Nouvelle

Posté le 18/03/2013 dans Autres.

La route de Marmande.

Combien de fois ai-je parcouru le trajet « Branne Marmande » depuis l’installation de mes enfants dans cette ville au nom évocateur de potager ? Je ne saurais dire. J’en connais tous les aspects selon les saisons. Il m’est arrivé, à la faveur de travaux d’être déviée vers des villages cachés, secrets, semblant appartenir à un autre temps, perles nichées au creux des forêts. Les  matins d’hiver, les arbres, les clochers me regardent passer d’un air hautain, une étole de brouillard joliment jetée sur leurs épaules. J’ai connu des retours dans une obscurité si dense,  entourées des bois assiégeant Sauveterre de Guyenne,  que les allées  qui en débouchent,  devenaient des antres fantastiques, allant je ne sais où ! Chaque maison m’est connue : celle dont le toit s’effondre et dont je connais le secret pour m’y être arrêtée, lassée d’être attirée par sa masse solitaire et abandonnée, c’est une mare, presqu’ au seuil de sa porte, menaçante et recélant je ne sais quel drame ; celle que j’aime, un peu éloignée en contrebas de la route, dans un écrin de chênes. Et ce jardin, au milieu d’un bourg, fouillis d’essences d’arbres, sauvage et charmant, petit paradis méconnu et maltraité.

Le premier village à traverser est Naujean et Postiac, d’abord sa salle des fêtes du XXème suivie de son église romane du XIème, auréolée de tilleuls. Ensuite vient Rauzan et son château, tout y est : un air délicieusement suranné qui me rappelle ces récits de vacances dans mes revues de fillette : Colette et Nicole sont chez leurs grands-parents à la campagne. Puis, Sauveterre de Guyenne, bastide élégante et bordée de jardins fleuris de roses. Il faut franchir une route jalonnée de forêts ténébreuses avant La Réole, flanquée de son éternelle amie la Garonne et gardienne de l’esprit de Michèle Perrein.[1] Enfin les trois petits communes Mongauzy, Lamothe-Landerron, et Sainte-Bazeille, déjà le Lot et Garonne y pointe son accent qui ne s’en fait pas, prend son temps à la fin des mots, les frisent en queues de piments. Enfin Marmande la douce, aux jolies maisons basses et modestes, ville campagne offrant ses légumes à tous les coins de rues. Son seul luxe est son collier étincelant qu’ici on nomme comme une personne « Garonne ».

Ici se sont installés ma fille et son époux, ils ont aimé cette ville calme qui parfois se prend pour le Sud au détour d’une treille ou d’une rangée de briquettes roses ornant une façade. Leur maison est une bonne grosse bâtisse avec son jardin secret à l’arrière, invisible de la rue, ses pièces en enfilade y mènent comme à une évidence. Les murs ont gardé la trace des précédents occupants, le monsieur devait aimer bricoler, chaque porte, lambris, placard ont été soigneusement vernis  ainsi que le bel escalier de bois qui conduit à l’étage, la dame aimait coudre, tous les rideaux laissés et trouvés lors de l’aménagement ont été  certainement des ouvrages  « fait maison », ils attestent aussi, comme les tapisseries et les lampadaires de l’époque de la jeunesse du couple. Ils ont du arranger, décorer dans les années 1960 et puis ne plus rien changer après. Peu à peu, mes enfants ont gagné la confiance de cette maison. Les peintures de ma fille et les calligraphies de mon gendre ornent les murs repeints par leurs soins. Mes deux petites-filles plantent leurs rires au milieu des primevères du jardinet, rendez-vous des chats et des oiseaux. Ces derniers y vivent des existences intenses et parfois éphémères.

Lors de mes visites, le plus souvent, ma mission est de garder mes deux petites filles. J’arrive donc très tôt. Driss me prépare alors un café épicé. Quelle fatigue résisterait à un tel breuvage ? Le café relevé de cardamone, de cannelle et de poivre me réchauffe le corps et l’âme, tandis que les murs marmandais s’imprègnent de ces senteurs marocaines. Lorsque les parents partis, je me retrouve seule avec les deux petites, j’écoute le chant modeste et doux de la maison. J’ai la certitude heureuse qu’elle est bénéfique à mes enfants. Je ne manque jamais de la remercier, observant avec amusement le chaos joyeux  que lui infligent ses plus jeunes habitantes. Ici une poupée, là un dessin, un cube une marionnette, Les deux enfants y sèment la vie, les jouets, l’avenir, les lendemains, sans se soucier des plaintes de leurs parents quant au désordre,  . La maison, elle, elle aime ça. Il lui arrive de jouer avec les deux fillettes en cachant nounours ou doudous.

A voir cet endroit si plein de vie en devenir, je sais avoir accompli, moi aussi, ma mission de semeuse.

Ensuite vient le délice du retour. D’abord les vergers et les jardins autour de Marmande et leurs effluves vivants. L’or du soleil du soir nappant tout : la Garonne et le vallon, le chêne et les bâtisses paisibles sous les rayons chaleureux. Les villages retraversés dans l’autre sens que je salue du regard. Puis viennent, après La Réole, les grands coteaux aux portées musicales de vignes dont j’entends la symphonie.  Les bois assombris et parfois surpris par la nuit au cours du trajet. A proximité de la maison à la mare, je réprime un frisson d’effroi. Imaginer la masure abandonnée aux prises de ce trou boueux est trop insupportable pour que je m’y attarde. Je guette la jolie, celle entourée de chênes et veillée par des humains.

La route me fait fuir la peur, franchir la nuit, la brume. Elle me conduit en dépliant ses paysages reconnus  aux seuls contours d’un arbre ou d’un toit, à ma propre maison. Je sais être arrivée  lorsque l’horizon m’offre une rivière de lumières, celles de Libourne et de Saint-Emilion en face du coteau où se trouve Lugaignac mon village en haut de Branne la fière avec son église à deux clochers. Ma maison m’attend au bout de ce chemin et m’accueillera de sa douce ambiance, ma fidèle, mon abri.

Lysiane Rolland.

 

 

 

 

 



[1] Michelle Perrein (1929-1910) née à La Réole, journaliste et écrivaine, auteure, entre autres du « Buveur de Garonne » Prix des libraires en 1974.


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