Les borseys de Cadillac de 1457 à 1468.

Posté le 15/05/2012 dans Histoire.

Avant propos

Parmi les villes de l’ancien diocèse de Bordeaux, Cadillac sur Garonne est la seule à avoir conservé une grande partie de ses archives financières et notamment des liasses comptables quasi ininterrompues de 1435 à 1516. Les autres séries archivistiques sont plus tardives. Les actes paroissiaux remontent à 1520, ce qui est déjà relativement exceptionnel, et les délibérations des jurats à 1567. Certes, les chartes de Cadillac sont, pour la plupart, antérieures à cette période mais les pièces conservées sont en réalité des copies, voire même de simples extraits réalisés beaucoup plus tardivement pour obtenir des lettres patentes de confirmation ou soutenir des procès. Documents de circonstances, leur valeur probante est sujette à caution.

Les séries comptables ont été peu explorées à ce jour car elles ne sont accessibles qu’aux médiévistes, ou quelques amateurs versés dans la paléographie et maniant au surplus le gascon, langue usuelle de l’époque. On doit cependant à Michel Bochaca et Jacques Micheau1 une transcription intégrale des liasses comptables de 1457 à 1468 qui permet de surmonter les difficultés de décryptage des textes anciens. Ces documents mis à la disposition des chercheurs sont certes en gascon mais l’ouvrage est accompagné d’un glossaire des termes utilisés et d’un appareil critique qui le rend intelligible, facilite la lecture et l’analyse des documents publiés. L’inventaire sommaire des archives de Cadillac réalisé par Ducaunnès-Duval offre par ailleurs des pistes de recherches très précieuses sur l’ensemble de la période.

Les liasses comptables nous donnent bien entendu des indications sur l’impact financier des privilèges accordés à la ville, les relations de celle-ci avec le seigneur, les pratiques religieuses et l’entretien des fortifications, premier poste de dépenses de la municipalité. Pour l’essentiel cependant, les travaux des borseys, trésoriers de Cadillac, nous restituent fidèlement le fonctionnement de la municipalité et soulignent à bien des égards combien la permanence est sous jacente aux mutations intervenues depuis lors. Ils décrivent aussi, avec une étonnante précision, les relations d’une ville, très insérée dans son tissus économique, avec tout un petit peuple de commerçants et d’artisans dont l’identité est parvenue jusqu’à nous presque aussi bien que ne le ferait un registre d’état-civil.

Ces liasses comptables sont aussi les seules sources parvenues jusqu’à nous du fonctionnement de la municipalité de Cadillac au milieu du XVème siècle, ce qui en fait tout le prix. Pour chaque exercice, l’identité du comptable de la ville est expressément indiquée ainsi que celles des jurats. Les copies des chartes de Cadillac permettent d’établir que les jurats étaient désignés annuellement par le « corps de ville ». Institution regroupant exclusivement les notables, le corps de ville s’apparentait alors davantage à une assemblée électorale qu’à un conseil municipal car en dehors de cette désignation on ne lui voit aucune autre activité. Le caractère strictement annuel de cette désignation, lui conférait cependant un relatif pouvoir d’autant plus que nul ne pouvait exercer les fonctions de jurats deux années successives. La ville, n’ayant pas le statut de commune, n’avait pas un maire mais un cappitayne, appointé par elle mais nommé par le seigneur de Cadillac.

Le comptable de la ville, désigné sous le terme imagé de Borsey alors que la ville de Bordeaux employait déjà, comme aujourd’hui encore, celui de tresaurey, était nécessairement issu du corps de ville, car on s’aperçoit au fil des années qu’il pouvait alterner les fonctions de jurat et de borsey.
Le statut du borsey peut-être reconstitué assez aisément à partir des documents comptables.

1 – Le statut du borsey

Le dispositif de désignation des jurats et des borseys avait pour effet de contrarier, sans pouvoir l’empêcher tout à fait, l’émergence d’un pouvoir communal susceptible de faire pièce à celui du seigneur.

Une petite élite commerçante

Sauf cas de force majeure, un borsey ne pouvait se succéder à lui-même à l’issue d’un exercice comptable. Cette règle n’est pas nécessairement le signe d’une défiance à leur égard. Selon un usage directement inspiré des mœurs féodales, la probité du borsey, était garantie par une prestation de serment, exigée encore de nos jours des comptables publics. Le contenu de la prestation de serment du borsey de Cadillac n’a pas été conservée. Elle était  sans doute analogue à celle du « tresaurey2 » de Bordeaux et ne fait d’ailleurs aucun doute comme le prouve des frais de voyage à Bordeaux pour cette occasion au cours de l’exercice 1452-1453 (28 sols, 3 deniers).
Le renouvellement du borsey répondait davantage à des considérations d’ordre pratique pour lui laisser le temps de clôturer ses comptes autrement dit de dénouer toutes les opérations ayant pris naissance au cours d’un exercice c’est-à-dire de régler toutes les charges et, exercice plus difficile, d’encaisser tous les produits. De nos jours, pour contourner cette difficulté, les restes à payer ou à recouvrer d’un exercice sont inscrits au bilan à des comptes débiteurs et créanciers ce que la comptabilité de l’époque, organisée exclusivement sur la base des mouvements de fonds, ne permettaient pas.
Observée sur une longue période, la succession des borseys s’opérait en réalité au sein d’une toute petite élite

Les frères Bernard et Pierre Dumas furent souvent désignés pour exercer les fonctions de Borsey : Bernard à quatre reprises et Pierre huit fois. Ce dernier mourut alors qu’il était en fonction en 1477-1478. Il fut immédiatement remplacé par Vital Dinclaus, lui-même désigné à neuf reprises borsey de la ville.
A trois exceptions près, (Arnaut d’Arran 1445-1447, Vital Dinclaus 1483-1485 et Guillaume Meynard 1487-1488), liées à des décès en cours de mandat du titulaire, le principe du renouvellement annuel des borseys fut respecté tout au long de la période.

Des gages plus élevés que celui des jurats

Les liasses comptables ne désignent pas les jurats d’un exercice déterminé et le versement de leurs gages est mentionné anonymement en une ligne à l’exception du seul exercice 1459-1460 où l’on relève Pierre Dumas (Pey deu Mas), borsey de l’exercice précédent.
Le borsey était beaucoup mieux rémunéré que les jurats, le cappitayne, et le clerc de ville. Les gages versés aux uns et aux autres sont très stables tout au long de la période. Avec 20 livres, soit 960 ardits, les gages du borsey représentaient l’équivalent de 64 journées de maçon (15 ardits la journée), sans compter les avantages annexes en fournitures de vins et poissons salés.

Le borsey disposait d’un auxiliaire, l’assenssador

Très tôt, la ville confia le recouvrement du droit de bete (pêche) et des droits sur les vins à un assenssador (fermier) qui reversait ses encaissements au borsey après avoir prélevé au passage sa rémunération. Celle-ci était sans doute d’un montant relativement confortable, et le poisson abondant au point que plusieurs fermiers étaient parfois désignés au titre d’une même gestion. Pour autant, on n’observe pas ici de manière systématique l’existence de passerelles entre les fonctions de borsey et d’assenssador comme il pouvait y en avoir avec les fonctions de jurats.

La gestion 1457-1458 fait figure d’exception. Le borsey Pey deu Mas a en effet enregistré une à une les taxes perçues comme s’il les avait encaissé directement sans recourir à un assenssador auquel cas l’enregistrement aurait donné lieu à quelques lignes d’écritures seulement. Ici, au contraire, il indique les noms des redevables, les versements obtenus et les volumes de vins taxés ce qui fait tout l’intérêt de cet exercice. Le droit de bete était également affermé mais l’identité des fermiers ne nous est pas parvenue.

Le borsey, gardien du patrimoine de la ville

Le trésorier était, au sens littéral, le gardien du patrimoine de la ville. En entrant en fonction il n’omettait jamais d’indiquer, comme s’il en donnait décharge, les chartes que son prédécesseur lui avait remises. Ainsi en 1467, Pey deu Mas avaient remis à Johan Guilhemot
« los encartamentz qui s’enseguen :
-prumeyrament 2 cartas deus privilegis et libertatz autreyadas aus habitantz de Cadilhac
-Item 2 lietras patentas deu comte Archambau
L’une contenet que negun habitant de ladeyta bila ni lo poder no pot ni deu vendre bins en taberna tant cum ni aura deus qui son vaygutz en la juridiction de ladeyta bila et poder et,
L’autra de prendre et lheuar de cascun tonet de bin estrangey qui ira dintz ladeyta bila et apres deffora 10 sols
-Item la carta de la beta.
-Item la abolition de Tallabot. -Item 1 petita carta que fey mention deu padoent (patûrages) apperat Lobrac»

Le borsey,  tenu de rendre compte de sa gestion

Le borsey et les jurats, entraient en fonction le 24 juin (fête de St Jean-Baptiste) jusqu’au 23 juin de l’année suivante, date à laquelle ils étaient tous remplacés. L’année budgétaire ne correspondait donc pas à l’année civile ce qui se pratique encore de nos jours pour certaines activités dont le rythme est saisonnier.
A cette occasion, le borsey sortant remettait à son successeur la caisse de la communauté accompagnée d’états détaillés présentés avec, dans l’ordre, les différentes recettes, immédiatement suivies du résultat de la gestion puis enfin seulement le détail des dépenses.

Ce n’étaient pas à l’évidence des documents de premières écritures comme le prouve cet ordonnancement déjà quelque peu synthétique puisque échappant à la stricte chronologie voire même à toute logique arithmétique. Leur nature même apparaîtrait ambiguë sinon suspecte à qui s’évertuerait à en trouver l’équivalent dans nos pratiques comptables actuelles.

Il pourrait s’agir d’un procès-verbal de remise de service authentifiant la réalité de la transmission de l’encaisse mais qui, à l’origine, était établi sans l’intervention d’un tiers arbitre, susceptible de trancher un différent éventuel entre le trésorier entrant et le trésorier sortant sur le montant des fonds. Le montant de l’encaisse était probablement reconnu contradictoirement mais rien n’indique qu’il avait bien été rapproché des justificatifs produits sur les restes à recouvrer ou à payer éventuels. Le grand nombre d’erreurs d’addition relevées laisse même supposer l’absence totale de contrôle. Il n’est pas davantage certain que la rédaction de ce document ait été réalisée à l’occasion de la prise de fonction du nouveau trésorier.

Il est probable aussi que plusieurs intervenants se succédaient dans sa rédaction et vraisemblablement après la transmission, pratique source de confusion. Par ailleurs, ce procès-verbal n’est pas signé des parties ni formellement daté ce qui lui enlève tout caractère de solennité et de valeur probante en cas de contestation. Ces anomalies seront, mais bien plus tard, corrigées.

Confectionnés à l’occasion de la remise de service, ces documents pourraient également s’apparenter au compte de résultat d’une gestion déterminée mais le concept de caisse l’emportant sur toute autre considération, les créances non recouvrées n’étaient pas indiquées. On ne les détecte qu’à l’occasion de leur encaissement au cours des exercices suivants par la formule « de resta de l’an passat ».

Le borsey pécuniairement responsable de ses opérations

Dans ce dispositif, le borsey était responsable financièrement. En pratique, cela signifiait que lorsque la ville avait des dépenses à réaliser excédant les recettes encaissées il en faisait l’avance sur ses fonds personnels3. Dans le cas contraire, il se bornait à remettre à son successeur les espèces en caisse mais les créances non recouvrées n’étaient versées qu’après l’encaissement effectif dont la réalisation lui incombait, alors même qu’il n’était plus en fonction. Les restes à recouvrer étaient parfois encaissés au bout de plusieurs années. La clôture de la gestion s’étalait donc indéfiniment dans le temps contrairement au dispositif actuel où les comptes annuels sont arrêtés à une date déterminée, créances et dettes comprises, et soumis à l’aval d’une assemblée délibérante dans le délai de six mois tout au plus après la clôture de l’exercice.

Le borsey, trésorier plus que comptable, maniait un grand nombre d’unités monétaires4

Le borsey enregistrait ses opérations en mêlant unités de comptes5 et unités marchandes (ou espèces sonnantes et trébuchantes) ce qui était pour lui une source fréquente d’erreurs.

Conformément à une ordonnance de Philippe VI de Valois6 du 22 août 1343, le trésorier de la ville totalisait chacun de ses folios en livre, sols, et deniers mais les lignes d’écritures proprement dites étaient aussi exprimées en ardits, francs ou écus7 et, parfois même en grands blancs ou tholosans, de sorte qu’il est impossible de déterminer, lorsqu’une erreur est constatée si elle provient de l’addition elle-même ou de la conversion en livres, sols, deniers. Au début de la gestion 1489-1490, le nouveau borsey, Pierre Simonet, avait entre autre,  reçu de son prédécesseur, Guillaume Meynard, « 5 écus d’or au soleil, 3 mailles d’airain, 2 ducats, 2 écus du Roi, un aigle valant 3 francs, soit en tout la somme de 30 francs. »

Il est étonnant que ce système, très complexe pour une population le plus souvent analphabète, ait traversé les siècles. L’économie, il est vrai, était peu monétisée, surtout en zone rurale, mais à relever les erreurs de conversion de la gestion 1457-1458 on peut imaginer les difficultés rencontrées.
Au cours de la gestion 1457-1458, le trésorier de la ville a en effet accumulé les erreurs de conversion. Celles-ci apparaissent non seulement lors de la récapitulation des dépenses au bas de chaque folio (soit + 6 deniers au total) mais également dans la récapitulation générale de ses propres enregistrements (-1 denier). Il en résulte une différence globale de 5 deniers avec l’ensemble des lignes d’écritures.

On observera avec un brin de malice que cette différence est à l’avantage du borsey puisqu’en déclarant plus de dépenses il réduit d’autant les versements à son successeur. Bref, chacune des gestions de 1457 à 1468 présente globalement des erreurs, souvent à l’avantage du borsey. Par la suite, la remise de service effectuée en présence des jurats permettra d’en réduire le nombre.

Le borsey tient une comptabilité rudimentaire mais relativement détaillée

Nous avons affaire à une comptabilité sommaire, même pour l’époque, si l’on se souvient que les romains déjà utilisaient deux registres : un journal, servi chronologiquement, et un livre de comptes facilitant un classement par nature. Le Borsey n’utilise qu’un seul registre qui s’apparenterait à un journal, vraisemblablement réalisé à l’issue de sa gestion. C’est aussi une comptabilité en partie simple par opposition à la partie double amorcée avec les comptes tenus en deux colonnes (Débit-crédit) qu’utilisaient les Génois à partir de 1340 mais qui ne se répandra qu’après l’invention de l’imprimerie et la diffusion du livre de Lucca Pacioli8 qui décrivait les méthodes comptables des Vénitiens de son temps.

La comptabilité des années 1457-1458 est la plus précise de cette période puisqu’elle permet non seulement d’identifier les redevables mais indique, parallèlement aux versements obtenus, les quantités de vins commercialisées, ce qui représentent 153 encaissements sur un total de 223 opérations comptables. Avec la désignation d’un fermier (assenssador) chargé du recouvrement des droits, à partir de l’exercice suivant, les versements se réduisent à une dizaine de lignes d’écritures sans indication de l’identité des créanciers et des quantités taxées.

Les quantités de vins soumises à la taxe sont en effet clairement indiquées. Les mesures de liquide utilisées étaient la pipe, soit 500 litres, et la barrique 250 litres. Dans certain cas, il est fait mention de barriquots et une seule fois d’un escay9.
Le montant de la taxe n’est pas d’un grand secours pour comparer les différentes mesures de capacité.
Ainsi la pipe est taxée entre 30 et 19 sols sans que l’on puisse déterminer si les différences observées étaient liées à la nature du vin, à sa qualité supposée, ou à son degré de vieillissement. On remarque cependant que les prix les plus élevés sont observés de juin à août, juste avant la nouvelle récolte.
La taxation des barriques, opérée sur un plus grand nombre d’opérations, est à peine plus éclairante :
– lorsque la barrique est taxée 10 sols la pipe est taxée 20 sols soit effectivement le double, de la même façon, elle est taxée 15 sols lorsque la pipe l’est à 30 sols ;
– juin, juillet et août sont clairement les mois où la taxe est la plus élevée ; les tarifs semblent fixés de manière plus aléatoire en dehors de ce trimestre.

La barrique de vin a été en moyenne taxée au cours de l’exercice 1457-1458 à 9 sols 2 deniers, soit 28 ardits, mais cette moyenne n’est guère significative tant les écarts observés sont importants. Le borsey s’en justifie en indiquant que le vin n’est pas achevé ou qu’il est d’une qualité médiocre et ne peut être vendu.
Parfois même il évoque des pertes exprimée en pouces (pogades) relativement importantes semble-t-il, mais guère concluantes quant au montant de la taxe. La nature du vin (blanc ou rouge) ne semble pas jouer sur le montant de la taxe. Elle est rarement indiquée et toujours pour préciser qu’il s’agit de blanc ou de claret, soit au total sept barriques de vin blanc et une de claret. On peut légitimement supposer, du moins à la lecture de ces liasses comptables que la production était essentiellement du vin rouge.

Le prix de vente d’une barrique n’est pas indiqué par le Borsey. Il l’évoque une seule fois à l’occasion de l’achat par les jurats d’une barrique de vin blanc pour l’arrivée de Monseigneur de Foix à Cadillac soit 4,5 francs ce qui équivaut à 5 livres 12 sols 6 deniers, à comparer au montant moyen de la taxe 8 sols 9 deniers soit près de 13 % du prix de vente. Une barrique contenant 250 litres, on peut estimer le prix du litre de vin à un peu plus de 5 deniers soit un ardit, montant à la portée d’un maçon qui en gagnait 15 par jour10.

Le résultat d’une gestion est étroitement lié aux diligences du borsey

A la clôture de l’exercice 1457-1458, le borsey indique : « Soma que a plus recebut que despensat 16 livres 18 sols. », soit 4.056 deniers.
Ce résultat est difficile à reconstituer. Il fait suite à la récapitulation des dépenses (28.115 deniers) et l’on pourrait donc considérer qu’il suffit de totaliser dépenses et résultats pour vérifier que le montant obtenu correspond bien à celui des recettes mais ce n’est pas le cas. Celles-ci s’élèvent à 28.955 deniers ce qui déterminerait un résultat de 840 deniers et non de 4.056. La différence soit 3.216 deniers pourraient provenir du fonds de caisse que le borsey précédent aurait remis à Pey deu Mas mais les folios comptables de l’exercice 1457-1458 sont muets sur l’existence d’un fonds de caisse, au demeurant d’une certaine importance.
Il n’est pas davantage exclut que le borsey ait eu l’intention d’ajouter à ses encaissements effectifs les restes à recouvrer de sa gestion pour prouver en quelque sorte que les produits n’avaient pas dangereusement diminués au cours de l’exercice. A cet égard, si cette différence représente bien des restes à recouvrer, il conviendrait alors de les comparer aux recouvrements du borsey de l’exercice précédent, c’est-à-dire aux restes à recouvrer de son prédécesseur pour déterminer s’il y a eu laxisme de sa part. Cela semble le cas puisque les restes à recouvrer de son prédécesseur sont trois fois moins élevés (960 deniers) que les siens. Au demeurant, sur 154 lignes consacrées aux recettes, 21 d’entre-elles n’indiquent pas le montant des taxes à percevoir mais seulement le volume à taxer soit au total 14 pipes, 7 barriques et 2 barriquots. S’il s’agit bien de restes à recouvrer, on peut sommairement en approcher le montant à partir des moyennes observées.

Si on applique le prix moyen de 100 deniers aux barriques et à due proportion aux pipes et barriquots on obtient une évaluation de taxes à percevoir du même ordre de grandeur que la différence initialement relevée.
Sous ces réserves, la situation de l’exercice 1457-1458 pourrait se présenter comme suit.
Aucun impôt direct n’était prélevé. La ville n’avait pas eu recours à l’emprunt et les gros travaux qu’elle a réalisés ont été exclusivement financés par des recettes courantes, situation qu’envierait de nos jours beaucoup de municipalités

Pour plus de la moitié (53%) les dépenses concernent de gros travaux de réparation, les gages aux jurats n’arrivant qu’en deuxième position. On observe sur la période quelques fluctuations sur les versements au cappitayne et à la manda (vaguemestre ?) mais la norme concernant les jurats (2 livres 10 sols chacun) et le borsey (20 livres) est toujours respectée.
Sur l’ensemble de la période, le montant des recettes et des dépenses est très fluctuant d’un exercice à l’autre sans qu’on puisse dire si telle ou telle évolution résulte d’une dégradation ou d’une amélioration de la situation financière de la ville puisque les résultats obtenus sont étroitement liés à la vigueur des diligences du borsey en exercice pour accélérer les recouvrements.

Le produit du droit de bête n’est pas négligeable et représente 20% des ressources de la collectivité.

Une charge de travail conséquente

Il est difficile d’apprécier la charge de travail du borsey sur la période 1457-1468. Le droit de bete et les droits sur les vins étaient versés par des régisseurs ou fermiers ce qui ne représentaient guère qu’une dizaine de versements par an. Seules les dépenses, nécessairement réglées aux véritables créanciers, puisqu’il n’y avait pas d’intermédiaire, étaient individualisées. Celles-ci ne représentent guère plus d’une cinquantaine d’écritures par an.

Les recettes

L’exercice 1457-1458, rappelons-le, fait figure d’exception. Les droits sur les vins sont enregistrés par redevable et ceux-ci sont nommément désignés ce qui n’est jamais le cas des règlements où seule la nature de la dépense est indiquée. Bien plus, les recouvrements obtenus sont quasi systématiquement datés ce qui n’est plus jamais le cas ensuite. Le borsey enregistrait en moyenne une douzaine de recouvrements par mois avec un pic de près de trente opérations en avril.
Cette évolution ne traduit qu’imparfaitement le montant de l’encaisse mensuelle puisque aussi bien les versements non négligeables des droits de bete ne sont, pas plus que les règlements, datés par le borsey.
Le montant des recouvrements mensuels des droits sur les vins offre cependant un aperçu des tensions sur la trésorerie. La moyenne des recettes mensuelles s’établit à 357 ardits avec une amplitude comprise entre 36 ardits en octobre et 858 ardits en avril.
La comptabilité ne traduit qu’imparfaitement les activités du borsey. On ne peut déterminer par exemple s’il recevait les redevables à la maison commune où se tenait sa caisse, ce qui est peu probable compte tenu des risques de fraude concernant des entrées ou sorties de vin non déclarés, ou s’il se tenait aux portes de la ville. On ne sait rien sur l’étendue de la fraude. On peut supposer que des contrôles sur place ont très tôt pratiqués et donnaient lieu à des procès-verbaux, voire même à des saisies. Le plus ancien procès verbal conservé de nos jours a été dressé par le borsey Jean Gaucem au cours de la gestion 1510-151111.

Les dépenses

Les dépenses offrent une vue plus précise des travaux du borsey. Les jurats n’avaient pas recours à des artisans chargés de faire leur affaire de l’achat des matériaux et du personnel nécessaire et éventuellement de leurs frais de déplacement et d’hébergement. Le maçon par exemple était payé à la journée, ses fournitures lui étaient fournies par la ville ainsi que le manœuvre pour gâcher le mortier. On retrouve ces pratiques dans tous les corps de métiers, achats par la ville de clous de différentes tailles pour le charpentier, de planches, de solives etc.
La fourniture de vin aux artisans et manœuvres était un rituel fréquent et l’on retrouve cette rubrique dans toutes les catégories de travaux. Il s’agissait en quelque sorte d’un paiement en nature parfois complété par des aloses.
Dans l’ensemble on peut considérer que les tours d’enceintes de la ville étaient achevées à cette époque et que leur coût avait été pris en charge par la municipalité contrairement aux engagements pris par le seigneur.

Norbert Guillot
Administrateur des finances.
A ce titre l’auteur s’est, entre autres,  plus particulièrement intéressé au réseau des comptables publics et carrières telles celles de directeur départemental du Trésor ou de receveur particulier des finances.
Par ailleurs, Norbert Guillot est l’actuel président de l’Association Saint Blaise à Cadillac dont l’objet principal est la protection du patrimoine.

 

 

 

 

 

 

 

 

Index des noms cités par le Borsey Pey de Mas en 1457-1458

La partie des folios consacrés aux dépenses, prolixe en ce qui concerne leur nature, ne mentionne que très rarement le nom des prestataires de biens et services payés par la commune. Au cours de l’exercice 1457-1458 quatre noms seulement sont cités :
-pour des transports de bois destinés à la réfection des tours : Un sieur Paris que l’on trouve également comme redevable de la taxe sur les vins, Bernard Gaucem plus tard assensador durant trois exercices et Aranaut d’Arran redevable de la taxe sur les vins cités en 1457-1458 ; tous trois, reçoivent globalement 2 livres.
-le quatrième créancier, Guilhem Bordieu, est désintéressé « pour le temps de garde de la guerre ». Il s’agit d’une dette antérieure à l’exercice de référence, la guerre est achevée depuis plus de trois ans et la somme qui lui est payée, 1 livre 5 sols est loin d’atteindre les gages d’un borsey (20 livres). Guilhem Bordieu sera d’ailleurs, à son tour borsey de Cadillac au cours de l’exercice 63-64.

Les noms cité par le borsey concerne essentiellement les redevables de la taxe sur les vins offrant ainsi une vue relativement complète des commerçants ou bourgeois de Cadillac.
On remarquera dans le relevé ci-après que les femmes ne sont pas désignées par leur nom de famille mais le plus souvent par leur prénom suivi de leur profession ou de celle de leur mari.

 

 

 

 

1 Comptes des recettes et dépenses de la ville de Cadillac (1457-1468) publiés par Michel Bochaca et Jacques Micheau, Etudes et documents d’histoire du bordelais XVè-XVIè siècle, 127 pages, Bordeaux, 2001. Professeur d’histoire médiévale, Université de La Rochelle.
2 Le texte de la prestation de serment des « tresaureys » de Bordeaux en usage de 1376 à 1389 a été publié dans le livre des bouillons édité pour le compte des archives municipales de Bordeaux par l’imprimerie G. Gounouilhou, en 1867, pp. 502-503, CXLXVI. Curieusement il s’agit d’une prestation a posteriori, le comptable jurant avoir fidèlement géré les deniers de la commune et déclaré toutes les créances qu’elle peut avoir. A partir de 1483, le tresaurey sera astreint à deux prestations l’une à l’entrée l’autre à la sortie de fonctions (ibidem, CLXV,pp.531-532.
3 Au début de la III république encore Casimir Périer évoquant le recrutement des Trésoriers payeurs généraux n’hésitait pas à proclamer : « il nous faut des banquiers ». Cette conception de la responsabilité financière est toujours vivace de nos jours.
4 Contrairement à une idée bien établie un ardit vaut ici 5 deniers et non trois.
5 La Monnaie de Compte est une monnaie de référence utilisée pour pouvoir convertir des sommes dans une même unité, à une époque où une multitude de valeurs très différentes était en circulation. Elle était donc distincte de la monnaie matériellement utilisée dans les transactions.
Le Denier, mot dérivé du latin, denarius, était l’unité de compte de base, survivance du système romain du troisième siècle• Le Sol ou sou, francisation du Solidus, monnaie d’or introduite par Constantin Ier, au IVème siècle de notre ère, en raison de la dégradation du système romain, valait 12 deniers .
6 L’article 13 stipulait que «  touz les marcheanz et autres personnes de quelque estat et conditions que ils soient, que aucun ne soit si hardiz de marcheander, ne faire aucun contraut de marchandises quelque comment que ce soit, à nombre de Deniers d’or, de gros Tournois, ne à marc d’or ne d’argent, mais seulement à livres et soulz »
7 Ecu : l’écu d’or de Charles VII émis de 1455 à 1460 représentait 25 grammes d’or pur, remplacé avec la même contenance par l’écu d’or au soleil de Louis XI. 
8 Luca Pacioli, Summa de arithmetica, geometrica, proportioni et proportionalita.
9 Pour certains auteurs, le barriquot contient de trente à quarante litres. L’escaye est un mot synonyme de coupon de tissus, que l’on peut assimiler à échantillon ou reste d’une barrique utilisée pour la vente au détail.
10 Comparaison artificielle bien entendu, le maçon ne travaillait pas tous les jours, surtout au Moyen Age ou les fêtes étaient nombreuses et la structure de la consommation différente.
11 AM Cadillac, série CC6  gestion 1510-1511. Quelques procès verbaux datant de la fin du XVII ont été également conservés. Curieusement ces PV n’avaient pas été inventoriés. Ils ont été classés dans une série créée pour l’occasion en 2008 (série AA3 : 1687 visites de chais, 1693 saisies, 1699 saisies des vins « rebelles » des doctrinaires de Cadillac). Les procès-verbaux sont plus nombreux à partir du XVIII en FF4, série toute entière consacrée à la police des vins et en série CC 9-10, visites chez les taverniers et cabaretiers, concernant les vins destinés être vendus au détail pour les années 1703, 1715, 1710, 1727 et 1728.


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