Très Chères ordures!

Posté le 09/04/2020 dans La petite chronique.

 

On était au mois de février, Florence Mothe annonçait à la presse le thème de sa prochaine conférence dominicale qu’elle donnerait au Château de Mongenan. Le sujet en était «  Les problèmes quasi insurmontables que les ordures ont toujours posés à la société. » (cf.Texte ci-après)-

On apprenait ainsi que ce sujet avait été abordé à la Convention citoyenne comprenant 250 membres, tirés au sort, représentatifs de la société française et chargés de réfléchir, proposer des pistes, des sujets de discussions, des amorces de solutions, à ceux qui nous gouvernent, pour répondre aux grands défis environnementaux auxquels l’humanité va être de plus en plus confrontée.

Depuis, Coronavirus s’étant invité sur l’échelle planétaire, confinant une moitié de l’humanité, on imagine aisément que la société française devra attendre un certain temps avant de connaître le fruit des réflexions de la Convention citoyenne à moins que cette dernière ne soit définitivement balayée par le tsunami Covid19 !

 

Donc : ce dimanche 16 février au Château de Mongenan. Portets.

« De l’hygiénisme à la civilisation des déchets »

C’est très paradoxalement dans la délicieuse odeur du mimosa dont un bouquet, pour célébrer la Saint Valentin, sera offert à chaque visiteur, que ceux qui viendront au château de Mongenan, ce dimanche, entendront parler des problèmes quasiment insurmontables que les ordures ont posés depuis toujours à nos sociétés.

Corollaires de la production et de la  consommation,  les ordures ont toujours empuanti l’atmosphère. Les Romains s’en souciaient déjà avec la cloaca maxima. Au Moyen Age, un roi au nez délicat ordonna au prévôt des marchands de Paris de faire débarrasser tous les tas qui entouraient le Louvre. Au XVIII° siècle, les Frères de la Loge des Neuf Sœurs en firent leur cheval de bataille et obtinrent de Louis XVI la création d’un corps de vidangeurs spécialisés. La mode était à l’hygiène et à la salubrité. Mais il fallut attendre le préfet Eugène Poubelle pour que soit généralisée l’invention qui porte son nom avec obligation aux concierges de sortir les dits récipients avant le passage des éboueurs et de les rentrer dès le vidage.

Mais toutes ces excellentes décisions n’ont pas suffi. Notre société de consommation ploie sous les emballages, les boites de conserves, les sachets en plastique. Le sujet a été abordé à la Convention citoyenne pour le climat qui a été prié de réfléchir à la grave question : Comment s’en  débarrasser ?

Car le problème n’est pas si simple. D’abord, la destruction des ordures a un coût élevé .Ensuite, les écologistes sont partagés entre ceux qui sont contre les incinérateurs et ceux qui sont pour. Ceux qui optent pour l’enfouissement sont bientôt ensevelis sous le volume. On exporte donc les ordures, d’abord dans les départements voisins, c’est le cas en Sud-Gironde, puis à l’étranger, Espagne, Allemagne, Afrique, Asie. Autant dire que le problème se repose, sans cesse aggravé.

  • En outre, le ramassage des ordures, leur incinération, leur transfert, n’est pas forcément dévolu à des entreprises appartenant à des enfants de cœur. La mafia a pris une part prépondérante, si ce n’est majoritaire, dans le traitement des déchets. Gomorra raconte cette peu reluisante affaire,  partie d’Italie et qui maintenant, atteint beaucoup de pays d’Europe et d’Afrique. Car ne pas ramasser les déchets est un moyen de pression épatant sur les élus et les gouvernements. Déchets égalent maladies, épidémies, saleté, perte de chiffre d’affaire. Il n’y a pas que l’odeur qui soit nauséabonde.
  • Mais le déchet peut aussi avoir ses charmes. Le sculpteur César et les performances de Gina Pane l’ont abondamment prouvé.   Florence Mothe  – (est historienne, écrivaine ,journaliste et vigneronne.)

 La mésaventure d’une redevance incitative.

L’article de Florence Mothe a fait souvenir à Félicité de ce qu’elle a appelé “la mésaventure d’une redevance incitative”. C’est une histoire ordinaire d’argent public dépensé en pure perte, en fait un conte  tout à fait édifiant sur la façon de concevoir le développement durable par certains nos élus!…

Il était une fois, en Gironde, une petite communauté de communes qui s’appelait «  du Vallon de  l’Artolie », l’Artolie étant un de ces esteys qui dévalent les coteaux pour aller  se noyer dans cette belle Garonne. Cette communauté de communes qui comprenait, de mémoire 8 petites communes de l’Entre-deux-Mers, était réputée pour l’harmonie et l’entente qui régnaient entre ces dernières, la participation citoyenne de ses habitants, la bonne volonté de tous de faire en sorte que ce petit territoire  reste un havre de sérénité paysagère avec des aménagements doux, écologiques dont une île dite « l’île Raymond » –

Le Conseil général (à l’époque) avait lancé l’agenda 21 et tout ce petit monde : élus, administrés, participaient cherchant des solutions, faisant des propositions pour que tout aille, ensuite, pour le mieux dans le meilleur du monde. En minuscule c’était déjà une sorte de « Convention citoyenne ».

Et naturellement un jour la question des ordures ménagères, déchets verts et encombrants s’est posée et a été mise sur le tapis des réflexions, et ce d’autant plus qu’une association locale de mamies se mobilisait pour changer de système de type de taxe et abandonner celui de la TEOM (Taxe d’Enlèvement des Ordures Ménagères) qu’elles trouvaient, à juste titre,  complètement inique.  En effet cette taxe est calculée non pas sur les kilos de déchets effectivement générés par personne, mais concerne les propriétés soumises à la taxe foncière et se calcule sur la base de la moitié de la valeur cadastrale locative du logement. Ce système ridicule ne permet évidemment pas d’ inciter l’habitant à limiter la production de déchets et pénalise les personnes qui vivent seule , ce qui était le cas de ces mamies, souvent veuves et continuant à vivre dans la maison familiale.

Des exemples ont, alors, été évoqués. Celui de la Suisse, (souvent citée en exemple comme démocratie participative), mis en avant avec sa longue expérience de gestion des déchets en tous genres et plus précisément la mise en œuvre depuis des années de ce qui l’on, appelle « la redevance incitative »- En l’occurrence la taxe d’enlèvement des ordures ménagères est calculée en fonction d’un poids moyen annuel d’ordures déposés par chaque ménage dans ses poubelles. Un prix de base est  alors défini  pour chaque ménage en tenant compte du nombre de personnes le composant. Si, en fin d’année, ce dernier dépasse le quota qui lui est alloué il a droit à un supplément de taxes à payer. En Suisse, si jamais il y a une différence négative significative le service public rembourse une prime en fin d’année !

Sans aller jusque là, il fut décidé avec le SEMOCTON (Syndicat de l’E2M pour la collecte et les traitements des ordures ménagères- donc syndicat public) que la communauté de communes du Vallon de l’Artolie pourrait servir de territoire test, en aménageant toutefois cette redevance incitative , en l’appuyant sur une taxe fixée à un nombre de 12  levées annuelles et non pas sur le poids des ordures.

Bien entendu pour que le système fonctionne il est indispensable que les conteneurs soient personnalisés par foyer avec une puce électronique et un code barre, et bien évidemment que les bennes à ordures soient équipées électroniquement pour recevoir les informations du conteneur. Tout cela fut mis en place et chaque foyer des 8 communes fut dotés d’un conteneur estampillé d’un numéro d’identité ! Très rapidement les usagers ont pris la mesure du système et se sont mis spontanément à réduire leurs déchets et à avoir un comportement exemplaire en triant, en compostant, en réduisant !. Tant et si bien que pratiquement tous les foyers concernés ne présentaient leur conteneur qu’une fois par mois ! La communauté de communes fut d’ailleurs citée en exemple pour le comportement exemplaire de ses administrés ( pour un peu, ceux ci auraient reçu une médaille civique!)

Cela aurait pu continuer ainsi, c’était sans compter sur le changement administratif majeur décidé par l’Etat, nécessitant le démantèlement de  la communes du Vallon de l’Artolie (jugée trop petite ?) en laissant le choix aux administrés des 8 communes concernées de choisir d’aller dans le giron de la Cté de Communes des Portes de l’Entre-deux-Mers (rive droite de la Garonne), ou de rejoindre la Communauté de communes de Podensac sur la rive gauche de la Garonne. La partition eut lieu : la moitié des commune restant ancrées sur la rive droite de la rivière, intégrant « La communauté de Communes des Portes de l’Entre-deux-Mers, l’autre moitié  ayant opté pour un mariage avec  la rive gauche (du jamais vu depuis des siècles) et devenant ainsi partie prenante de la Communauté « Convergence de Garonne »-

Et dans cette affaire bien gauloise, sans tambour ni trompette,  on ( ?) en profita pour supprimer la redevance incitative et revenir à l’ancien système la TEOM. Seuls les élus de trois anciennes communes de la Communauté de Communes du Vallon de l’Artolie : Lestiac-sur-Garonne, Rions et Paillet ont « souhaité affirmer l’exemplarité de leur territoire en matière de développement durable en se fixant des objectifs ambitieux de réduction des déchets, en gardant la redevance incitative! »

Et c’est ainsi que sans demander leur avis, les autres habitants qui avaient souscrits pour la redevance incitative ont découvert en recevant leur taxe foncière qu’ils étaient à nouveau soumis au régime de la TEOM.

L’histoire ne dit pas combien a coûté initialement l’équipement des conteneurs pucés  et l’aménagement des bennes, permettant leur identification, ni pourquoi le système a brusquement été changé, ni pourquoi on n’a pas demandé l’avis des administrés concernés etc, etc…

Aujourd’hui, Félicité se référant au document produit par le Sémocton sur son site Internet et concernant la redevance incitative, apprend que :

« La redevance incitative. »

Pourquoi changer les modalités de financement du service ?

Le législateur a souhaité faire le lien entre l’utilisation du service et son coût qui n’existe par avec la TEOM.

Toutes les politiques européennes et nationales sont désormais orientées vers  la réduction des déchets. Pour y parvenir, les lois de Grenelle votées en 2010 et 2011 ont rendu obligatoire pour les collectivités l’intégration d’une partie « incitative » dans le financement des déchets.

Cette mesure a été réaffirmée dans la loi de transition énergétique votée le 17 août 2015, en fixant comme objectif que 15 millions d’habitants soient couverts par cette dernière en 2020 et 25 millions en 2025. Par ce biais le législateur a souhaité faire le lien entre l’utilisation, réelle du service et le coût payé par les usagers. Lien qui n’existe pas avec la TEOM (calculée sur le bâti foncier !)

Nous sommes en 2020, pour l’instant confinés …et nous en sommes où. ?

En pleine épidémie de Covid 19, tous confinés, ce qui n’empêche pas de réfléchir, bien au contraire. Il parait que demain ne sera plus comme hier. Bien, acceptons en l’augure et puisque changement il devrait y avoir avec une véritable prise en compte des méfaits occasionnés par « l’anthropocène » , « cette nouvelle époque géologique qui se caractérise par l’évènement des hommes comme principale force de changement sur Terre, surpassant les forces géophysiques naturelles. C’est l’âge des humains ! Celui d’un désordre planétaire naturel inédit ! »(cf.Le nouveau désordre international »- La documentation française.), il faudra tous s’y mettre car le défi du fameux développement durable (si cher à ces trois élus responsables et adeptes  de la redevance incitative) de l’espèce humaine toute entière ,dépasse celui du défi climatique. Et s’il en découle la nécessité de transformer notre système de gouvernance et de gestion des ressources, il conviendra aussi d’en tenir compte à tous les niveaux, y compris locaux, si petits soient –ils, car tout est systémique .  De quoi faire réfléchir aussi nos élus sur les incidences de leurs décisions !

Félicité.

PS.Pour ceux et celles qui s’intéressent à l’histoire des déchets, Antoine Compagnon, professeur de littérature française au Collège de France, a écrit un livre passionnant sur “Les Chiffonniers de Paris” au XIXè siècle.  Sujet original, inattendu, d’une grande richesse , entre histoire, économie, urbanisme, littérature et art. Ouvrage passionnant, largement illustré, édité par Gallimard collection “Bibliothèques illustrée des histoires”

 


One Reply to “Très Chères ordures!”

  1. En ces temps difficiles, il est possible d’écouter Antoine Compagnon sur France Culture à partir du site de France Culture. Il est notamment question des Chiffonniers de Paris.

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