Le visiteur qui arrive pour la première fois en Gironde, pour peu qu’il soit sensible à la beauté des vieilles pierres, reste émerveillé par l’importance du patrimoine bâti historique. Peu de gens le savent, mais la Gironde est le premier département français (hors Paris) pour ce qui est du nombre de monuments historiques classés ou inscrits, avec 969 sites !
En Bordelais, l’Entre-deux-Mers, territoire situé entre Garonne et Dordogne, est particulièrement riche en sites archéologiques qui en rappellent par strates, les grandes heures historiques. Villas romaines, abbayes, commanderies, castrum, églises romanes, châteaux féodaux ou d’autres temps, maisons nobles, moulins, ports qui rappellent l’importance économiques que furent les rivières, et spécificité du Sud Ouest, incontournables dans le paysage : les bastides.
En Entre-deux-Mers, elles sont au nombre de sept : Blasimon, Cadillac-sur-Garonne, Créon, Monségur, Pellegrue, Sainte Foy-la-Grande, Sauveterre de Guyenne ; ces bastides, comme les quelques 350 autres que possède le Sud Ouest, ont été au Moyen âge en quelque sorte précurseurs des « villes nouvelles » et dont les plans, dit-on, on servit de modèles à la construction des cités américaines. Toutes différentes, elles sont pourtant toutes semblables car toutes sont à la fois la résultante de la constitution d’un pouvoir politique et économique local et démocratique (avec alors un consulat, un marché, des foires, des poids et mesures, une milice) et en même temps soumises à l’institution d’un plan local d’urbanisme avec son règlement, dont la réalisation se fera pendant plusieurs siècles.
Donc une urbanisation caractéristique selon un plan géométrique, ordonnée autour d’une place (destinées aux foires et marchés) entourée d’arcades « les couverts » et de rues en damier se recoupant en angles droits.
Ces villes fondées du XIIè au XIVè siècle sont donc aussi le produit des évènements historiques de leur temps ce qui leur confèrent une identité propre car elles ont toutes une histoire singulière qui fait qu’elles méritent le détour et une attention particulière.
Certaines ont eu la chance au fil du temps de faire l’objet de soins attentifs entretenant et valorisant quelques unes de leurs spécificités : maisons à pans de bois, halle, mise en valeur des couverts, fleurissement, etc…La chance ne dépendant d’ailleurs que des élus qui en avaient et en ont encore la charge. D’autres malheureusement ont eu à souffrir et continuent de supporter des traitements plus ou moins contestables au prétexte de modernisation, du « il faut bien vivre avec son temps » ou encore de la profondeur de l’ego du maire qui entend laisser l’empreinte de son passage pour la postérité le temps de son ou ses mandats !
La bastide de Créon en est un bel exemple, engloutie qu’elle est maintenant par une urbanisation pléthorique de lotissements sans fin et sans âme, d’une zone d’activités commerciale surdimensionnée donc à moitié occupée bien qu’elle ait auparavant contribué à vider et anéantir le centre ville de ses commerçants situés précisément sous les célèbres « couverts » de la bastide. Cette dernière est ceinturée par un boulevard saturé par la circulation qui a été fluidifiée par l’ajout de quelques ronds points eux-mêmes agrémentés « d’œuvres d’art », sur le mode kitch, dont la statue d’une rosière au sourire pulpeux figé dans la pierre et qui rappelle que depuis 108 ans la ville de Créon rend honneur aux mérites et à la vertu d’une jeune donzelle !
En 2015 Créon fêtera ses 700 ans, un bel âge ! En prévision de cet anniversaire on s’affaire devant la mairie. C’est vraisemblablement en prévision de ce grand moment que les édiles locales ont décidé de mettre en valeur la mairie, récemment réhabilitée, nettoyée (ce qui n’était pas un luxe) située sur la place de la bastide, en la dotant d’un insolent parvis de pierre blanche complètement anachronique, clinquant , prétentieux et inadapté en ce lieu mais assurément très coûteux ! Déjà, chaque nuit la façade de ce haut lieu est mis en valeur par un éclairage étonnant et détonnant qui la verdit, ou la rougit c’est selon et tout à fait d’actualité alors que l’on somme tous les citoyens de faire des économies d’énergie !
Tout cela serait bel et bien s’il n’y avait le contraste que constitue la pléthore d’enseignes et de panneaux publicitaires des commerces situés autour de la place et qui sont dans l’illégalité la plus complète car sur un site protégé ; s’il n’y avait le long de quelques façades des fils électriques pendouillant qui rappellent les installations que l’on peut voir dans les pays du tiers monde ! Inutile de s’attarder sur le sol des couverts, ils auraient bien besoin d’une remise en état, et l’on pourrait prendre en exemple le travail remarquable qui a été réalisé sur ce plan dans la bastide de Sauveterre !…
En quittant la place, le visiteur pourra continuer sa visite en flânant dans Créon, emprisonné sur des trottoirs hérissés tout au long par des garde fous métalliques comme on peut en voir dans les grandes villes. S’il continue son chemin et va jusqu’au collège il s’étonnera, peut être, de constater combien la sécurité routière a été traitée s’il en juge par la compagnie de bornes balises en plastiques qui tels de petits soldats montent la garde au nom vraisemblablement d’un principe de précaution bien compris.
Il n’y a pas si longtemps la chaussée était bordée par une rangée de vénérables pins qui dispensaient une ombre bénéfique en pleine cagna et contribuaient à l’esthétique du paysage ambiant. Quelques techniciens ont du faire preuve de réflexion et démontrer qu’il était absolument nécessaire de les trucider afin de disposer de l’espace pour améliorer la circulation des cars scolaires et autres …
Il est des pays où l’arbre est roi, intouchable, où promoteurs, aménageurs de tous ordres son priés de faire avec si par hasard il se trouve sur la route de leurs projets. En France l’arbre est l’ennemi à abattre : celui qui potentiellement peut s’effondrer sur votre maison, voire plus vicieusement vous la miner de l’intérieur avec quelques racines pernicieuses, c’est lui qui est responsable des accidents en bordure de route, c’est lui qui laisse tomber ses feuilles à l’automne et qu’il faut ramasser…à Créon il semble que l’on les ait classés dans les encombrants, à liquider . C’est évident entre quelques beaux arbres et une armée de bornes en plastique vert, (vert pour la petite touche environnementale), il n’y a pas photos, c’est très moche mais c’est tellement plus confortable et «sécure” pour la gent automobile.
Colette Lièvre.
guten tag Colette,
tout a fait d’accord avec toi, CREON file un mauvais coton !! rien n’est pensé à fond, il semblerait qu’il faille faire du “moderne” , pourquoi pas, mais ici en tous cas c’est fait sans goût ni harmonie avec une telle bastide
bien à toi
JJ
Bien envoyé, Colette ! Voilà des propos requinquants, susceptibles de réveiller une combativité émoussée par les choix calamiteux (et répétés !) de nos élus.
Est-ce qu’ils auront l’occasion de lire cet article ? Je l’espère. Mais en ce qui concerne la bastide de Créon, j’ai bien peur que les ravages ne soient irréversibles.
Dans la même veine (ou plutôt manque de veine) la rue qui mène au Château Bauduc était bordée de magnolias et autres arbres d’ornement, bons pour le regard, bons pour les parfums, bons pour l’ombrage… Surprise! un beau matin, tous coupés! Que l’on ne nous dise pas que c’était pour dégager les trottoirs que ne pouvaient emprunter les mamans avec leurs poussettes ou autres cabas à roulettes. A présent les trottoirs sont tristes et laids et les piétons (et les poussettes) ne les empruntent toujours pas. En revanche c’est l’idéal pour les voitures qui peuvent maintenant stationner dessus les jours de marché. Cette rue a perdu son charme, ses parfums, et l’été elle est devenue aussi abrupte et minérale que la Place de la Prévôté. Il eut été agréable et convivial de simplement la transformer en “rue partagée” auto-piétons puisqu’elle est déjà pourvue de 2 ralentisseurs et ne dessert que des maisons d’habitation où passent des enfants à vélos ou des collégiens à pied. Et de garder les arbres sur les trottoirs qui n’en sont toujours pas?