La Cataplana des amours lisboètes

Posté le 15/01/2015 dans Les recettes d'Oncle Phil.

C. avait du poireau le parfum subtilement acidulé, la blancheur et la tendresse étroitement limitée à la zone médiane qui sépare le nœud racinaire du premier vert des feuilles. Le poireau n’avait pas de C. les petites tâches de rousseur particulièrement denses à l’intérieur des cuisses mais, une fois étendues sur le fond de la Cataplana, il suffirait de mouliner quelques grains de poivre blond pour les évoquer.
Il était autrement plus difficile de trouver une espèce comestible susceptible de coller au souvenir de B., coriace et admirablement musclée, dont la peau brune exsudait dans les après-midi étouffantes de l’été lisboète un mucus qui transformait nos ébats en une exquise variante de massage thaïlandais. Bien sûr, j’avais pensé à la lamproie, mais les mœurs sexuelles déplorables de cet agnathe et la ventouse cornée qui lui tenait lieu de lèvres interdisaient toute assimilation de l’ignoble animal avec la voluptueuse, B. Le saumon au corps luisant et vigoureux était décidément mieux adapté à l’image que je garderai de la silhouette longiligne que laissait deviner la lumière filtrée des persiennes du 27 de la rua de Sao Mameda. Le saumon tiendrait donc lieu de B.
Restait à trouver l’allégorie comestible de V., susceptible qui plus est de faire bon ménage avec poireau et saumon dans la coque surchauffée de la Cataplana. Celle-ci ne pourrait que lui rappeler notre première (et dernière) biblique rencontre sur la banquette arrière de la Mercedes 190SL 1956 qui avait malencontreusement, un 10 juin, jour de fête nationale, coulé une bielle au détour d’une courbe de la route qui conduit à Marvao. Nous avions patiemment attendu – en occupations diverses et en étanchant notre soif à grands renforts d’oranges que je trimballais toujours par sacs entiers – que les dépanneurs reprennent le travail. Sans ce 10 juin torride, il est vraisemblable que je n’aurais jamais connu de V. que les œillades assassines et les colères froides suscitées par mon irrépressible ardeur à aiguiser une jalousie universelle. Les vertus émollientes d’une alimentation à base exclusive d’agrumes chauffés par le soleil de juillet furent sans doute la cause de cette brève et mémorable crise de sensualité : un zeste d’orange serait donc en définitive assez adapté à réveiller chez V. le souvenir de ce 10 juin 1982.

Réunir V C. et B autour d’une Cataplana et d’un flacon de Fernao Pires pour mes adieux à Lisbonne ne fut pas une mince affaire. Leur amitié éclose dans une commune sympathie pour le jeune stagiaire de la fondation Gulbenkian avait été momentanément mise à mal par l’inconstance typiquement française du même stagiaire. C. se plongea dans la lecture des Lettres portugaises que je lui avait offert pour policer son français, dans la très la belle édition de 1926 de Crés et cie illustrée de bois gravés de P.E Vibert, dénichée à la Feira da Ladra. B. me présenta tour à tour cinq ou six inquiétantes merveilles dénichées au cours de hardies prospections Cova de Moura pour me signifier ma convenable inconsistance. V. organisa un boycott du 27 de la rua de Sao Mameda qui raréfia les rencontres entre mes trois grâces lisboètes. Il me fallut implorer et invoquer la prégnante nécessité d’obtenir, par ce dîner d’adieu, une absolution plénière qu’elles ne pouvaient refuser au pauvre pêcheur pour obtenir qu’elles vinssent toutes trois déguster la « Cataplana des amours lisboètes » créée en hommage à leurs si diverses beautés.
Le dîner tourna vite à la catastrophe. V., arrivée la première, n’appréciait pas que le Coca Cola (elle ne buvait jamais de vin) fut chambré. Elle accueillit C. avec d’acerbes et pervers compliments sur sa petite robe – il est vrai trop courte et outrageusement décolletée –, avant d’entrer dans un mutisme total qui parut d’autant plus long que B. arriva avec une bonne heure de retard, accompagnée d’un sigisbée aux borborygmes agressifs répondant au doux nom d’Eusebio. La cataplana n’avait pas su attendre, le poireau avait noirci, le saumon séché et un vague parfum d’orange se mêlait aux effluves du Fernao Pires. Je dus descendre en catastrophe acheter à A Tasquinha une caldeirada qu’engloutit goulûment, entre deux joints, le mutique Eusebio.
Je ne revis jamais V.- B. répondit une fois à un message que je laissais sur son répondeur lors d’un bref séjour à Lisbonne. C. me tient régulièrement au courant de ses avatars conjugaux.
Depuis lors J’ai considérablement amélioré et adapté au vin de bordeaux la recette de la Cataplana des amours lisboètes.
Ingrédients
300g de blanc de poireau
300g de saumon fumé
Une orange
20 cl de Cadillac
Sel –selon sapidité du saumon-, poivre blond, un soupçon de gingembre frais
Préparation et cuisson (pour 6 personnes)
Prenez une cataplana (récipient de cuivre étamé composé de deux valves en portion de sphère articulées par une charnière qui permet de les dissocier et pourvue de deux poignées faisant office de verrou lors de la cuisson) ou, à défaut, une cocotte de fonte allant au four.
Emincer le blanc de six poireaux de taille moyenne, le faire suer avec un peu d’huile d’olive dans la cataplana (ou dans une sauteuse), le réserver.
Garnir le fond de la cataplana avec le tiers des poireaux émincés, donner trois tours de moulin à poivre (blond) et râper un zeste d’orange sur cette première couche de poireaux.
Effiler le poids équivalent de saumon fumé et le répartir également sur la couche de poireau, râper un soupçon de gingembre frais.
Répéter deux fois l’opération de manière à obtenir trois couches de poireaux (avec poivre et zeste d’orange) et trois couches de saumon.
Garnir la dernière couche de saumon de fines lamelles d’oranges et de fines lamelles d’un poireau que vous aurez réservé à cet usage
Mouiller d’un verre de vin blanc liquoreux
Refermer la cataplana, cuire à feu doux (150) 45 minutes


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