à 64.800 francs, auxquels il y a lieu d’ajouter l’interruption du service qui a entraîné une perte de recettes à 14.600 francs. Suit un résumé des dégâts occasionnés aux stations de Baurech, Le Tourne, Langoiran, Lestiac, Cadillac. A Baurech, le puits a été rempli par les eaux d’inondation : il faut le vider, le désinfecter, au Tourne la hauteur d’eau au-dessus du plancher est de 0,40m mais à Langoiran elle est de 1,26 m, à Lestiac de 1,40 ; quant à la gare de Cadillac, le dortoir des mécaniciens est à reconstruire.

L’alerte. En ce temps là, l’alerte est donnée par une série de dépêches télégraphiques qui préviennent le Préfet, lequel à son tour alerte les maires qui doivent derechef informer la population. Chaque année, pour chaque crue, les télégrammes se suivent et relatent avec précision l’état de la situation à Agen, La Réole, Langon, Cadillac. Ils sont en général libellés comme suit : Dépêche du 14.01.1889, le Préfet au maire de Langoiran : « …d’après les renseignements fournis par Messieurs les ingénieurs du service de la Garonne, la crue du fleuve est en décroissance, invitez toutefois les populations riveraines à prendre des précautions contre les débordements… »

Le 16 février 1889, le Préfet prévient l’ensemble des maires des communes riveraines droite et gauche de la Garonne situées en amont de Bordeaux : « …il résulte des renseignements fournis par Messieurs les ingénieurs qu’une crue qui paraît devoir être assez importante, est déclarée sur la Garonne à la suite de la fonte des neiges. Les eaux atteignaient hier soir devant Agen la hauteur de 4,5 mètres. Prévenez de cette situation les populations concernées… » C’est en 1899 qu’une liaison spéciale télégraphique reliant directement Agen à La Réole et à Langon est installée pour activer la transmission des avis de crues de la Garonne.

En ce 21ème siècle, à l’heure du tout Internet, il n’est pas certain que les systèmes d’alerte et de prévisions des crues soient plus performants, tout au moins si l’on en juge par les réclamations constantes des riverains.

En effet, dans ces petites communes rurales, péri –urbaines, où souvent les mairies ne sont pas ouvertes au public quotidiennement et ou bien entendu il n’y a aucun vigile branché 24h sur 24 devant un écran d’ordinateur, où voilà bien longtemps que les gardes-champêtres ont disparus de nos horizons et où les cloches des églises qui sonnaient le tocsin sont réduites au silence  et où plus grave, les anciens disparaissent remplacés par ces rurbains, ou néo ruraux qui s’installent en bord de Garonne , le long des esteys , sans  aucune culture de ces risques naturels dus aux inondations récurrentes depuis des siècles, tout débordement intempestif de la Garonne surprend, interpelle, voire étonne !

 Et pourtant, de tous temps l’eau est à l’origine du plus grand nombre de catastrophes naturelles ; sur notre petit territoire, non seulement mère des inondations mais aussi responsables des nombreux effondrements du coteau constitué d’un terrain argilo-calcaire soumis à des aléas climatiques extrêmes : déversements d’eau dévalant des talwegs finissant par emporter tout sur leur passage. Ce mois de mars 2014 en aura encore été le témoin avec deux éboulements sur la D.10, qui est actuellement en partie toujours inaccessible à la circulation. Celle –ci étant rendue impossible en raison d’un énorme rocher qui a dévalé du coteau pour s’effondrer sur la route (entre Cambes et Latresne) et à Tabanac, ce fut le mur d’une propriété qui a été complètement arraché et là aussi s’est anéanti sur la chaussée. Espérons que dans les temps à venir, l’Etat, les collectivités territoriales, les communautés de communes et les communes se souviendront, peut être, de ces épisodes climatiques, qui ne peuvent que se renouveler, au moment de redéfinir les schémas d’aménagement du territoire, en remettant en question des modes de développement urbain qui ont prévalus jusqu’à présent et qui faisaient fi de toutes recommandations dites de précaution.

Colette Lièvre.

Repères. « …Dans le livre blanc édité en juillet 1971 par l’Agence du Bassin Adour Garonne, nous lisons : en moyenne, les di x jours de débit maximum voient  s’écouler pour la Garonne 2 milliards et demi de mètres cubes d’eau, soit près de 1/6 de toutes les eaux écoulées annuellement. Or, en 1875 et en 1930, la Garonne a fourni un volume d’eau de même grandeur en 3 ou 4 jours seulement. A ce moment là, le fleuve écoule au niveau d’Agen 8500m3 d’eau à la seconde, alors qu’en période d’étiage ce volume est évalué à 100m3 seconde, donc pour le même laps de temps, 80 fois plus de liquide ; cela doit frapper l’imagination des plus incrédules. (Extrait du chapitre Inondations  de l’ouvrage Requiem pour une Garonne défunte, p.325-  de Pierre Vital.)



[1] Sources : Archives départementales : AD. 33 S.P.2238.

[2] Il s’agit du petit train qui relie quotidiennement et plusieurs fois par jour Cadillac à Bordeaux. Il sera supprimé en 1936 pour être remplacé par une ligne d’autobus.


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