La rue du Cul de plomb

Posté le 18/05/2013 dans Le feuilleton.

 

Chapitre 9. ..Trois jours ! Il leur a fallu trois jours pour parcourir la distance de Tours à Niort !

La fillette est assise dans un coin d’une salle qui lui paraît immense. Silencieuse…on n’a plus besoin de lui dire de se tenir tranquille ; elle sait maintenant qu’il ne faut surtout pas se faire remarquer, bouger le moins possible, se dissoudre dans la transparence des regards qui ne la voient pas car nul ne fait attention à elle. Elle est assise, adossée au mur, les jambes repliées, retenues par ses bras croisés, attentive aux gargouillis de ses boyaux qui, en permanence, semblent converser. Ce serait drôle, voire comique si cela n’était le signe de coliques incessantes, de chiasses qui s’expriment brutalement en véritables débâcles impossibles à endiguer et qui la laissent épuisée. Et puis elle a faim mais là aussi rien à dire. Elle sait qu’il va falloir attendre, non pas le moment où l’on se mettra à table, devant une assiette, un verre, un couvert, où Augustine lui dira : «  Zélie ne manges pas trop vite, mets ta serviette, tiens toi droite, dis merci… » Ce temps là est passé, si loin déjà et d’ailleurs reviendra t-il, un jour ?

Pour l’instant, dans cette si grande salle c’est un brouhaha de voix, un tohu bohu d’exclamations, d’interrogations, de conversations mêlées de gens que Zélie ne connaît pas mais qui lui sont néanmoins familières par leur accent lorrain, cette manière de prononcer les mots, de laisser traîner les phrases ponctuées d’expression en patois et cette façon d’associer l’article le ou la devant le prénom des personnes dont on parle. A Niort, elles ont retrouvé les réfugiés Ardennais(1) et parmi eux ceux de Charleville et miracle le Grand frère de Zélie ! « La Gilberte » rit et pleure à la fois. Elle si réservée n’en finit pas de s’exclamer, de poser des questions, de s’étonner sur ce fils qui a grandi et maturé depuis qu’elle ne l’a vu ! Augustine, elle, a pris son chapelet et remercie toute la Sainte Famille, là haut dans le ciel, de l’avoir préservé, de les avoir réunis. Quant à Zélie, elle n’a pas reconnu l’adolescent de 13 ans passés, qui, lui dit-on, est son grand frère !

Ils ont sept ans et quatre mois de différence. Zélie avait trois ans lorsqu’il est parti comme pensionnaire au lycée de Charleville. Depuis ils ne se sont pas souvent vus. En général quand il revenait à Metz, chez les parents, trois fois l’an pour les vacances de Noêl, Pâques et celles d’été , Zélie était alors chez sa grand’ mère, dans son royaume, rue du Cul de plomb ! Intimidés, leurs retrouvailles furent silencieuses, embarrassées, ils n’avaient rien à se dire !

Mais si le Grand frère était là, bien vivant, alors que l’on savait que le train où avaient été embarqués les élèves de son lycées avait été bombardé, faisant de nombreuses victimes, c’est parce qu’il n’était pas dans ce train ! Il avait été récupéré sur le quai de la gare de Charleville par son oncle et parrain (le plus jeune fils d’Augustine) qui occupait un poste important de direction à la S N C F. Le grand frère était donc parti avec sa tante, dans un autre convoi, celui qui les avait emmenés jusqu’à Niort, jusque dans cette grande pièce où règne tant d’agitation.

Des matelas ont été distribués, déposés à même le sol dans ce qui est en fait une salle de classe débarrassée des pupitres d’écoliers. Seuls restent l’estrade et le bureau du maître ; aux murs le tableau noir, les cartes de géographie et de sciences naturelles et ce qui apparaît pour l’heure, comme un luxe suprême, dehors, sous le préau, il y a les éviers en zinc et dans le fond de la cour les cabinets à la turque. Les réfugiés tentent de s’organiser dans un certain désordre, quand, une voix péremptoire demande le silence…et le silence se fait !

La voix c’est celle d’une femme qui manifestement a l’habitude de commander et d’être écoutée. La voix dit : qu’il faut agencer les matelas comme les lits dans un dortoir en laissant de l’espace entre pour aller et venir mais auparavant ceux-ci doivent être répartis selon la taille des famille et par conséquent il faut d’abord compter les grandes personnes, les enfants, etc…Elle parle de coordination pour que tout le monde ne se retrouve pas en même temps devant les cabinets, ou les éviers, La voix parle avec autorité et tout le monde l’écoute. Dans son coin, Zélie observe et se demande pourquoi, personne ne dit rien, pas même Augustine,. La femme à la voix est montée sur l’estrade du maître et écrit au tableau les instructions pour qu’elles ne soient pas oubliées. Et puis, les grandes personnes se sont mises à faire ce que leur disait de faire cette cheftaine, sans discuter. Pendant ce temps, les enfants, envoyés dans la cour de l’école, jouent, peut être à chat perché ou à la marelle. La fillette les entend, elle aimerait être avec eux mais torturée par ses tripes, elle n’a qu’une idée : aller se soulager au cabinet où sa grand’mère finit par l’accompagner.

Au retour, elle s’est couchée, un peu fébrile, c’est alors qu’elle a entendu la voix, celle de la femme, dire, tout au dessus d’elle « Alors, c’est Zélie, la fille de Gilberte, ma petite nièce ! »

La petite fille regarde la femme, qui est donc sa tante, la belle-fille d’Augustine, et qu’elle rencontre pour la première fois. Elle voit un visage sans couleur, aux cheveux blonds filasse peu fournis, deux yeux transparents couleur de menthe glacée, un sourire qui relève le coin de la lèvre supérieure découvrant une incisive inquiétante… Zélie ferme les yeux ; elle a décidé de ne pas parler, tout comme elle a décidé qu’elle n’aimait pas cette tante là qui répond pourtant au doux prénom d’Aimée, et dont elle apprend qu’elle est institutrice et plus : directrice d’école !

La petite communauté semble s’installer dans ce nouveau campement avec une certaine sérénité celle que leur procure la sécurité d’avoir enfin un toit et d’être à l’abri , quand soudain quelqu’un entre en trombe en criant : »Les Boches sont entrés dans Paris, ils sont dans Paris… » Le moment de stupeur passé les grandes personnes se sont mises à pleurer, à gémir : « C’et pas possible, tout est perdu, Mon Dieu…pauvre France, qu’est ce que l’on va devenir… » Certaines se sont mises à genoux pour prier. Derniers refuge et espérance pour ces femmes dont les maris, les fils sont au front ou peut être déjà prisonniers ?

Zélie regarde sa mère, Gilberte, la seule qui reste impassible, comme anesthésiée. Elle tient la main du grand frère, détachée du réel, toute à son bonheur, repliée sur son monde secret.

Il paraît que cette nuit là, Zélie a geint pendant des heures tout en dormant. Au matin, Tante Aimée, la cheftaine, est venue dire à Augustine que sa petite fille avait empêché tout le monde de dormir, donc, il serait préférable d’installer son matelas dans le couloir, comme cela elle ne dérangerait personne. Ce qui fut !

La seconde nuit Augustine s’est installée avec Zélie et le troisième jour la Croixrouge est venue faire le recensement des personnes présentes expliquant que les Allemands avaient repris l’Alsace et la Moselle en tant que provinces allemandes, interdites à quiconque, réfugié, qui refuserait de se considérer dorénavant comme citoyen Allemand ; interdites aussi à toutes les familles dont le chef est militaire de carrière. C’est ainsi que le jour suivant Augustine, Gilberte, le grand frère et Zélie, sans oublier la fameuse valise, ont repris la route pour une destination inconnue… (à suivre…)

(1)Dans le plan initial d’évacuation des populations du Nord.Est, élaboré en 1938, il avait été prévu que les habitants de la région de Sedan seraient évacués vers les départements de la Vendée et des Deux-Sèvres, ce qui explique qu’en ce mois de juin 1940, les réfugiés de Charleville aient été regroupés et se soient retrouvés à Niort.

 

 


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