La Rue du Cul de Plomb

Posté le 24/09/2014 dans Le feuilleton.

Chapitre 17.
Les vacances terminées, naturellement l’école a repris avec ses petits bonheurs quotidiens. La joie de retrouver Herr Müller qui de temps en temps décide de quitter l’école avec sa classe de gamines pour les conduire à travers quelques champs enneigés découvrir et apprendre à reconnaître les empreintes que les animaux ont tracés dans la neige vierge. Celles légères et géométriques des pattes d’oiseaux qui ressemblent à quelques signes d’écriture, celles plus profondes et appuyées des sabots des cervidés si nombreux dans les bois environnants, celles des coussinets délicats des petits mammifères, lapins ou lièvres, marmottes et autres. Toutes s’entrecroisent en de subtils itinéraires empruntés par tout ce monde animalier vaquant à ses occupations.
Les enfants repèrent, dessinent sur leurs carnets ce qu’ils voient, ignorant qu’ils préparent déjà la prochaine leçon de sciences naturelles au cours de laquelle Herr Müller leur racontera : « La merveilleuse histoire du lapin blanc qui avait pour amie la corneille noire » ou encore : « Comment la biche a retrouvé son faon grâce aux empreintes qu’il avait laissé derrière lui… » Chaque jour Herr Müller a une nouvelle histoire pour expliquer, quel que soit le sujet de la leçon, par exemple : « Pourquoi la lettre V est jalouse de la lettre W ?… Pourquoi le b tourne le dos à la lettre d ? » Et c’est ainsi que Ruthly, Gaby, Zélie et les autres apprennent à compter, lire et écrire, à observer, à se poser des questions et à adorer un peu plus Herr Müller avec sa grosse voix, ses grandes moustaches et ses gros mollets de skieur de fond !
Pâques est arrivé d’un coup, comme cela sans en avoir l’air ; il est vrai que l’hiver est toujours là. C’est sous de véritables bourrasques de neige que les fidèles se sont rendus, tout emmitouflés à la messe pascale. Et maintenant dans l’église, ils fondent, dégouttent en flaques d’eau qui stagnent entre leurs pieds comme s’ils avaient fait pipi, ce qui fait glousser de rire Zélie et Gaby malgré les gros yeux que leur fait Mamie Anna qui leur enjoint de se taire. Cela leur a valu, de retour à la maison une punition : celle de ne pouvoir aller à la recherche des œufs qu’après avoir fait une ou deux prières de repentance. Les prières vite expédiées, le repentir vite oublié, les fillettes munies d’un panier ont fouillé la maison poussant des cris de joie lorsqu’elles découvrent un œuf, un poussin, un lapin enrubannées en chocolat, en sucre ou en nougat ! Et puis on a frappé à la porte et…Robert est entré avec un « énorme paquet » qu’il avait, dit-il, trouvé sur le paillasson. L’excitation est à son comble pour Gaby et Zélie qui n’en finissent plus avec l’emballage : ficelle, papier, puis un premier carton, dedans un second plus petit, encore un troisième et enfin une boîte enrubannée qu’elles extirpent avec précaution et que finalement elles n’osent plus ouvrir. « Alors les filles, on ferme les yeux, et vous les ouvrirez quand je vous le dirai, je m’en occupe » ! Les paupières closes, elles entendant le froufrou du ruban que Robert dénoue, le papier de soie froissé et finalement sa voix « Mesdemoiselles c’est à vous ! » Que voient-elles ? Une magnifique cloche sculptée, en chocolat qui s’ouvre laissant apparaître une boîte en bois décorée qui s’avère être une boîte à musique. Mise en route, celle-ci tintinnabule, carillonne ; sonnailles, grelots, clochettes, et cloches concertent allégrement sur des airs de musique inconnus de Zélie. Ensuite, il ne fut plus de soir sans que Gaby et Zélie n’écoutent en boucle leur concerto de cloches jusqu’à ce que le sommeil prenne le relais.
Quelques jours après, brusquement le temps a changé ; s’il fait encore froid, cependant, il ne neige plus ; celle-ci fond et coule en rigole d’eau sale sur la chaussée. Petit à petit l’herbe réapparait, en taches jaunies entre d’irréductibles plaques de neige. Le ciel se dégage, il semble remonter pour laisser voir à nouveau les sommets enneigés des hautes montagnes qui brillent sous le soleil. Finies les glissages, les batailles de boules de neige, rangés les luges et les skis ; les gamins sur le chemin de l’école trempent leurs grosses chaussures dans les flaques d’eau ; on est dans un entre deux ! C’est à peu près à ce moment là, qu’un matin au petit déjeuner Mamie Anna a annoncé « Le printemps est là ! » Le cœur de Zélie s’est mis à battre, le printemps est là et Robert ne lui a-t-il pas promis : « Au printemps, je t’emmènerai dans la grande montagne ! » Impatiente, il lui a fallu patienter encore plusieurs semaines. Le printemps dans la vallée du lac de Constance n’est pas encore celui des grandes montagnes !
Mais ici, oui le printemps est vraiment là ! Le petit funiculaire qui relie Reineck au canton d’Appenzell, situé juste au dessus sur les plateaux collinaires a repris du service. C’est l’occasion pour Herr Müller de poursuivre sa pédagogie de terrain et d’emmener toute la classe à la découverte de ce nouveau territoire.
Le petit canton d’Appenzell est une enclave dans celui de Saint-Gall beaucoup plus important Une de ses lisières surplombe et jouxte l’espace communal de Rheineck ce qui explique qu’il faille à peine quinze minutes avec le petit funiculaire pour se rendre jusqu’à Walzenhausen (canton d’Appenzell-Rhodes extérieures) Les deux villes malgré leur grande proximité sont tout à fait dissemblables : le style des chalets, l’économie locale donc le mode de vie des habitants, tout est différent. En quelques minutes pour le voyageur c’est un véritable dépaysement. Quittant la vallée du lac de Constance il se retrouve dans un paysage vallonné celui des Préalpes alpenzelloises voué à une économie en grande partie pastorale. En ce printemps naissant les nombreux troupeaux de vaches, qui ne sont pas encore partis dans les alpages, broutent des champs quasiment d’un vert émeraude, ajoutant au charme de cette campagne.
Evidemment, Zélie ne sait pas tout cela, du moins pas encore ; comme l’ensemble de sa classe elle est curieuse de voir des choses nouvelles durant une journée entière. Herr Müller ne leur a-t-il pas promis qu’elles visiteraient une ferme, une laiterie, une fromagerie ; qu’elles piqueniqueraient dans la forêt…C’est au cours de cette journée que Zélie a vu avec étonnement que les vaches d’Appenzell ne ressemblaient pas du tout à celles du village d’Augustine. Elles étaient plus petites avec une jolie robe beige bien propre, des cornes et des sabots qui paraissent cirés et de grands yeux ornés de cernes noirs comme s’ils avaient été maquillés. Les fermes, les écuries, les étables, rien ne ressemblait à ce que Zélie connaissait : tout était si propre, si clair, tout paraissait si neuf alors que le fermier expliquait que sa famille et lui étaient les descendants de plusieurs générations qui avaient toujours vécu et exploité la propriété.
Zélie n’en finit pas de poser des questions à Herr Müller : « Et pourquoi c’est comme ça ici et pas comme ça en France ? » Herr Müller lui explique qu’en France c’est la guerre, alors qu’en Suisse il n’y a pas eu la guerre depuis bien longtemps, mais c’est peut être ce jour là aussi que la petite fille a compris que le monde n’était pas partout pareil !
Déjà, elle avait bien vu les différences qui existaient entre la maison de mamie Anna et celle si petite et pauvre d’Augustine, mais aussi entre les si beaux cadeaux qu’elle recevait de Robert et les « petits riens » qui lui avaient été offerts auparavant : une orange, un petit sac de bonbons…
Ce soir là, dans son lit, elle se remémore cette magnifique journée passée où elle a tant vu et tant appris. Elle s’interroge toujours et voudrait bien en parler avec Gaby, mais Gaby ne se pose pas de question…elle dort déjà !
(A Suivre)

 

 


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *