Jean-Joseph Lataste, le Bienheureux.

Posté le 05/09/2012 dans Les Gens d’ici.

Les hasards du calendrier font qu’en cette année 2012, deux communes de la rive droite de la Garonne, à quelques kilomètres l’une de l’autre, fêtent des évènements cultuels tout à fait exceptionnels.

Verdelais, le 900ème anniversaire de sa naissance, dont les petits Cahiers (n°103 et n°104) se sont fait l’écho, et Cadillac sur Garonne, les 29 et 30 septembre prochains avec la reconnaissance d’ un enfant du pays, béatifié par le pape Benoît XVI : le dominicain Jean-Joseph Lataste (1832-1869), apôtre des prisons et fondateur des Dominicaines de Béthanie.

Le destin de ce dernier est étroitement lié à celui de l’histoire de la ville non pas simplement du fait qu’il y ait vu le jour le 5 septembre1832 mais plus particulièrement à celle de son château,. En effet, le château de Cadillac, dit des Ducs d’Epernon, édifié au début du XVIIème siècle, incarnant alors la toute puissance de Jean-Louis Nogaret de la Valette, premier duc d’Epernon, cadet de Gascogne, favori d’Henri II, fut ensuit fortement marqué par plus de cent ans d’occupation carcérale du début du XIXème siècle aux années 1950. Plus particulièrement d’avril 1822 à décembre 1890 en tant que « Maison de Force et de correction » pour femmes. Ce sera la rencontre du dominicain avec ces femmes détenues qui déterminera le projet de leur réhabilitation et l’œuvre à laquelle il consacrera toute son énergie jusqu’à sa mort survenue dans sa trente septième année !

L’œuvre du Bienheureux Père Lataste.

Alcide Lataste est né à Cadillac sur Gironde le 5 septembre 1832, dans une famille de six enfants. Si son père n’était pas particulièrement attaché à la religion, il laissa toutefois le soin de l’éducation religieuse des enfants à son épouse qui leur inculqua la foi et les valeurs catholiques. Une de ses filles deviendra également religieuse.

Le jeune Alcide après des études secondaires, travaille pendant quelques années comme contrôleur des impôts dans plusieurs villes : Privas, Pau, Nérac. Il rencontre alors une jeune fille Cécile de Saint-Germain avec laquelle il envisage de se marier, mais son père s’oppose à cette union, le trouvant trop jeune pour s’engager. L’année suivante la jeune femme meurt (vraisemblablement de tuberculose) et le jeune homme, à vingt cinq ans, entre au noviciat dominicain de Flavigny, le 4 novembre 1857.  Il est vrai que pendant les années précédentes il avait eu l’occasion de découvrir au sein des Conférences de Saint Vincent de Paul initiées par le Bienheureux Frédéric Ozanam, une vie fraternelle tournée vers les plus pauvres, marquée par la prière commune et l’eucharistie.

De santé fragile, ses premières années dominicaines sont perturbées par la maladie qui va le tenir un peu à l’écart des activités des autres frères.  En 1860, il se trouve au couvent de Saint Maximin et à l’occasion du transfert des reliques de sainte Marie-Madeleine il ressent une émotion spirituelle intense qui lui fera dire : « Baisant cette tête autrefois avilie, aujourd’hui sacrée, je me disais : il est donc vrai que les plus grands pêcheurs, les plus grandes pécheresses ont en eux ce qui fait les plus grands saints ; qui sait s’ils ne le deviendront pas un jour… »

Le 8 février 1863 il est ordonné prêtre et assigné au couvent des Dominicains de Bordeaux.

L’année suivante, au mois de septembre, il est envoyé dans sa ville natale pour prêcher une retraite aux détenues de la Maison de force et de correction du château de Cadillac. La retraite était alors un exercice religieux fréquent dans les centrales françaises et considéré comme le meilleur facteur de moralisation des détenus. Malgré tout ce qu’il a pu entendre dans sa jeunesse sur ces femmes, sur leurs crimes, il s’adresse à elles avec humanité, dès le premier jour, en les appelant « mes chères sœurs » en insistant sur ce lien de fraternité qui l’unit à son auditoire à travers le Christ. Lors des confessions, le prédicateur découvre que de nombreuses détenues mènent une vie de prières et souhaitent se donner à Dieu. Priant avec elles devant le Saint – Sacrement, il est ému par la dévotion et l’assiduité à la prière qu’elles témoignent malgré les journées de travail harassantes qu’elles mènent dans le même temps. C’est alors qu’il conçoit l’idée d’un projet de réhabilitation pour celles qui le souhaiteraient, après qu’elles aient purgé leur peine en ouvrant pour elles les portes de la vie religieuse contemplative, en créant un ordre affilié à celui des dominicaines. Il va se heurter aux réticences du clergé dont celles de l’évêque de Bordeaux. Il est vrai que jusqu’alors, ne pouvait entrer dans les ordres que des personnes ayant eu auparavant une existence sans tache.

Durant l’été 1865, l’Ordre dominicain restaure la Province de  Toulouse, mais le père Jean-Joseph Lataste préfère rester au sein de la Province dominicaine de France,( officiellement rétablie en l850), et ce par fidélité au père Dominique Lacordaire(1802-1861) qui avait œuvré pour rétablir en France l’ordre des Prêcheurs dominicains supprimé à la Révolution en 1790. Le père Lataste est alors nommé père – maître des frères étudiants au couvent de Flavigny, mais avant de prendre cette charge, il revient, en septembre 1865, pour mener une nouvelle retraite auprès des détenues de Cadillac. Il les retrouve restées fidèles aux orientations spirituelles qu’il leur avait assignées à savoir : offrir leur vie quotidienne en prison à Dieu à l’image des moniales. A la fin de cette retraite, il prêche avec enthousiasme : « Ici, j’ai vu des merveilles ! » faisant ainsi un parallèle avec l’expression employée par Catherine de Sienne au sortir de l’extase ! Dès lors il va s’engager  plus avant dans la réalisation de son projet. En mars 1866, il va publier une brochure intitulée : « Les réhabilitées » qu’il envoie aux députés et à de nombreux journalistes afin d’essayer de faire évoluer l’opinion publique  à l’égard des femmes sortant de prison, faisant valoir que la récidive de beaucoup d’entre elles était essentiellement due au fait qu’elles ne pouvaient se réinsérer dans la société, personne ne leur faisant confiance ! « Oui, écrit-il, toutes ces femmes ont été des criminelles ; et vous jugez qu’elles le sont encore : vous vous trompez. Il en est- et plus qu’on ne saurait le croire- il en est que vous entoureriez de respect, que vous estimeriez des âmes d’élite et des saintes aujourd’hui, si, comme d’autres, elles pouvaient couvrir d’un voile impénétrable les hontes de leur passé. » Avec la création de la Fondation de la Maison de Béthanie, il  entend ne pas se limiter à offrir la vie religieuse aux détenues qui le souhaiteraient, mais aussi faire évoluer les mentalités et l’opinion publique. Le 14 août 1866, le père Lataste peut fonder la première Maison de Béthanie aidée en cela par Mère Henri- Dominique qui s’est très vite engagée à ses côtés pour soutenir ce projet jugé utopique au départ. Mais cette nouvelle communauté connaît rapidement de grandes difficultés en particulier parce qu’elle fait l’objet de réticences, de méfiance, de rejet au sein même de la vie religieuse. Le père Lataste se dévoue sans compter pour défendre « ses chères sœurs », poursuit ses prédications mais est rapidement rejoint par la maladie : la tuberculose pulmonaire l’atteint à partir du carême 1868. Un an plus tard, le 10 mars 1869 il meurt à la Maison de Béthanie de Fresnes-  le- Château. L’année suivante son corps est transféré au couvent des sœurs de Béthanie de Montferrand- le- Château (Doubs).

Les Maisons de Béthanie.

Faisant partie de l’ordre des dominicaines, les Maisons de Béthanie recevaient les détenues ayant purgé leurs peines et souhaitant venir s’y retirer. Après une période de probation de cinq ans, ces femmes pouvaient, si elles le désiraient, entrer en religion et suivre le cursus normal pour devenir dominicaines. Dans la suite de leur histoire, les sœurs de Béthanie ont rapidement commencé à visiter les prisons de femmes et ce dès 1870. Aujourd’hui, en France elles sont toujours présentes à la centrale de Rennes et à la prison de Fleury-Mérogis.

La première guerre mondiale a entraîné la naissance d’une deuxième congrégation de dominicaines de Béthanie, les sœurs de Béthanie-Venio, à l’époque, essentiellement composée de sœurs d’origine allemande ou néerlandaise.  Aujourd’hui, la congrégation est présente dans plusieurs pays de l’Europe centrale et l’Europe du Nord. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, à la suite de la demande pressante d’un évêque, elles ont pris en charge des enfants orphelins en créant des villages d’enfants dont elles assument toujours la charge.

Aux États-Unis.

Dans une prison d’homme située à Norfolk, près de Boston, il y a une douzaine d’années, une fraternité laïque dominicaine a été fondée par des détenus, s’inspirant du projet de Béthanie. Ils avaient entendu parler de l’histoire du père Jean-Joseph Lataste. Plusieurs dizaines d’entre eux sont engagés dans une vie de prière et d’annonce de l’évangile à la suite de saint Dominique.

En Argentine.

Des frères dominicains ont fondé un foyer d’accueil pour des femmes sortant de la prostitution et lui ont tout naturellement donné le nom du père Lataste, faisant leur, peut-être, une des phrases du Bienheureux « Oui, elles furent coupables mais Dieu ne nous demande pas ce que nous fûmes, il n’est touché que de ce que nous sommes ». C.L.

 


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