L’abbé de La sauve – Majeure…A l’époque de la bataille de Targon (1)

Posté le 05/11/2012 dans Histoire.

En juillet dernier, cela fera 450 ans que se sera déroulée à proximité du village de Targon, une bataille qui mit en présence les soldats de Symphorien de Durfort agissant pour le parti protestant, et ceux commandés par  Blaise de Monluc pour le roi, le parti catholique.

Si la bataille de Targon constitue l’aboutissement local d’une stratégie générale, elle est aussi le résultat d’un imbroglio diplomatique jouant sur les alliances, doubles jeux et reculades des principaux responsables militaires et politique. L’intervention de l’abbé de La Sauve-Majeure, bien que mineure, apparaîtra comme un élément qui aura précipité la victoire dans le camp de Monluc, celui du roi.

Sur l’aspect militaire, cette bataille constitue le 1er affrontement des guerres de religions à venir. Elle restera plus une opération stratégique violente et brève grâce à l’effet de surprise, qu’un choc véritable entre armées. Son issue favorable au parti du roi va permettre de dégager l’accès de Bordeaux, le seul bénéfice de cette journée du 17 juillet 1562.

Une société déchirée entre deux idéologies, un pouvoir liquéfié.

Avec l’institution de la commende[1] qui permettait la distribution des revenus des  fonctions ecclésiastiques aux familiers du pouvoir, jamais les représentants de l’église n’avaient été aussi loin des interrogations du peuple en matière spirituelle. Critiquant la scolastique (l’enseignement religieux), le renouveau intellectuel centré sur la dimension humaine –l’humanisme- mit en valeur la liberté de pensée des Antiques (Platon…) pour y chercher les matériaux indispensables à une nouvelle conception de l’homme moderne et de sa place. L’effroyable carnage causé par la peste noire (en 1347 en Bordelais) puis ses retours réguliers, entre autres maux, avait réveillé de fortes angoisses sur le devenir de chacun après sa mort. L’Eglise, sortie affaiblie du Grand Schisme, n’était plus à même de répondre à ce questionnement, d’où la perception d’une remise en cause de son train de vie et de sa hiérarchie.

La justification par la foi distinguée par Martin Luther signifiait que seule la foi en Dieu permettait le salut de son âme,  et non pas les seules offrandes (pèlerinage), encore moins les achats d’indulgences encouragés par la Curie romaine. Luther est excommunié par Léon X en 1520, mais ses idées seront reprises par de nombreux prédicateurs, en particulier par Jean Calvin qui proposera la notion de prédestination (chaque être humain est choisi par Dieu avant sa naissance pour être sauvé ou damné). Ces thèses vont se propager au sein des princes -électeurs d’outre-rhin qui  « protesteront » ainsi contre le compromis adopté par l’empereur Charles Quint (1530).

Au tournant du siècle, une grosse majorité du peuple restait fidèle à la traditionnelle messe ; les choses étaient moins tranchées pour les élites. Des gentilshommes aquitains étaient resté fidèles à la religion du roi comme les Foix-Candale, d’autres avaient adhéré à la Réforme tels Durfort-Duras, Caumont-La Force, Ségur-Pardaillan, Montferrand… Les plus nombreux hésitaient en ayant tour à tour des convictions pour l’une ou l’autre religion comme les Gontaut ou Antoine de Bourbon lui-même. Gouverneur de Guyenne, Bourbon passait pour avoir de la sympathie pour les prêches protestants tout en restant catholique par habitude. Ses privilèges et sa position de prince de sang le conserveront dans le camp du roi, car ce qui comptait vraiment à ses yeux : ces seuls intérêts !.

Sa femme Jeanne d’Albret -mère du futur Henri IV- optera pour le calvinisme en se convertissant en 1560. Il est certain que les sympathies de puissants seigneurs comme Antoine de Bourbon et Jeanne d’Albret envers la nouvelle religion vont constituer de sérieux encouragements pour les timorés

Le roi de France Henri II haïssait les protestants car il voyait en eux, avant tout, les premiers instruments d’une politique espagnole d’encerclement du royaume que son père François Ier avait vigoureusement combattu presque toute sa vie. Dès sa mort (10 juillet 1559), son épouse Catherine de Médicis prend le pouvoir, officieusement à l’avènement de son fils François II (14 ans lors du sacre le 21 septembre 1559), officiellement au couronnement de son second fils Charles X (10 ans lors du sacre le 15 mars 1561). Pendant plus de vingt ans, comme régente puis reine- mère, elle n’aura de cesse de prendre parti pour l’un (Guise pour les ultra-catholiques) ou l’autre camp (Bourbon-Condé pour les ultra-protestants) afin de conserver un pouvoir qu’elle ne pensait  pouvoir assurer que par la division.

Malgré la tentative d’enlèvement de François II (conjuration d’Amboise, mars 1560), les protestants vont obtenir une succession d’édits favorables à leur culte. Le trop grand nombre de princes proches du pouvoir, gagnés aux idées de la Réforme ou farouchement opposés, rendra d’autant plus difficile l’exercice d’une représentation royale conciliatrice dans une province comme la Guyenne où Duras recrutaient des hommes pour renforcer les troupes de Condé destinées à faire  d’Orléans une capitale protestante.

L’autorité du roi : le furieux et l’humaniste

La politique du roi en Guyenne est assumée par Charles de Coucis, seigneur de Burie[2]. Capitaine de gens d’armes et chevalier de l’ordre du roi, il est lieutenant- général en Guyenne une première fois en 1542, puis de nouveau à partir de 1557  (Chroniques bourdeloise de Gabriel de Lurbe) ou 1560 à la succession de Jean de Daillon, comte du Lude ( Chronique  bourdeloise de Jean de Gaufreteau).

Proche de Marguerite de Navarre (mère de Jeanne d’Albret), parent par alliance de Brantôme et Montaigne, il sera souvent accusé de sympathie envers les protestants, sinon d’être un des leurs, pour avoir montré de l’humanisme là où il n’y avait de place que pour la cruauté2. Burie sera donc souvent sollicité par la régente pour éviter la guerre civile. Celle-ci devenue inévitable, la régente va lui adjoindre l’expérience de Blaise de Monluc3 en mai 1561 pour réprimer la violence.

Blaise de Lasseran-Massencome de Montesquiou, seigneur de Montluc et d’Estillac en Gascogne, était un petit noble désargenté parti chercher fortune et aventure dans le métier des armes. Il servira tous les rois de François 1er à Henri III en passant par tous les grades de la hiérarchie militaire. Rentré au pays avec une charge de chef de l’infanterie du Roi, le choix de Monluc c’est celui d’un militaire éprouvé doublé d’un fin-connaisseur des hommes de sa région.

Revenu auprès de la cour de France à Saint-Germain en Laye, la régente le renvoie une seconde fois en Guyenne (novembre 1561) où la situation s’aggrave. Ne sachant plus qui détient le pouvoir et dans quel but, Monluc décide d’exercer la justice du roi en réprimant tous les excès grâce à un entourage de militaires confirmés et sûrs. Dans la période qui court de novembre 1561 à la fin de l’année 1562, il fera preuve d’une grande rigueur4 pour rétablir l’ordre. Cette rigueur s’exerce envers tous ceux qui portent atteinte à l’ordre royal, pris les armes à la main. Cette dureté va lui permettre de gagner l’adhésion de la noblesse rurale, fort dépourvue sinon ruinée par les aléas de la politique royale. Sûr de la force d’une troupe expérimentée, il est néanmoins conscient de sa faiblesse : un petit nombre de  soldats qu’il peine à remplacer par des gens de valeur identique.

La vive réaction du parti archi-catholique, opposé aux libertés accordées aux protestants, mais aussi les représailles en réponse aux violences, va se concrétiser par le massacre des protestants à Wassy (Haute-Marne) le 1er mars 1562. En réponse Condé s’empare d’Orléans le 2 avril et la guerre civile, larvée jusqu’ici, devient ouverte.

Informé de l’évènement, Burie rentre à Bordeaux pour s’y retrancher, Monluc prend sur lui de tenir la campagne entre Condom et Toulouse. C’est à lui que les Capitouls font appel quand leur ville est sur le point d’être investie par les protestants (17-18 mai 1562). C’est encore à lui que Burie va s’adresser quand, après avoir évité de peu la prise du château-Trompette à Bordeaux (26-27 juin 1562) qui assure la sécurité de la ville, il se rend compte à quel point la ville affamée par le blocus des troupes de Duras, est dans une situation peu enviable.

Des abbés de pacotille aux commandes d’une archi-abbaye.

Après la bataille de Castillon (1453), l’arrêt des hostilités avaient permis un redémarrage économique timide et lent dont les monastères, malgré leurs difficultés, semblaient toujours en être les éternels moteurs. L’abbaye de La Sauve-Majeure avait trouvé en Bernard de Guiton l’homme providentiel qui allait accomplir le grand effort de restauration des droits et privilèges du monastère, effort qui occupera ses vingt années passées sur le siège abbatial.

Pour cette abbaye mise à mal par le manque d’entretien régulier5, l’heure n’était plus à l’abondance malgré la multiplication de grands travaux de maçonnerie  qui vont s’étaler de 1470 à 1530.

Pour tous les seigneurs fonciers, le siècle qui s’ouvrait les vouaient à la réduction de leur train de vie pour pallier aux dégâts d’un conflit qui avait semblé éternel. Le choix par François Ier de favoriser l’accès des laïcs aux revenus ecclésiastiques va établir le principe de la commende et ruiner définitivement les monastères les plus fragilisés.

Le nouvel l’abbé de La Sauve-Majeure sera commendataire. Imposé à la communauté qu’il dirige, il est bénéficiaire de plus du tiers de ses revenus. Le  nouveau système, qui entrera en vigueur en mai 1523, stipule que le dernier abbé de l’ancien système électif comme le premier issu du nouveau soient extraits de la même famille, celle des Larmendie6.

Déjà prévôt7 de Sarlat, Jacques de Larmendie est nommé abbé commendataire le 7 mai 1523, jour où il se trouvait à l’évêché de Sarlat, parmi deux autre concurrents nommés par le roi8 ; c’est ainsi qu’un nouveau coup de foudre tomba sur le monastère de saint Gérard9. Larmendie se révèlera plus attaché à sa fonction prévôtale et à l’avenir qu’elle lui promettait plutôt qu’à la gouvernance d’une abbaye distante de près de 32 lieux10 de Sarlat. Peu enclin à gérer les deux charges conjointement, il laissera ce soin à deux  vicaires généraux. Dès que l’occasion se présentera, il troquera sa charge de prévôt contre celle d’évêque de Sarlat à la succession de Jean de Reilhac  en 153111 ; entre temps il se sera démis de sa charge d’abbé au début de l’an 1530.

En 1530 Mathieu de Lonquejoye, s’installe à son tour sur le trône abbatial. Issu d’une famille de magistrats parisiens, il fait partie de cette petite noblesse qui en veut car, récemment anoblie, elle est fidèle et à l’affût du moindre honneur. Gagnant la confiance de François 1er, il fera parti de l’ambassade envoyée auprès de l’empereur Charles Quint pour négocier la libération des enfants du roi12. Par l’arbitrage de François 1er, il percevra les revenus des charges de prieur de Néronville, d’Elincourt et de Saint-Paul au Bois, ceux liés à la fonction d’abbé de La Sauve-Majeure le 20 février 1530 et, dans la foulée, ceux d’évêque de Soissons le 6 février 153413. Autrement dit il ne mettra probablement pas les pieds à La Sauve. L’administration du temporel sera l’affaire d’un syndic, le prieur du monastère ne gardant plus que l’administration du  spirituel14.

En 1542, les premiers signes de la progression du protestantisme sont perceptibles dans le bourg de La Sauve. Soupçonnés d’hérésie, le curé du bourg ainsi qu’un couple de maçons sont arrêtés le 1er septembre 1542 (Archives Historiques de la Gironde, 1909, XLIV). Après la mort de l’abbé de Lonquejoye en septembre 1557, une famille de haut lignage, celle des Gontaut-Biron, s’installe sur le trône abbatial .

(à suivre).

Jean- François Larché.

 

 

 

 


[1] Commende=concession d’un bénéfice à un ecclésiastique séculier ou à un laïque nommé par le roi –Dictionnaire Robert.

[2] Né en 1491, Charles de Coucis, seigneur de Burie (ou Burye), est marié à Suzanne de Belleville, Décédé le 10 juin 1565 et enseveli le 20, son tombeau se trouvait dans le chœur de la cathédrale Saint-André de Bordeaux (Callen).

2 « Il tint la main à l’observance rigoureuse des édits, empêcha les prêches et réprima les séditions des Réformés. Toutefois, dans leur poursuite, il se montra parfois si humain et si conciliant qu’on put l’accuser de leur être au fond favorable…Prudent, expérimenté, il tempéra souvent la fougue du célèbre capitaine (Monluc) ». Notice de René de Manthé. Archives historiques de la Gironde, t. XXX, 1895.

3 Né vers 1502 probablement à Sainte-Gemme, à proximité du château de Saint-Puy (Gers), Blaise de Monluc perdra ses trois fils à la guerre avant de se voir élever à la dignité de maréchal de France après 52 ans passés à guerroyer. A l’âge de 75 ans il va se consacrer à la rédaction de ses mémoires, les fameux Commentaires qui lui assureront une renommée posthume. Il meurt dans son château d’Estillac le 26 août 1577.

4 Sévérité qui le fera surnommer le « boucher catholique » par ses ennemis protestants.

5 Notons les travaux du maître maçon Allen Léman en 1476, novembre 1479, réparation des halles, vers 1480, travaux du maître maçon Martial Girault, vers 1490, travaux du maître maçon Eliot Oudin, en  1509 déplacement provisoire du tombeau de saint Gérard puis réfection de la charpente de l’abbatiale …

6 Jean de Larmendie, fils de Jean de Larmandie, seigneur de Miremont, Savignac et autres lieux,  et d’Isabelle du Breuil, cède sa charge d’abbé à son frère Jacques en 1523.

7 Le prévôt est un officier claustral élu au Chapitre cathédral. Les autres officiers claustraux sont le prieur, l’hôtelier, l’infirmier, le camérier, le chantre, le prévôt, le sous-chantre, l’aumônier, le cellerier, l’ouvrier, le sous-prieur, le sacriste et deux prébendiers (Maubourguet).

8 Il y eut deux autres concurrents nommés par le roi : « Richard de la Rouille, chanoine de la Sainte-Chapelle de Paris, lequel mourut avant qu’il eût reçu ses provisions, et N…Iverny de Longuejoue , qui ne poursuivit point sa nomination, parce que Jacques de Larmendie avait déjà pris possession » (Bibliothèque sacrée). Ce Lonquejoye sera vraisemblablement l’abbé suivant.

9 «…ce qui fut un coup fatal à ce monastère qui n’eut plus que des commendataires » (Dulaura).

10 En prenant comme base les 3 000 toises de la lieue de Gascogne et de Provence, cette dernière comptait donc 5.847 km. Cf. Guyot (Joseph, Nicolas, M.), Duchemin de la Chesnaye (Sébastien-Roch-Nicolas Chamfort, Ferdinand Camille). Grand vocabulaire françois contenant l’explication de chaque mot dans ses diverses acceptions grammaticales …Edition C. Panckoucke, 1768.

11 Elu par le Chapitre de Sarlat, il restera évêque jusqu’à octobre 1533 peu avant son décès qui survient le 18 novembre suivant.

12 Ces dernier avaient été laissé en gage à la Cour d’Espagne jusqu’à paiement de la rançon demandé par Charles Quint en échange de la liberté de François Ier, capturé au cours de la bataille de Pavie en 1525.

13 Plus tard de membre du Conseil du roi à partir de 1536, de garde par intérim des sceaux en 1538 et 1544, d’abbé de Royaumont en 1549…

14 Convention passée avec les moines le 26 juillet 1540.


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