L’Hôtel Saint-François à Bordeaux.

Posté le 14/07/2012 dans Histoire.

Ce 4 avril dernier à 19 heures, au coin de la rue du Mirail et de la rue Saint-François une centaine de personnes manifestait pour attirer l’attention sur l’Hôtel Saint François dont l’intégrité des bas reliefs de son escalier était menacée en raison de l’installation d’un ascenseur, le propriétaire souhaitant moderniser, apporter plus de confort à son patrimoine vraisemblablement  source non négligeable de revenus, puisque entièrement dévolu à la location. Les travaux déjà bien avancés étaient momentanément suspendus pour des raisons de sécurité, et auraient du reprendre si à l’issue de l’émotion suscitée chez les défenseurs du patrimoine bordelais, le bâtiment n’avait été inscrit, dans l’urgence,  à l’inventaire supplémentaire des bâtiments historiques, pour un an, histoire d’avoir le temps de voir venir la suite…

S’il est vrai que l’Hôtel Saint François n’est pas une des plus grande œuvre du patrimoine bâti bordelais infiniment riche, il n’en reste pas moins que c’est une curiosité architecturale tout à fait étonnante et unique en son genre, tel que l’article qui suit de Marc Saboya en fait foi et par là même un témoin indiscutable de l’architecture du XIXème siècle. Lorsque l’on constate dans quel état de délabrement se trouve actuellement le bâtiment, il n’est que d’observer la façade, on ne peut s’empêcher de penser qu’avant d’installer un ascenseur, le propriétaire eut été plus inspiré de s’occuper de le faire réhabiliter.  C.L  

Au XVIIIe siècle, l’hôtel d’Estrade offrait une ampleur exceptionnelle et s’étirait, en une succession de longues ailes, de cours et de jardins, entre la rue du Mirail et la rue Leyteire. En 1850, Jacques et Pierre Videau associés à Antoine Audubert achètent la partie centrale du bâtiment. Lorsque est ouverte la portion de la rue Saint-François entre les rues du Mirail et Leyteire, les associés séparent leurs biens et Audubert commence alors en 1854 la construction de l’actuel hôtel Saint-François.

 L’hôtel Saint-François semble être la seule œuvre d’Antoine Audubert et nous tentons d’éclairer par l’analyse de cette œuvre atypique la personnalité de son constructeur. Nous connaissons en effet très peu de choses sur sa vie. Né en 1819 à Bordeaux, il meurt en 1893 à Arcachon. Il s’est marié en 1844 avec Jeanne Videau. Ils ont un enfant qui meurt à l’âge d’un an. Antoine Audubert est recensé comme « entrepreneur de bâtisse ». Il n’est donc pas vraiment architecte et conçoit le 22 rue du Mirail, où il habite et travaille, pour servir d’immeuble de rapport d’où son ampleur sur les deux rues où se déploient les façades.

L’immense façade de la rue Saint-François regroupe les soixante deux baies des cinq niveaux sous des frontons baroques ; des atlantes engainés délimitent les extrémités du dernier étage et de lourds visages figés décorent les linteaux de quelques fenêtres. Porté par un aigle aux ailes déployées, le premier balcon de la travée centrale développe un garde corps en fonte où s’inscrivent, dans un ovale, le compas et l’équerre de l’architecte. Nous retrouvons une allusion à la profession sur la porte de la rue du Mirail où un chapiteau ionique côtoie la palette et le pinceau du peintre.

Le second balcon s’appuie sur le dos d’un portefaix.

Le corps en partie pris dans la masse de la façade, assis sur le rebord d’une corniche, les jambes pliées, les pieds posés sur l’arc de la baie inférieure, les bras nus, le buste en équerre, il s’arque boute pour soutenir le poids énorme des pierres, assurant ainsi la stabilité du bâtiment. Placé au-dessus de l’aigle, oiseau mythique, roi de l’apesanteur, l’ouvrier, homme ordinaire, Ganymède moderne aux manches retroussées, délivré de sa monture mais asservi par l’architecture, domine, par sa force physique les lois de la gravité en contrôlant l’équilibre de la demeure et garantissant ainsi, au-delà des siècles, la pérennité de cet édifice de langage qu’est l’art de bâtir.

Bâtir ce n’est pas simplement posséder un savoir, celui de l’architecte, c’est aussi le mettre en œuvre, travail de « l’entrepreneur de bâtisse » qu’était Audubert, et le décor de l’escalier menant aux étages nous le rappelle. L’œil est d’abord attiré par un bas-relief qui reproduit assez fidèlement le dessin d’Henri Labrouste pour le frontispice de la Revue générale de l’architecture et des travaux publics (1840-1891), la plus célèbre revue d’ architecture de cette époque, un périodique moderne largement diffusé en province et bien connu à Bordeaux. Des petits personnages s’activent dans l’exercice de leur métier : un charpentier, des forgerons, des tailleurs de pierre, un maçon. Les ouvriers du bâtiment convergent vers deux hommes en toge représentés de face. L’un lit un livre, l’autre, un bras posé sur l’épaule de son compagnon serre un large portefeuille. Dans cette version moderne de l’Ecole d’Athènes, l’Architecture et la Construction sont associées pour bâtir l’édifice et former le ciment d’une pratique nouvelle où se mêlent les compétences de chacun, de l’ouvrier à l’architecte. Audubert, lecteur de la Revue, pensait incarner sans doute ce nouveau type de bâtisseur que désirait former le périodique ; il déclinait en effet dans les annuaires professionnel des professions multiples : outre entrepreneur de bâtisse il était aussi désigné dans ces document comme ingénieur civil, architecte, fournisseur de poterie et de matériaux pour la construction et, enfin, propriétaire.

Tout au long de l’escalier porté par de grandes poutres d’acier –des rails de chemin de fer peut-être – d’autres bas-reliefs mêlent de fragments d’architecture à une histoire des monuments célèbres et de l’habitation humaine qui accorde une place importante aux édifices bordelais. Organisée chronologiquement, cette représentation de l’architecture en une marche ascendante vers le progrès commence dans la nuit de la cave par un dolmen et s’achève, sous la pleine lumière du dernier niveau, par une reproduction de la façade de l’hôtel et par l’image d’une locomotive franchissant un fleuve tumultueux sur un pont métallique. Dans cette « histoire visible de l’art » comme l’écrivait César Daly, dans cette mise en scène d’un passé fondateur de la modernité architecturale, Audubert affiche sa sympathie pour des courants apparentés au saint-simonisme et largement inspirés des réflexions théorique de César Daly dans la Revue générale de l’architecture et des travaux publics. La façade de l’hôtel Saint-François devait sans doute dans l’esprit de son constructeur exprimer une étape fondamentale du progrès architectural. Ce qui frappe de nos jours c’est surtout sa marginalité, vigoureusement accentuée, dans le patrimoine bordelais[1][1].

Marc Saboya  – Docteur en Histoire de l’Art.

 

 


 

 

 



[1][1] Marc Saboya, Le Festin, n°29, 1999, p.91-101.

Nathalie Bégard, « L’Hôtel Saint-François : un immeuble de rapport sous le second empire », Revue archéologique de Bordeaux, XCI, 2000, p. 205-234

Histoire.
Crédit photographique: Marco Paladini

 

 


 

 

 



[1][1] Marc Saboya, Le Festin, n°29, 1999, p.91-101.

Nathalie Bégard, « L’Hôtel Saint-François : un immeuble de rapport sous le second empire », Revue archéologique de Bordeaux, XCI, 2000, p. 205-234


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