« Ces héros oubliés : les animaux de la Grande guerre! »
Il y a eu 14 millions d’animaux enrôlés pendant cette guerre : chevaux, mulets, ânes, bœufs, chiens, pigeons voyageurs, mais il est incontestable que ce sont les chevaux qui ont été le plus utilisés plus de 8 millions et ont payé le plus lourd tribu , uniquement pour l’armée française 1.140.000 sont morts au champ d’horreur !
Ci-après le témoignage écrit d’Henri Lavedan paru le 16 février 1916 dans la revue l’Illustration dans un article intitulé : « Les grandes heures – Les bêtes de la guerre »
« Ainsi les bêtes, pour la plupart, sinon toutes, font également la guerre. Passons, en une revue trop rapide ces « diverses espèces » de vaillances dociles et d’humbles fidélités…
Les chevaux des armées sont une manière de soldats. Mobilisés et ayant vite acquis le sens de la discipline, ils font partie du « rang ». Ils constituent l’essentiel de la force double et rapide à laquelle est attaché, et qu’ils baptisent du beau nom sonore et puissant de cavalerie. Aussi exposés que les hommes auxquels leur importante fonction est de s’ajouter dans les combats, ils se signalent comme les plus atteints par les épreuves de la guerre. L’étendue de leurs souffrances ne peut pas plus se mesurer que celles des efforts surhumains qu’on exige d’eux jusqu’à l’épuisement. Dans toute la musculature du terme ils travaillent en guerre plus encore qu’en temps de paix… « comme des chevaux ».Et à mesure qu’ils fournissent, peinant avec une qualité d’ardeur continuelle, et si tendue, qu’elle se hausse à l’intention d’un désir, d’une pensée, on sent et l’on observe bientôt, en effet, comme une énergie d’intelligence et d’amitié qui, dans le mystère de ces êtres inconnus, se débat obscurément et tente de se hausser par le moyen des circonstances suprêmes, jusqu’au niveau de l’homme, du maître indiscuté.
Le péril et la douleur, poussés jusqu’aux dernières limites, élèvent l’animal et le font rayonner, lui arrachent, sur tous les points, son maximum de rendement. Il se décuple au cours de ces actions décisives dont il a l’air de flairer d’instinct la grandeur. Il ne boude pas, ne se fâche pas, ne trahit pas ; sans qu’on ait besoin de le lui imposer, il prend sa part de toutes les tribulations avec la même dignité tranquille que son souverain compagnon. L’âme du cavalier traverse le cheval et lui laisse au passage un peu de son fluide, et, de son côté la bête communique à celui qui l’enfourche et qu’elle porte avec amour, la passivité de son endurance et le secret de sa philosophie.
Ah ! Que les chevaux-soldats sont malheureux !…depuis ceux de la légère aux pattes de biche, si fins, si menus, si jolis, jusqu’aux rondins bien râblés des dragons et aux potences des cuirassiers ! Combien de poignants récits nous les ont montrés déjà, tour à tour solides et fourbus, dévorés de mouches, caparaçonnés de boue et douchés par les torrents de pluie du Nord ou bien couvrant l’étape avec un joyeux entrain, fumant dans les brouillards du petit jour, logeant partout à l’aventure et ronflant sur la paille fraiche dans le tumulte des cantonnements. Mais ces grosses gaités sont rares…La bataille à laquelle ils se ruent à larges foulées, met seule en valeur les chevaux dans tout le plein de la force et de la souffrance exceptionnelles qui sont leur lot, leur privilège. C’est alors qu’on les voit bondir, tomber, rouler, rebondir, retomber dans un fracas d’os et de cuir, charger nus ou la selle à l’envers, fouettés par les étriers vides et s’empêtrant dans les rênes pendantes, galopant « fou » ou répandant le sang comme des tonneaux d’arrosage et puis s’écroulant ainsi que des grands morceaux d’architecture, pêle- mêle, en tas, ou bien isolément, à l’écart…pour former encore pendant des jours et des nuits des tableaux singuliers d’horreur et d’épouvante.
Les uns étendus tout du long pareils à quelques montures de caravane, exténués avant la Mecque, râlent sans bouger, n’ayant plus que juste assez de souffle pour courber chaque seconde un brin d’herbe plus fort qui toujours se redresse. Les autres en troupes, hagards, se dispersent parmi les plaines et les bois…Pensez aux chevaux errants de Pologne, des Balkans, du Caucase, aux beaux types lustrés et complets de la cavalerie britannique, abimés, souillés dans les cloaques des Flandres, à ceux que leur maître pitoyable a achevé en leur cassant la tête, à genoux, après les avoir embrassés sur la peau si douce autour des naseaux…à ceux qui ont balancé leur lourde encolure au dessus du dormeur incompréhensible, et qui perdus ont eu soif, ont eu faim, ont mangé les cailloux de la route et l’écorce des arbres. Oui, leurs souffrances sont indicibles, et il faut grandement aider l’œuvre admirable de la Croix Bleue[i] qui a entrepris de les diminuer.
On ne peut parler aux soldats sans qu’ils dépeignent avec un accent de commisération sincère le triste sort des bêtes, et les chevaux leur ont laissé un souvenir particulièrement cher ou pénible. Je me rappelle la fierté d’un dragon blessé me vantant, couché dans son lit d’ambulance, le courage et l’allant de la jument de son officier : « Elle avait la même blessure que moi, Monsieur, à la fesse. Le sang sortait en bouillonnant tant qu’elle galopait, et jamais elle ne s’est arrêtée. Elle a guéri. Je lui demandais, pour dire quelque chose : « Comment s’appelait-elle ? »-« Andréa. » Et il souriait comme s’il la voyait !
Un autre me racontait que sa plus lamentable vision de la guerre et qui lui avait laissé le cœur malade, était celle de ces grands chevaux mourants, assis au bord du chemin sur les talus, ainsi que des personnes, les deux jambes de devant droites et roides et vous regardant passer, immobiles avec une longue figure désolée et un œil qui exprimait « Voilà…Croyez vous- Voilà ! »
Et les chevaux de trait si robustes et vaillants, les honnêtes percherons venus des omnibus qui tirent à plein poitrail dans les routes défoncées les chariots et les fourgons…les mulets, amis des alpins, qui grimpent avec eux les raides sentiers des Vosges, portant les munitions, hissant les pièces de marine ou ramenant avec prudence les blessés…tous font leur service, remplissent avec une plénitude absolue presque consciencieuse leur utile et incessant devoir…Et ce ne sont que des bêtes… » Henri Lavedan.
Nota : A la fin de la guerre de nombreux monuments ont été érigés en mémoire de l’héroïsme et du dévouement sans faille des chevaux. Le plus émouvant est certainement celui situé sur la place de l’église, du petit village de Chipilly , dans la Somme. Monument émouvant que l’on doit au sculpteur Henri-Désiré Gauquié et qui représente un artilleur britannique qui tient dans ses mains la tête de son cheval blessé et l’embrasse sur les naseaux.
Sources et crédit photographique : LFPC –La ligue française pour la protection du cheval qui est une association reconnue d’utilité publique dont l’objet essentiel est de tout mettre en œuvre pour porter secours aux équidés maltraités.
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Mais les bêtes se rencontrent partout dans la guerre qui ne les épargne pas !
Vous imaginez-vous les chiens dans les villages abandonnés et vidés par l’exode des habitants, dévastés par l’incendie et le carnage ! Demeurés là, soit qu’on les ait oubliés dans la fuite, soit qu’ils n’aient pas voulu se laisser emmener par amour de la maison dont ils avaient la garde. Les chiens des villes désertes sont les seuls êtres vivant des ruines, et leurs troupes offrent un aspect de stupeur et de détresse si profondes que l’on dirait des hommes ayant, à la suite d’une terrible métempsychose, perdu momentanément leur forme primitive, et attendant, au fracas des engins de mort, le miracle qui doit la leur rendre. Ils errent parmi les décombres empuantis, ou bien rassemblés au milieu de la grand route nationale, en avant des premières maisons du faubourg, là où commencent les prés de la campagne et de l’inconnu. Ils reniflent la brise, au moindre bruit, tournés tous du même côté, croyant à l’écho de chaque pas lointain que c’est le retour de la voix qui parle et de la main qui caresse…et la nuit on les entend, à des lieues, aboyer à la lune et hurler aux fantômes…
Beaucoup d’entre eux savaient qu’ils ne reverraient pas le maître, quand ils se sont couchés, tristes et sages, sur l’étrange coussin de terre, au pied de la croix coiffée d’un képi.
Et puis d’autres, recueillis ou adoptés par les troupiers au bon hasard de la rencontre, sont devenus des chiens gais et farauds de régiments, qui vont et passent partout, jouent au rami à la manille, fument la pipe, éternuent pour la France, et font le beau pour les marraines. Partageant avec leurs copains, plus poilus qu’eux, la fatigue et le sommeil, la soupe et le singe, favoris des cuistots, servant d’oreiller et de couverture, allant en mission porter l’ordre sur un papier, rapportant le casque du Boche, sautant sur le parapet de la tranchée aux jours d’attaque, avec la vague, observateurs des ténèbres, chiens de liaison, chiens sanitaires, chiens de grande police au front, opérant aussi « le nettoyage » en compagnie des marchands de grenades et puis blessés pansés, guéris ou bien mourant au camp d’honneur…ils jouent leur rôle dans l’immense drame.
On écrirait plus d’un chapitre, un volume entier sur les animaux mêlés à la guerre.
Il faudrait tracer l’histoire des animaux mascottes, des moutons, des chèvres, des souris, choyés, considérés comme des fétiches par les tommies des armées anglaises. Les bêtes domestiques de la vie pacifique, bourgeoise et familiale brutalement dispersées parla tourmente, les chats des faubourgs bombardés, les serins, les perroquets échappés des cages, les ânes et les bœufs traînés en exils, captifs…
Et cependant il est manifeste qu’une confiance soudaine et générale a rapproché les animaux de l’homme dans cette formidable tourmente, en même temps que l’homme éprouvait le besoin d’attirer la bête et de la protéger, de l’entourer de soins et d’humble affection. Toutes les tranchées sont des ménageries au fond desquelles plus d’un rude soldat souffre, respire et dort, espère et reprend courage, serré contre une pauvre petite chose vivante, qui, par moments, met de la joie et de la consolation dans la détresse de son cœur.
Henri Lavedan. (Sources : Illustration n°3805- 5 février 1916. « Les grandes heures »)
[i] Le Croix Bleue service de santé vétérinaire.
Un point de détail sur une erreur récurrente : la commémoration porte sur l évènement et non sur le centenaire.