La pratique du ballon rond à Langoiran a débuté un peu avant la Grande Guerre, ce qui fait de ce village de l’Entre-deux-Mers l’un des plus anciens territoires de football de Gironde. Le premier club officiel, le Sport athlétique langoirannais, sera créé en 1921. En plus de quatre-vingts dix ans d’existence, il connaîtra des fortunes diverses, mais jamais la passion ne s’éteindra.

La commune de Langoiran compte un peu plus de 2 000 habitants. Calé entre un méandre de la Garonne et le plateau de l’Entre-deux-Mers, à une vingtaine de kilomètres de Bordeaux, le village s’enorgueillit de son cadre agréable, de la qualité de ses vignobles et d’un patrimoine qui, pour être globalement modeste, n’en compte pas moins une belle forteresse médiévale, deux élégants clochers et un étonnant cinéma, le Splendid, inspiré du style art-déco.

Cependant, la bourgade est surtout connue au plan national — et sans doute au-delà — pour avoir vu naître en 1952 un certain Alain Giresse, grand nom du football international, qui occupait tout récemment encore le poste de sélectionneur de l’équipe nationale du Mali. En tant que joueur, l’homme fut au faîte de sa gloire dans les années 1980, du temps de Michel Platini, Patrick Battiston, Didier Six et Dominique Rocheteau, pour ne citer que ceux-là. Mais entre Langoiran et le football, l’aventure débute bien plus tôt quoique, au départ, de manière assez informelle.

5 février 1921 : le S.A.L. est créé au café Berquin-Chevrié

À en croire certains vieux langoirannais, qui le tiennent d’encore plus anciens qu’eux, la pratique du football était déjà structurée dans la commune un peu avant la Der des ders, conflit dévastateur et sanglant qui, comme chacun sait, ne sera finalement pas le dernier. Mais là n’est pas le propos. « Un groupe de jeunes à la tête duquel on trouve Marcel Chevrié et Henri Périer » était donc à l’œuvre à Langoiran avant que ne débutent les hostilités, d’après Pierre Pétraud[1], qui sera maire du village de 1964 à 1983.

Le premier club officiel, le Sport athlétique langoiranais (S.A.L.), voit le jour le 5 février 1921 — deux ans seulement après les Girondins de Bordeaux —, au café Berquin-Chevrié[2]. Il a été créé à l’initiative de Marcel Chevrié, Henri Périer et Henri Frauciel. Dans les matches officiels, il apparaît cependant sous ce nom au moins depuis la fin de l’année 1920, ainsi que le rapporte la presse spécialisée d’alors[3]. L’équipe est formée de Cellot, Issartier, Périer — excellent arrière central qui jouera plus tard au S.C. La Bastidienne —, Chevrié (Marcel et Jean), Guicheney, Gay, Arrastia, Manuo, Dartiailh et Batailley. Arriveront un peu plus tard Gérard — qui deviendra gardien de but professionnel avec les Girondins, puis entraîneur de plusieurs grands clubs nationaux —, Peyroutou, Labedens, Lurie, Tricoche, Durcourneau et Bouche.

Un premier terrain à l’entrée du village

À l’époque, le terrain de football se trouvait à l’entrée du village, en venant de Créon, non loin du Cellier de Graman. Il était alors clôturé par une palissade en bois.

Au cours des années 1920, le club prend progressivement une certaine importance dans les compétitions locales. Et lors de la saison 1928-1929, l’équipe de Langoiran, finaliste de Promotion, se hisse même en division d’Honneur. Pour peu de temps, car dans les mois qui suivent, le président démissionne et de nombreux joueurs s’en vont. Le club redescend en Première, puis Deuxième série.

En 1931, les Petits Mousses, association sportive langoiranaise créée le 28 avril 1921, obtient du sous-secrétaire d’état de l’éducation physique l’autorisation de prendre le nom de Sport athlétique langoiranais[4]. Il semble que les deux associations fusionnent à ce moment-là, bien que les choses ne soient pas énoncées aussi clairement dans les documents officiels.

Un nouvel élan… avant la tourmente

Le club reprendra bientôt une certaine vigueur, sous l’impulsion de nouvelles recrues, notamment. « C’est là que nous retrouvons une équipe de copains, amoureux du ballon rond, comme les anciens et qui, à Caudéran, disputa et remporta la finale et le titre de champion Deuxième série », relate Pierre Pétraud, qui cite Marchès, Gay, Renier, Maurey, Lafon, Pétraud, Livran, Utarre, Lasserre, Tramasset et Guicheney.

Par la suite, le S.A.L. se maintiendra en Première série jusqu’en 1936, époque à laquelle il est mis en sommeil. De nombreux jeunes doivent en effet partir au régiment. Puis surviennent la guerre mondiale — seconde du nom et qui s’avérera tout aussi sanglante que la précédente — et l’Occupation.  Le club ne refera véritablement surface qu’en 1941, sous la présidence de Marcel Chevrié. En 1945, le S.A.L. est champion de District. Jacques Giresse, le père d’Alain, est défenseur au sein de cette équipe. Et en trois ans, le S.A.L. remonte de la Troisième à la Première série.

Un terrain offert aux sportifs de la commune

À l’automne 1947, quelques mois avant l’inauguration du cinéma Splendid, survient un événement d’importance : les sportifs de la commune se voient en effet offrir un nouveau terrain, plus proche du centre ville et mieux adapté à leurs besoins. La parcelle est vendue à la mairie par Mme Serquin, sous certaines conditions : « Le terrain ci-dessus désigné est vendu à destination de terrain de sport, sans autre affectation possible, et toutes les sociétés sportives de Langoiran devront y être admises sur un pied d’égalité »[5], stipule l’acte de vente. Les joueurs du S.A.L. prendront part à la construction des vestiaires. Jacques Giresse s’occupera par exemple de fabriquer les bancs.

En 1948, le club langoiranais retrouve donc la Première série. « à cette époque, de jeunes joueurs commencent à éclore. Ce sont Claude Périer, demi sobre mais efficace, qui fut par la suite Camblanais ; Gilbert Modet, qui porta ensuite les couleurs de l’Olympique de Cérons ; l’athlétique Kiki Sanchez, qui fut lui aussi Camblanais ; Bernard Privat, un excellent gardien jouant par la suite à Targon, [aux] Girondins, Langon, Créon […] »[6]

Le club restera trois saisons à ce niveau avant de se mettre à nouveau en sommeil. Il repartira en 1952 grâce à l’engagement d’une poignée de passionnés, parmi lesquels Pétraud, Capdeville et Lagache. Le club est alors en Troisième série et s’y maintiendra pendant une décennie.

Le retour de Jacques Giresse

En 1958 Jacques Giresse, qui avait signé à Beautiran en 1947, avant de jouer dans d’autres clubs, revient au S.A.L. en tant que capitaine entraîneur. Il y fait un excellent travail. Les performances s’améliorent nettement et le club retrouve la Première série dès 1963. « Voici la composition de l’équipe première type de cette saison-là : Gardien : Miguel Dominguez ; arrières : André Hermozo, Jacques Bousquet, Jacques Giresse, Alban Polo ; demis : André Granger, Claude Périer ; avants : Narcisse Polo, Guy Micouleau, Manolo Torrès, Daniel Opéré. »[7]

Jusqu’au milieu des années 1970, le S.A.L. naviguera pratiquement toujours entre la Troisième et la Première série. À cette époque, il ne compte pas moins de cinq équipes.  En 1979, il remporte le titre de champion du district Gironde-sud.

Bien plus que par les performances du club en compétition, la décennie suivante sera marquée par la participation d’Alain Giresse au Mundial de 1982 et à l’Euro 1984. L’équipe de France, étincelante comme rarement elle le sera ensuite, atteindra la demi-finale de la coupe du monde, en Espagne, et remportera l’Euro, en France. À Langoiran, on célèbre l’incroyable parcours de l’enfant du pays, parvenu au sommet de son talent.

Si, contrairement à son frère Bernard, Alain Giresse n’a guère joué à Langoiran[8], il est demeuré très attaché à sa commune. L’inverse est également vrai, puisque douze ans plus tard les langoirannais lui demanderont de prêter son nom au stade communal ; ce qu’il finira par accepter.

Inauguration du stade Alain-Giresse

Le 11 juin 1994, il réunit sur la pelouse du village, pratiquement en face de la maison de son père, quelques monuments du football professionnel : Michel Platini, Marius Trésor, Dominique Rochetau, Maxime Bossis… La journée d’inauguration, grande fête amicale et conviviale, restera dans les annales.

Le club de Langoiran connaîtra par la suite un certain déclin, et une lente érosion de ses effectifs. En 1999, il devra fusionner avec deux autres clubs des environs, également en perte de vitesse : Castres et Portets. Le S.A.L. y perdra son nom historique pour se fondre dans le Castres-Portets-Langoiran Football Club (C.P.L.F.C.) ; sa survie est à ce prix.

S’il ne brille plus tout à fait comme par le passé, le club reste actif. Mais pour combien de temps encore ? En treize ans, le C.P.L.F.C. a perdu la moitié de ses effectifs. Il compte désormais quelque cent vingt licenciés. Cent trente les bonnes années. Ce qui signifie que le club n’a plus aujourd’hui suffisamment de joueurs pour disposer d’une équipe dans chaque catégorie, notamment entre les 15 ans et les seniors. Seniors qui évoluent depuis plusieurs années en deuxième division district, bien loin de leur meilleur niveau. Inverser la tendance supposerait un afflux de sang neuf. Dans le contexte actuel, cela semble bien compliqué.

 

Un désamour des Français envers le football populaire ?

« La FFF a perdu 500 000 licenciés en 5 saisons et près de 3 000 clubs ont mis la clé sous la porte ces derniers mois ! Et nous ne voyons rien venir de nature à nous rassurer… », pouvait-on lire dans la newsletter de l’Association française de football amateur (AFFA)[9] diffusée en septembre dernier. En cause, un désamour croissant des Français envers l’équipe nationale, évidemment. Mais pas seulement : la crise du bénévolat, les lourdeurs d’une paperasserie devenue envahissante, au sein d’une fédération de plus en plus tatillonne, et surtout la baisse des subventions accordées par les collectivités locales ajoutée au manque d’entretien des terrains ont causé des ravages quasi irréversibles, ainsi que le relevait Rue89[10] au mois de mars.

Face à ce lent naufrage, les clubs de village n’ont souvent d’autre choix que de fusionner avec une ou plusieurs communes voisines. Ultime étape avant la disparition, à en croire Eric Thomas, président de l’AFFA, cité par le journal en ligne. Souhaitons que le C.P.L.F.C. saura sortir de l’ornière avant d’en arriver là, épaulé, pourquoi pas, par une municipalité décidée à soutenir vraiment une pratique sportive qui reste éminemment populaire, au sens très noble du terme, et accessible à tous. Il semble à présent permis de l’espérer.

Stephan Ferry.