Pavés de sandre Fernande

Posté le 22/04/2017 dans Les recettes d'Oncle Phil.

Pavé de sandre FernandePavés de Sandre Fernande.

Adolphe Louis Albert Duffaut-Compret est un personnage aujourd’hui bien oublié des habitants du Pays de Benauges, il fut, en son temps une gloire locale et sa notabilité allait de pair avec une paradoxale discrétion qui rend inopérante (ou presque) les investigations conduites avec le plus excellent des moteurs de recherches.

Mon excellent ami Patrick Durward qui a accepté de bien vouloir effectuer une patiente enquête sur Adolphe Louis Albert ne trouva ce patronyme qu’associé à une dame, dont la petite bonne se prénommait Emilie,  qui vivait au Haut Langoiran dans les années 1950

(cf : https://www.cahiers-entre-deux-mers.fr/2015/05/la-poule-verte/).

Adolphe Louis Albert, (Dobert pour ses familiers) avait débuté une brillante carrière d’avoué au barreau de Bordeaux lorsqu’il décida, au lendemain de l’élection du Prince Président, de se retirer sur ses terres de Béguey. Il avait alors trente-trois ans et belle allure ; il troqua la toge noire à grands rabats de soie pour de sobres costumes de serge ou de Harris tweed sur lesquels il affectionnait de porter par temps pluvieux une vaste pèlerine de tissus caoutchouté qu’il faisait importer spécialement de Halifax par la maison Coiffard de Bordeaux.

C’est  à l’occasion de l’une de ses visites aux magasins du Magot, à l’angle de la rue Teulère et Saint-James qu’il rencontra Octavie Coiffard, jeune fille de 17 ans dotée d’une chevelure noir de jais dont les bandeaux calamistrés se terminaient sur la nuque laiteuse par un délicat nœud d’amour. Adolphe Louis Albert n’avait jusqu’alors, de l’amour connu que les ébats tarifés de la maison de Madame Pepita, place Saint- Remi (aujourd’hui Georges de Porto Riche), ou les embrouilles érotico mondaines épicées d’épisodes de jalousie frénétiques dans lesquelles s’était spécialisée une pseudo baronne créole qui avait considérablement allégé son porte feuille d’actions de la Compagnie Agricole et Industrielle d’Arcachon. De cette (més) aventure qui eut vraisemblablement quelque part dans le dégoût subit de la vie mondaine ou demi-mondaine à laquelle s’adonnait volontiers Dobert entre deux plaidoiries, il lui resta  quelques papules tendrement rosées qu’il traitait par de fréquentes visites au cabinet de Maître Laguince, rebouteux établi dans un demi sous sol du cours du Chapeau Rouge et un sentiment de culpabilité dont le soulageait momentanément la fréquentation des confessionnaux troubadours de l’église Saint-Eloi. C’est à la sortie de l’office des ténèbres du Vendredi Saint de l’an du seigneur 1853 qu’Adolphe Louis Albert eut la révélation de son destin lorsque la robe jupon baleinée de faille de soie mordorée d’Octavie crissa au contact de son genou lorsqu’il lui proposa de l’abriter sous son parapluie. Ce tendre feulement  et les effluves de « Bouquet du Jardin du Roi », eurent raison des scrupules qu’ Adolphe Louis pouvait encore avoir à entreprendre de faire sa cour à une si jeune, saine et innocente créature. Dès le 17 mars, mardi de l’octave de Pâques, il sollicita une rencontre avec Prosper Coiffard pour lui faire part de ses intentions matrimoniales. Prosper, qui avait trois filles à marier, essaya dans un premier temps de caser l’aînée, Léontine, mais accepta, moyennant une révision à la baisse de la dot d’Octavie, de ne pas trop prêter attention aux papules rosées de son prétendant. C’est ainsi que le premier dimanche de l’Avent 1853 Octavie Coiffard devint Madame Alphonse Louis Albert Duffaut-Compret.

Le 15 août 1854, jour de la proclamation du dogme de l’immaculée conception par le Pape Pie IX venait au monde au château de La Thyrse à Béguey, Charles Albert Duffaut Compret, surnommé Chabert à l’âge de trois ans, par la grâce de l’élocution enfantine de la première de ses quatre sœurs, Léopoldine.

Des années d’enfance de Chabert, la tradition familiale rapportée par son arrière petite nièce Régine Desforges , retient de précoces penchants érotomaniaques interprétés comme des pulsions démoniaques qu’ Octavie s’efforçait de combattre par des pèlerinage hebdomadaires à Verdelais et des aspersions prophylactiques et glacées d’eau de la Fontaine du Pas de la Mule infligées chaque vendredi au pauvre Chabert. Á ces déviances enfantines succédèrent à l’aube de la puberté, des errements dont nous fit part l’auteure des « Contes Pervers » mais que nous ne pouvons nous permettre d’évoquer dans ces colonnes.

L’infirmité de Chabert, vécue par Adolphe Louis comme un châtiment de ses années d’inconduite, le plongea dans une ardente activité caritative ; c’est ainsi qu’il fut l’un des insignes bienfaiteurs anonymes qui permirent la fondation de l’œuvre de Béthanie. L’entreprise de réhabilitation des détenues de la prison de Cadillac par le père J J Lataste amena Adolphe Louis Albert Duffau Compret à imaginer de créer, dans les dépendances du château de La Thyrse, une sorte d’hospice destiné à accueillir les filles perdues, à l’image des établissements de « madelonnettes » de Marguerite de Gonzague. En 1866, il passa commande à Henry Duphot d’un bâtiment aux allures de béguinage destiné à accueillir dix huit jeunes femmes arrachées par la prédication et la promesse des agréments de la vie champêtre aux maisons closes et lupanars de la Gironde et des départements voisins. C‘est ainsi que le château de La Thyrse se convertit dans les dernières années du Second Empire en une sorte de phalanstère, où de charmantes fermières, dont la variété des types ethniques et sociaux était passablement estompée par l’adoption d’élégantes tuniques de flanelle bleu pastel et de cadichonnes de lin blanc soigneusement empesées, menaient de menus travaux agricoles, conduisaient des troupeaux d’oies, cousaient les après midi à l’ombre des tilleuls et rendaient grâce au seigneur à prime et vêpres dans la chapelle d’élégant style Tudor qui constituait l’aile sud de l’hospice. C’est une image paradisiaque que « La Gironde » du 17 décembre 1868, journal républicain régional de Gustave Gounouilhou donne de ce domaine « conjuguant les agréments d’une maison des champs sagement administrée à la fervente recherche de la paix des âmes » Les voisins de campagne des Duffaut-Compret ne manquaient pas une occasion de rendre visite à ce ménage si chrétien qui n’hésitait pas à investir ses rentes dans une entreprise aussi pieuse qu’exemplaire. Les dames y apportaient des nappes de batiste, pour qu’en soient tirés les fils et brodés les chiffres, par des mains repentantes dont leurs maris admiraient la ductilité que certains avaient appréciée dans d’autres ouvrages. Ce paradis, aux yeux de l’aristocratie locale n’était sans doute qu’un purgatoire fastidieux pour les madelonnettes, mais il s’avéra assez vite être un enfer “tantalien” pour Chabert .Les aspersions d’eau bénite s’avérant impropres à calmer ses ardeurs, il fut envoyé à l’âge de treize ans au collège Notre Dame de Betharram où il passa trois années qui en firent un passable latiniste et un psychotique avéré. C’était alors un grand échalas aux joues noires d’une barbe dont le fil du rasoir n’avait raison que quelques heures par jour ; son nez aquilin surmontait des lèvres minces dont le rictus découvrait des dents jaunies par le tabac, mais de ses grands yeux d’un bleu très pâle  irradiait un regard empreint d’une nonchalante beauté qui n’était peut-être pas étrangère aux dragées à la thébaïne qu’il affectionnait et au bromure de potassium dont on assaisonnait subrepticement tous ses plats. Le régime alimentaire imposé par la faculté à Chabert excluait tout produit carné à l’exception du filet de carpe de brème de barbeau ou de sandre, espèces qui abondaient dans l’étang artificiel aménagé sur les hauteurs de Laubescq ;  une tolérance était consentie à la saison pour l’alose et le créac*. Chabert affectionnait particulièrement les filets de Sandre que l’on servait traditionnellement à La Thyrse avec une sauce verte.

 En avril 1872 arriva à l’hospice, Fernande, une belle blonde, très grande, presque obèse, fille des champs dont les tâches de rousseur se refusaient à disparaître. Fernande ne faisait pas montre d’un grand entrain aux travaux d’aiguille mais elle dominait avec une particulière maestria l’art de mitonner des petits plats de saveur normande. Octavie Duffaut-Compret ayant eu vent des qualités de cette nouvelle pensionnaire lui demanda, à l’occasion d’une soudaine défection de la vieille Marguerite, de passer en cuisine. Fernande s’acquitta si bien de sa tâche qu’on lui proposa de se rattacher au service de la maison.

Le dimanche de la Quadragésime 1873, le déjeuner dans la grande salle à manger de La Thyrse était morose, depuis deux mois Charles Albert, prostré dans le cabinet de lecture qui lui avait été aménagé au sommet de la Tour des Graves refusait de descendre, de se laver, de changer de linge et ne s’alimentait que d’œufs qu’il gobait crus et de pommes « Rose de Benauges » ne touchant à aucun des plats que lui montait Marguerite. Le menu du dimanche de la quadragésime comportait traditionnellement des œufs en gelée, des pavés de sandre servis avec les premières asperges et après les excellents fromages maison, un biscuit glacé aux pistaches. En l’absence de Marguerite, Octavie  demanda à Fernande d’aller déposer un beau plat de sandre, non pas en sauce verte, cette année là, mais « à la Fernande », sous sa cloche argentée et le dessert conservé au frais dans un présentoir isotherme de palissandre dans le tour aménagé dans la porte de studiolo de Charles Albert.

Ce n’est qu’après les vêpres que l’on s’étonna de son absence ; Octavie envoya chercher Fernande dans sa cellule de l’hospice ; celle-ci était vide et aucune des pensionnaires n’avait aperçu Fernande depuis les premières heures de la matinée ; l’inquiétude commença à gagner les esprits. Lorsque la nuit tomba, on entreprit de battre la campagne en rondes concentriques autour du château, à explorer les granges, le cellier les écuries, et le cuvier où l’on avait retrouvé, deux années plus tôt, le corps sans vie de Rosa la Rosse. Ce n’est qu’à une heure avancée de la nuit qu’Adolphe Louis eut l’idée d’explorer la tour des Graves. La grille qui en commandait l’entrée était verrouillée, ce qui étonna beaucoup Dobert car jamais Chabert ne se serait mis en peine de descendre et remonter les quatre vingt seize marches. Les volets des petites fenêtres coiffées d’arcs Tudor du dernier étage étaient clos mais laissaient filtrer une pâle lumière…. Dobert n’osait, dans le silence de la nuit appeler son fils, il prit le parti d’user d’appeaux de vènerie rangées dans l’entrée du chenil qui jouxtait la tour, mais ni le chant de l’alouette ni celui de la perdrix grise ne produisirent le moindre résultat et la fine oreille de chasseur de Dobert ne perçut qu’indistinctement un vague halètement entrecoupé d’indistinct grognements. Adolphe Louis Albert Duffaut-Compret ne resta pas très longtemps perplexe quant à la cause de cette petite musique nocturne, et si l’on ignore par quel discours il apaisa les inquiétudes de la maisonnée il est certain que les recherches furent rapidement abandonnées et que chacun s’en fut vers son sommeil.

Ce n’est que le premier mardi de carême que Chabert et Fernande quittèrent leur perchoir, visiblement affamés ils firent leur apparition au crépuscule dans la grande cuisine de La Thyrse et dévorèrent une terrine de harengs abondamment arrosée du vin de l’année.

Á compter de ce jour Chabert recouvra progressivement un équilibre psychique qui lui permit de prendre en main, après la disparition soudaine de son père dans un tragique accident de chasse, la gestion du domaine et celle de l’hospice Sainte Madeleine de La Thyrse. Au désespoir d’Octavie il ne se maria jamais et avec lui s’éteignit le nom des Duffaut Compret. Mais, de nos jours encore les randonneurs qui affectionnent particulièrement les vieux chemins de l’Entre deux Mers ne manquent pas de constater, combien sont typés nombre de paysans de ces franges nord du pays de Benauges grands échalas aux joues noires, au nez aquilin surmontant des lèvres minces et aux grands yeux d’un bleu très pâle.

  • créac =dénomination girondine de l’esturgeon.

Recette.

Pavés de Sandre Fernande

Ingrédients :

4 pavés de sandre écaillés mais  non pelés
– 50 cl Château de Thys
– 1 verre à moutarde de crème fraîche
– 4 échalotes grises
– 200 grammes de beurre de baratte
– sel et poivre

  • Après avoir haché grossièrement es échalotes, les faire blondir avec une noix de beurre. Ajouter le vin blanc et faire réduire à feu très doux une vingtaine de minutes avant d’ajouter la crème fraîche. Laisser réduire de moitié. En prenant garde de ne pas faire bouillir la sauce, rajouter le beurre émietté en fouettant énergiquement.
  • Avant de mener à bien cette dernière opération vous aurez fait cuire les pavés de sandre dans un peu de beurre de manière à roussir légèrement la peau en laissant la chair à peine cuite.
  • Servir après avoir nappé les pavés de sandre avec la sauce.

Oncle Phil.


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