Le Château de Cadillac

Posté le 05/09/2012 dans Histoire.

« Maison Centrale de force et de correction pour femmes »

1822.1890.

La résidence ducale, édifiée au début du XVIIème siècle qu’est le château de Cadillac, est l’un des premiers exemples de l’architecture à la française et répond à l’ambition de Jean-Louis de Nogaret de la Valette, premier duc d’Epernon. Cet homme, riche, puissant, devenu l’un des favoris du roi Henri III, qui amassa les honneurs, n’en finit pas moins en disgrâce sous le règne de Louis XIII. Son château, dont la construction et l’aménagement intérieur lui coûtèrent des sommes considérables, considéré comme un chef d’œuvre, suscite l’admiration ainsi qu’en témoigne les récits descriptifs des visiteurs de l’époque.

Ainsi J.d’Welles en 1630 [1] « …soixante chambres à coucher sont construites amplement, magnifiquement et ornées de monuments variés. Ies cheminées sont bâties en marbre divers, lesquelles, si elles sont décorées selon la mode, inférieurement peintes et ciselées au mieux, elles ne peuvent cependant le céder à aucune autre en France. Les perrons des salles se montrent aux observateurs, en partie, tendues de précieuses et artistiques tapisseries, en partie, d’habiles peintures dessinées de leur vivant par les plus brillants et célèbres peintres. Les sièges et les bancs, les lits et leurs courtepointes et tous les autres ornements si artistiquement exécutés et au prix d’un si grand labeur et d’une dépense non moins grande provoquent l’admiration des spectateurs. On peut atteindre l’étage supérieur par un escalier dont les degrés tournants ont été taillés avec un art et une adresse tels que l’on peut apercevoir par le noyau creux tout l’ensemble de la base au sommet. Le château se décore également d’une chapelle. ».

La destinée de ce chef d’œuvre, considéré comme le deuxième plus beau château de France après Le Louvre, ne présageait pas que deux siècles plus tard l’édifice serait fortement marqué par cent ans d’occupation carcérale. Il est vrai qu’auparavant il avait déjà eu à subir les vicissitudes de l’histoire au gré des successions et des mises en vente ; le château subira des dégradations irréversibles comme le démantèlement pierre à pierre des deux pavillons d’ailes dont celui qui contient la chapelle ducale. Le propriétaire d’alors, prétextant l’importance démesurée des frais d’entretien. Puis ce fut le temps de la Révolution et ses outrages. Le château sera vilipendé, vandalisé, dépouillé de tous ses ornements et finira par être déclaré « bien national » en 1792, il est vrai que l’on est sans nouvelle du dernier propriétaire Amable Charles Louis de Preissac qui a probablement émigré. Celui-ci profitera de la loi d’amnistie d’octobre 1800 pour réapparaître et obtenir le 30 octobre 1807 un certificat d’amnistie et un mois plus tard le préfet de la Gironde répondra favorablement à sa demande en prenant un arrêté en date du 2 décembre stipulant : « Vu la pétition présentée par le sieur Amable Charles de Preissac amnistié pour fait d’immigration, tendant à obtenir la main levée de l’ancien château de Cadillac,…ainsi que le tout des biens invendus situés dans le département » La main levée est accordée[2].Le château n’en sera pas sauvé pour autant ; son délabrement est tel et le comte de Preissac n’a pas les moyens de sa réhabilitation !

Nul ne sait alors quel fonctionnaire girondin ou autre conçoit l’idée de faire racheter le château par la puissance publique afin de l’aménager ensuite en prison pour femmes ?  Le préfet est favorable au projet, transmet la proposition au  ministre de la Justice, pair de France Laisné  qui se trouve être un Girondin et ancien président du district de Cadillac. L’affaire est vite conclue, le 24 février 1818 une ordonnance royale paraît autorisant l’achat du château. La vente aura lieu effectivement en septembre 1818. Cette acquisition par l’Etat entrait en concordance avec celle de la politique des comportements et des mentalités : « …La société pour l’amélioration des prisons est née en 1818 sous la Restauration- La philosophie des Lumières mécontente, à tout le moins insatisfaite de la Création avait entrepris de réformer la nature humaine – nos prisons sont l’œuvre de la philosophie émancipatrice du XVIII ème siècle… » (Chronique de Guy Poulon. Conseiller à la Cour de Paris, ancien magistrat de l’Administration pénitentiaire, parue dans la Gazette du Palais du 31 octobre 1976).

L’architecte bordelais PA  Poitevin va avoir pour mission de réaménager tous les espaces, à tous les niveaux pour répondre aux exigences  carcérales. Tous les appartements vont avoir leurs ouvertures occultées et vont être transformés en infirmerie, chapelle et dortoirs. Les sous-sol seront dévolus aux réfectoires et aux cachots, les ailes en retour abriteront l’une l’administration pénitentiaire, l’autre les ateliers de travail pour ces « filles perdues » soumises à l’abandon, la perte d’identité, la déchéance et à une règle pénitentiaire de travail forcé, de silence, de prière obligée et d’absence d’espoir en l’avenir, cela avec des conditions matérielles et sanitaires déplorables. Par exemple, il semble qu’il n’y ait que sept lieux d’aisances alors que trois cent soixante femmes vont être installées dans cette prison en 1922.   Le chiffre sera de quatre cent soixante dix huit en 1884, l’effectif étant fonction des décisions de justice prises selon le temps politique ambiant !

Le règlement de fonctionnement de la prison établi le 28 mars 1822, stipule les règles de vie des détenues :

« Au premier coup de cloche du matin, les détenues se lèveront et s’habilleront en silence,  elles secoueront leurs effets du coucher et les dresseront, ensuite  chaque détenue se tiendra debout au pied de son lit pour répondre à l’appel et participer à la prière qui sera récitée par celle que le directeur désignera dans chaque dortoir. Au second coup de cloche, les détenues sortiront des dortoirs et feront le service de propreté selon l’ordre et les besoin de l’établissement ensuite elles se rendront dans les ateliers.  Lorsque la dernière cloche du soir sonnera, les détenus se rendront en bon ordre et en silence dans les dortoirs, chacune debout devant son lit répondra à l’appel et entendra la prière après quoi elles se coucheront. Les dortoirs fermés le plus grand silence doit régner, celles qui se permettront de parler, de chanter ou crier seront punies. Il ne sera permis d’appeler qu’en cas de maladie. L’heure du lever est fixé à quatre heures en été, six en hiver. L’heure du coucher est fixée à neuf heures, elle doit coïncider avec le service. »

Les rations alimentaires sont loin de pouvoir couvrir les besoins nutritionnels nécessaires, d’autant plus que ces prisonnières sont astreintes à un travail. A l’exception des malades, infirmes et femmes affectées au service intérieur, toutes les prisonnières travaillent à divers travaux de couture à la main, mécanique, amidonnage, repassage, filature, ganterie, tissage, tricot, broderie, tonte de peaux pour la chapellerie et ce pour le compte d’entrepreneurs extérieurs et toujours dans le silence. Il est certain que la règle la plus pénible à observer pour toutes ces femmes aura été celle du silence absolu et permanent ! Ces conditions de détention particulièrement dures feront que la Maison de force et de correction des femmes de Cadillac aura le triste privilège de compter l’un des plus importants nombres de décès de l’ensemble des maisons de femmes. En 1864 il s’élèvera, pour cette seule année, à trente quatre ; à vingt trois pour 1865 et vingt neuf en1866, alors que les effectifs sont compris entre trois cent cinquante et quatre cents.

La Maison de force et de correction de Cadillac fermera ses portes le 27 décembre 1890.

Cependant six mois après sa fermeture, soit le ler juin 1891, le château va recevoir un premier convoi de transfèrement de fillettes « délinquantes » mineures, âgées de 9 ans à 15 ans ! Ce sera les prémices de ce qui deviendra par la suite, en 1905, « L’école de préservation pour les jeunes filles » dont le régime répressif fut d’autant plus terrible que cette fois il concernait des enfants et adolescentes.  Cette institution fonctionna pendant plus de soixante ans et ne fut fermée définitivement que le 10 septembre 1952.

En 1954,  le château de Cadillac fut transféré au ministère de la culture et de la communication, ouvert au public par le Centre des monuments qui l’a reçu en dotation en 2007. Il a été restauré et sa valorisation mobilière, toujours en cours, permet aujourd’hui de se faire une idée de sa splendeur passée : de son riche décor subsiste encore lambris et plafonds peints, ainsi que les somptueuses cheminées monumentales de marbre et de pierre sculptée.

Le visiteur admiratif ne manquera pas d’avoir une pensée pour toutes ces femmes, enfants, jeunes filles qui vécurent là de nombreuses années dans le désespoir,  avant souvent d’y mourir. Peut- être que leurs fantômes côtoient ceux des Nobles de ce monde qui ont fait la Grande histoire et rodent chaque nuit, cette fois en toute liberté pour toute l’éternité. Allez donc savoir ?

Colette Lièvre.

Sources : cet article est largement inspiré par l’ouvrage  écrit par Norbert Pouvereau « Les Blessures du château de Cadillac » édité par l’Association Saint –  Blaise en 1999.

Remerciements à Madame Françoise Henry-Morlier, administratrice du Château de Cadillac, de l’Abbaye de la Sauve Majeure et de la Flèche Pey Berland à Bordeaux, pour sa  grande disponibilité et son aide.

Repères :

Château de Cadillac, monument national. Centre des monuments nationaux 33410 Cadillac –tél : 05.56.62.69.58.

Horaires d’ouverture (sous réserve de modifications) Octobre à mai : de 10h à 12h30 et de 14h à 17h30 du mardi au dimanche Fermeture hebdomadaire le lundi.

Juin à septembre : ouvert tous les jours de 10h00 à 13h15 et de 14h à 18 heures. Entrée libre et gratuite le ler dimanche de chaque mois.

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[1] Auteur de « Cadillacum. Vernacule Cadillac » op.cit.p.54

[2] Archives de la Gironde. Dossier Y 88Le Château de Cadillac


4 Replies to “Le Château de Cadillac”

  1. bonjour Colette. Merci beaucoup pour ton site qui est trés intéréssant. J’ai commencé a le lire ainsi que Michel. Ton article sur le chateau de Cadillac m’a beaucoup plu et je vais essayer de trouver un livre sur cet emprisonnement carcéral dont les conditions etaient horribles. Cela me fait penser a un film dont le titre m’échappe et qui relatait les conditions similaires. Bisous

  2. LOL Des fantômes de ces femmes incarcérés 200 0 300 ans plus tard avec ceux des nobles ayant habité le château, se baladant ensembles en toute liberté …. Colette arrête donc la moquette. Hormis cela, votre article sur son histoire est intéressant, léger et suffisamment détaillé pour en connaitre son parcours dans ses grandes lignes. Etant à la recherche de mes lointains ancêtres, je suis bien contente, que ce château n’est rien a voir avec notre famille ! Salutations cordiales Colette Lièvre de Bandol. Mlle CADILLAC Céline , dernière de la branche des Cadillac d’ Auvergne.

  3. J’aimerais essayer de trouver le livre où l’article <> écrit par Norbert pouvereau>> .J’attends une réponse. Avec mes remerciements.
    Soeur marie Aimée de Jésus/Dominicaines de Béthanie

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