Guinguette et paysage !

Posté le 09/04/2020 dans Les Gens d’ici.

Guinguette : cabaret populaire où l’on consomme et où l’on danse en plein air dans la verdure. Le mot connote les distractions populaires et le milieu urbain à la fin du XIXe siècle et avant 1940. (Définition  du Grand Robert de langue française).

Si l’on en juge par cette définition la guinguette ne ferait plus recette, en France, depuis près de 80 ans ; bref  la guinguette ferait partie de l’histoire sauf à Langoiran où dans le cadre de la revitalisation du port la guinguette devrait retrouver un emplacement de choix  mais attention avec un concept renouvelé puisqu’il s’agirait d’une guinguette démontable ! Un appel d’offres a été lancé par la mairie pour recruter un exploitant. Celui-ci devrait pouvoir ouvrir la guinguette au moins six mois de l’année du début du printemps à la fin de l’automne, c’est-à-dire pendant la saison touristique, qui, comme nous pouvons le constater bat son plein à Langoiran chaque année( !) tant il est vrai que les visiteurs ont plutôt tendance à se promener de l’autre côté de l’estey, sur le mail du Tourne, visitant les chantiers Tramasset et ne se lassant pas d’admirer La Garonne qui est là en pleine forme et au summum de sa plénitude lorsque le soleil se couche ! C’est de là aussi où, au moment des grandes marées de septembre, que la foule, car elle est bien là, vient admirer le mascaret qui fait son cinéma en s’éclatant au sortir du virage qui comprimait le flot tumultueux de la marée montante.

Il suffira aux promeneurs de traverser l’estey en empruntant la petite passerelle, pour qu’ils se retrouvent sur l’espace où sera montée la fameuse guinguette, dont le bâtiment se trouvera de facto, telle une verrue, dans l’axe d’un des paysages les plus beaux de la Gironde ! Et pour faire bonne mesure on attend avec une certaine appréhension de voir à quoi ressemblera le bâtiment « guinguettois » installé face à la façade des anciennes maisons du port.

Pour l’instant tout est encore silence, beauté et harmonie et ce d’autant plus que nous sommes en période de confinement. Mais après ?

Colette Lièvre.

« Libéralisme et paysage-réflexions sur l’état du paysage français. »

« Pour qu’il y ait à nouveau du paysage, il faudrait retrouver une forme de présence au monde, une qualité d’attention, de regard, d’écoute, un rapport au temps, une disponibilité et une « naïveté » dont il est devenu banal de dire, que nous nous en éloignons de plus en plus. Ce n’est pas ce qui arrive au paysage qui est le plus affligeant, c’est notre indifférence à ce qui lui arrive, comme si nous n’étions pas concernés, comme si cela ne nous arrivait pas aussi. C’est qu’à présent d’autres dieux nous requièrent, en particulier ceux qui vivent dans les images, et le paysage ne sera jamais une image : le paysage est un corps, une partie du grand corps vivant du monde avec lequel nous entrons en contact par tout le corps ; et c’est le corps humain qui rassemblant autour de lui les éléments épars du paysage, en fait un tout ,de même que c’est par le paysage rassemblé que le corps humain se tient dressé au centre de l’espace, fermement debout. Cet ajointement, cet état mutuel du corps humain et du monde qui a été jusqu’à il y a peu la source de presque toute joie de vivre, est aujourd’hui à peu près perdu, et aussi longtemps que cela durera, il y aura peu d’avenir pour le paysage et pour les plaidoyers en faveur du paysage.[p.74…]

Pour revenir au plan institutionnel qui est malgré tout en la matière l’essentiel, une politique soucieuse du paysage devrait accorder une place plus importante à l’éducation à l’environnement et à la citoyenneté, peut être aussi à cette matière négligée qu’est la géographie, afin de donner tant aux jeunes en formation qu’aux adultes citoyens le sens du paysage et de l’esprit du paysage et de le faire apparaitre à tous comme le bien d’une civilisation qu’il est. Mais elle devrait avant tout mettre au pas l’économie libérale et lui imposer des règles strictes en matière de respect de paysages. Ce qui passe par un renforcement de l’autonomie de l’Etat et de ses organes décentralisés, en vue de se donner les moyens d’action, sur les leviers de l’économie, la publicité et les programmes scolaires, afin d’en infléchir les orientations actuellement totalement acquises à l’économie libérale. Comme cela ne signifie rien d’autre qu’une transformation de la société et de ses valeurs dominantes, et à terme du modèle de civilisation qui la porte. On ne doit pas trop y compter, sauf si une catastrophe de grande ampleur y oblige, en sorte que le problème, ainsi qu’il a été dit plus haut, et aussi loin que nos regards nous permettent d’anticiper l’avenir, restera sans solution ![p78]

D’où l’enjeu de la question du paysage, qui est de savoir dans quel monde au juste les hommes souhaitent vivre. Une chose aussi « abstraite » que la préservation de la beauté et du caractère des paysages vaut-elle la peine qu’on s’y arrête ? Actuellement la réponse de la société est non. Engagés dans la fuite en avant du « toujours plus »-de population, de richesse, de croissance, de revenus, de dépense d’énergie, par tête d’habitant, de confort et d’assurances contre tout…nous nous approchons du moment où la peau  nue du monde se révèle ; l’air que l’on respire prend à la gorge, du ciel viennent non plus des dieux mais des avions, les mers se mettent à puer, tandis qu’au sol le travail patient d’une géologie millénaire, qui fit le tracé des fleuves, la courbe des coteaux, la fertilité des humus et l’incroyable  diversité est brutalement bouleversée.

Et malgré cela le crédo demeure et la société libérale est décidément bien belle…[p.78]”Libéralisme et Paysage” – Christian Carle est philosophe. « Libéralisme et paysage »  Editions de la Passion 2003.


4 Replies to “Guinguette et paysage !”

  1. On a tous en mémoire l’ambiance bucolique des guinguettes du XIXe et du début du XXe siècle immortalisée par l’œuvre magistrale de Renoir, “le déjeuner des canotiers” ou encore par de nombreux films anciens qui sont devenus très célèbres par la suite, comme “la belle équipe” avec Jean Gabin, “Gervaise” avec Maria Shell et Jacques Harden, “Casque d’Or” avec Simone Signoret ou encore “Coeur de Lilas” un film de Litvak de 1932, avec André Luguet et Marcelle Romée. Le temps des guinguettes fréquentées par des “julos”, des “Joséphines à la renverse” ou encore des bourgeois en mal de sensation forte qui aimaient s’encanailler en fin de journée, est hélas révolu. Pour votre gouverne, Il est nécessaire de rappeler que la guinguette fut un phénomène urbain, parisien et marnais, qui est né sous le règne de Louis-Philippe et qui a disparu petit à petit dès les années 50-60 avec l’arrivée de la démocratisation de la société de loisirs, au temps où la France heureuse avait un taux de croissance de 5 %, et avec la désindustrialisation lente, mais progressive des périphéries parisiennes. Les guinguettes furent désertées et fermèrent les unes après les autres. Dans une France métamorphosée, qui commençait à être dotée d’un maillage autoroutier et de nationales bien calibrées et bitumées, les clients préférèrent partir pour aller passer leurs vacances dans des stations balnéaires sans âme, à l’instar de la Grande Motte ou de Palavas les Flots, plutôt que de rester le long de la Marne à flâner. En effet, les ouvriers qui travaillaient entre autres dans les usines ou les abattoirs de l’est parisien, à la Villette, Ménilmontant, ou encore Pantin venaient les week-ends se ressourcer à la campagne ou à défaut dans les banlieues vertes les plus proches de la capitale. Que je sache, Langoiran n’est pas une commune dont la composition socio-professionnelle est dominée par les ouvriers métallurgistes, verriers ou tonneliers , je ne pense pas que Langoiran se situe dans les régions septentrionales de la France, au milieu de la « Champagne pouilleuse »
    “Autre temps autres mœurs”, sauf la mauvaise foi qui ne prend aucune ride au cours des siècles. Les seigneuries ont existé à l’époque médiévale et moderne, faut-il pour autant se remettre à construite ex nihilo des donjons à Latresne ou à Saint Loubes ?
    La sémantique du mot “guinguette” a évolué. De nos jours, c’est avant tout un état d’esprit collectif, populaire que l’on trouve encore à titre d’exemple dans certains quartiers de Paris, notamment rue de Lappe, dans le quartier de la “Bas’toche”, où l’on partage, dans un moment de fraternité et de convivialité, un repas, un pot, tout cela agrémenté de danses festives, en chantant des refrains populaires anciens ou modernes.
    La municipalité de Langoiran, dont je fais partie, a choisi de donner à ce futur lieu de convivialité populaire, le nom de guinguette. On aurait très bien pu l’appeler “Le beuglant”, “Le Tripot Gascon”, “La taverne de Long John Silver”, ou encore “Aux Bonnes Ripailles du Roy Noste Henric (III de Navarre). Il fallait bien lui donner un nom, vous en conviendrez ?
    S’agissant du bâtiment, avant de le critiquer la sagesse serait d’attendre. Tant qu’à la verrue, pour reprendre votre expression, vous ne faites que formuler un jugement de valeur, de surcroît hâtif. De quelle beauté parlez-vous ? Celle définit par Aristote ou d’une appréciation d’opposante ?
    Dans ce cas, démolissons « le pont Effel » jadis considéré comme une verrue par nos anciens et bien utile aujourd’hui pour les langoirannais et langoirannaises qui vont travailler à Bordeaux. La future guinguette n’est sans commune mesure avec les proportions du pont célébrant la gloire du fer, si chère à nos capitalistes de la fin du XIXe siècle. Ce qui m’amène à parler des politiques urbanistes catastrophiques menées par bon nombre de communes …. la suite prochainement

  2. Bonjour,

    D’abord je vous remercie pour ce message et je me permets de rajouter à la longue liste d’artistes : peintres, écrivains, cinéastes qui ont « immortalisé » la guinguette, le nom de Van Gogh dont le tableau intitulé précisément « La guinguette » témoigne de la simplicité qu’étaient ces lieux de rencontres et de plaisir au bord de l’eau.
    Votre rappel historique de l’origine du « phénomène urbain, parisien et marnais » intéressera certainement certains lecteurs de ce numéro des Cahiers, mais à mon tour de vous préciser, pour votre gouverne, que vous apportez là toute une approche historico-sociologique dont je pourrais vous entretenir de vive voix car il se trouve que toutes ces années de métamorphoses de notre France (dites aussi les 30 glorieuses) je les ai vécue sur place, à Paris.
    Lorsque vous évoquez « la rue de Lappe » dans le quartier de la « Bas’toche » c’est devenu, comme partout ailleurs dans nos métropole (ex. à Bordeaux le quartier Saint Pierre, les Chartrons etc…), un quartier « gentrifié » fréquenté essentiellement par les « Bo-bos », on est donc bien loin de l’esprit initial de la guinguette !
    Enfin en ce qui concerne le pont de Langoiran (1881) improprement dénommé Pont Eiffel, car construit par l’entreprise Five Lille qui avait remporté l’appel d’offres contrairement à Eiffel, il avait fait l’objet en mars 1878 d’un cahier des charges pour la concession du péage à la commune de Langoiran. La concession était accordée pour trente ans, la commune devant verser annuellement la somme de 12.000 francs en règlement des frais d’emprunt engagés par le département pour la construction du pont. Un tarif de péage extrêmement complexe avait été mis en place de façon à pouvoir répondre à ce règlement. En 1885, le préfet avait fait état des déficits annuels constants auprès de la ville de Langoiran laquelle avait répondu qu’il lui était impossible de payer suite à l’amoindrissement de ses recettes compte tenu de l’invasion du phylloxera et de ses conséquences sur les marchés. Il est donc vraisemblable que la grogne des Langoirannais de l’époque était surtout motivée par cette histoire d’argent que par l’architecture de l’ouvrage.
    Aujourd’hui le pont fait heureusement partie intégrante de la Garonne et de plus participe à l’image de Langoiran, on ne saurait donc avoir l’impudence de comparer cette « future guinguette démontable » à cet ouvrage d’art. Par contre cela nous ramène à la perception d’un paysage. Celle-ci est tout à fait subjective selon les individus et la nature du paysage selon qu’il est « grand » ou « quotidien » telle l’échappée belle de la Garonne au Tourne et Langoiran. Un paysage c’est « Regarder-Voir » et par conséquent il y aura le regard des indifférents, celui des esthètes, celui des accros à la nature …(la liste est loin d’être exhaustive) et celui des élus qui ne voient souvent dans un paysage qu’un espace à aménager pour le plus grand bien du bon peuple à qui on ne demandera pas son avis, car l’élu sait puisqu’il est élu, ce qui peut faire le bonheur des administrés, avec toutefois, souvent, une arrière pensée pour sa future réélection. Et c’est comme cela que depuis des décennies, « le Moche » a envahi notre beau pays et je précise avec une constance sans égale dans nombre de pays européens qui nous entourent ! Colette Lièvre.

  3. ….moi je préférais la grue de Tonton Caillou et j’avoue que je crains le pire, mais sans doute suis je un pervers nostalgique….

  4. Guinguette en effet éveille en moi émotion et émoi : Jean Gabin et son “dimanche au bord de l’eau ” la lumière inégalée pour moi du film “Casque d’Or” ! Sans les avoir connues, j’en imagine le charme et même le parfum , celui de la rivière , des grillades de poisson et aussi le froufrou des jupons et des beaux habits ! Guinguette : bel écrin pour tout cela ! pour autant quel est le bijou qu’il renferme ? Car il ne fait pas le bijou ! Je me souviens de ma goguenardise à la vue des constructions anarchiques connues dans ma jeunesse , je ne sais par quel instinct ma méfiance était immédiate devant les panneaux “la Métairie” “L’orée du bois” ou autres jolis noms tirés de notre imaginaire , c’étaient de beaux écrins pour de bien vilains bijoux !! La suite l’a prouvé ! Je suis un brin nostalgique mais enfin je n’ai pas la naïveté de penser que cela a d’abord un souci d’esthétisme mais plutôt un projet lucratif ! Cela n’est pas interdit ni même si mal mais on est à un tournant ! le lucratif nous mène à la mort jamais on ne l’a autant su qu’en ce moment ! Tout va être à revoir , avec un seul souci : la survie ! des êtres et donc des lieux ! tout va être aussi à réinventer les loisirs comme les modes alimentaires ! Peut-être faut-il y voir un peu plus clair ! L’après confinement devrait être l’heure de la réflexion en toute chose et surtout pas celle de la précipitation que ce soit la mobilité des gens ou la mise en place de projets.

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