Promenade de campagne

Posté le 15/05/2012 dans La petite chronique.

C’est le printemps. Félicité chemine dans l’Entre-deux-Mers. « Dieu que la campagne est belle ! » malgré, ou à cause, de la pluie qui lave plus clair, plus vert. Explosion naturelle à nulle part semblable en Gironde. L’Entre-Deux-Mers, jardin du bordelais, petite Toscane, qui doit ces nominations à une situation géographique originale pour la région qui a permis l’implantation d’une végétation à affinités méditerranéennes.

Si nombreuses les essences d’arbres : chênes pédiculés que côtoient les chênes verts, les frênes, les platanes, les tilleuls, les pins parasols, les cèdres bleus et bien d’autres, majestueux en raison de leur grand âge. Ils sont partout, bordent les routes, ombragent les places, ourlent les mails de certains villages. Ils agrémentent les jardins de plaisances de ces maisons nobles ou châteaux ou encore maisons de campagne dénommées « bourdieux » qui datent du XVIIème ou plus souvent encore du XVIIIème siècle, lesquels se sont  enrichis au fil des siècles de marqueurs sociaux tels les magnolias grandiflora, les tulipiers de Virginie ou encore les palmiers de Chine. Les glycines surplombent balustres et balcons, les lilas, jasmins, seringas, lauriers apportent leur parfum. Bientôt les orangers prendront leur place d’été alors que les bananiers s’épanouiront en larges feuilles d’un vert acidulé apportant leur touche exotique à ces jardins si anglais.

Le long de la grande rivière et des esteys qui apportent l’eau des coteaux versants, les milieux humides sont de véritables corridors biologiques prodigues d’une végétation rare, protégée et indispensable à la vie de toute une faune fluviale et terrienne. Les orchidées sauvages multiples, belles et compliquées dans leur architecture sont encore présentes en grand nombre sur les coteaux,. Hélas, voilà déjà quelques décennies que les petites tulipes jaunes ou rouges qui s’épanouissaient entre les règes, striant les vignes aux couleurs de drapeaux ondulant au gré du vent, ont disparu exterminées par les pesticides d’une viticulture productiviste.
Félicité roule sur la D.10 qui mène à Malagar, la demeure de François Mauriac. Cela fait des années qu’elle emprunte cette route dans un sens ou dans l’autre, qu’elle traverse les villages riverains qui s’étirent simultanément le long de la voie, sertis entre coteaux et Garonne. Cela fait tant d’années que Félicité la parcoure en spectatrice attentive aux changements naturels de saisons, mais aussi qu’elle constate les atteintes anthropiques d’abord insidieuses puis de plus en plus brutales à l’harmonie existante.

«… Le temps a raison des arbres comme des hommes. Il attente aux paysages que nous avons aimés, il les modifie lentement quand un fléau ne les détruit pas… »p.19 avant-dernier Bloc-notes. François Mauriac.

En roulant, Félicité se remémore cette phrase de l’écrivain, elle pense que pendant des siècles l’Homme s’est adapté aux  harmonies mais aussi aux contraintes de la nature jusqu’au moment où est venu le temps de la modernité : celui du progrès avec la technique, la rationalisation, le « juste à temps » pour cause de rentabilité. Elle a vu au fil de ces dernières années, les supers marchés supplanter les petits commerces et du même coup vider les centres bourgs de plus en plus délabrés ; les lotissements sans identité donc sans âme s’installer sur les terres agricoles et dans le même temps supprimer les arbres  coupables d’encombrement voire soupçonnés de dangerosité ; elle a vu la sacro-sainte auto envahir l’espace roulant, l’espace stationnant, en fait l’espace vital ;  elle a vu le mitage des paysages, les panneaux publicitaires vulgaires et omniprésents, elle a vu la grande ville chasser à la périphérie une population paupérisée, à contrario elle a vu les plus fortunés qui s’installaient, rêvant de vivre « à la campagne » mais qui ne supportent ni le chant d’un coq, ni le son d’une cloche alors qu’ils  adorent le bruit mécanique de leur tondeuse, scieuse, tronçonneuse, quad, et autres engins infernaux qui leur servent de défouloir en fin de semaine de préférence.
Les collectivités aussi se sont mises à la modernité en aménageant l’espace, particulièrement celui dévolu à la voiture, donc la route. Félicité a d’abord vu fleurir les giratoires pour mieux fluidifier la circulation, puis pour faire bonne mesure on a multiplié, dans les villages, les chicanes, « gendarmes couchés », Stop et autres…  histoire de ralentir cette même circulation !

Autant d’aménagements coûteux  financés avec l’argent du contribuable sous la forme des fameuses C.A.B ou conventions d’aménagements de bourg passées entre les communes et le Conseil général. Ces aménagements sont plus ou moins utiles, plus ou moins moches, quelques uns, fort rares,  sont réussis car ils ont fait l’objet d’une réflexion de la part des élus qui ont pris en compte les spécificités  de leur commune et du paysage environnant.
Par contre combien sont –ils à être la reproduction bête et méchante d’un modèle unique qui tend à faire se ressembler tous ces bourgs villageois  et à les banaliser tels les faubourgs de la banlieue de Bordeaux ?  L’espace minéralisé est canalisé : les piétons sont invités à circuler sur des trottoirs hérissés d’une armée de pieux métalliques ou de boules en béton du meilleur effet destinés à empêcher le stationnement d’automobilistes  par principe inciviques !
Félicité traversant la petite commune de Sainte-Croix-du-Mont se dit qu’en l’occurrence cette dernière est un bel exemple. Là aussi la frénésie du réaménagement a sévi. Une partie de la D.10 qui traverse le village a été revue et de part et d’autre de la chaussée c’est une véritable partie de boules qui cerne les trottoirs. En attendant la suite reste dans un état de délaissement complet  et Félicité, qui ne manque pas de bon sens, pense qu’avant d’entreprendre « les grands travaux du sud ouest » il eut peut être été opportun que la municipalité s’occupe de faire nettoyer les lieux et ce d’autant plus que les élus locaux ont de grandes prétentions pour que Sainte-Croix-du-Mont deviennent un « haut lieu du tourisme » girondin et touche une clientèle potentielle,  pourquoi pas, internationale !
Félicité imagine déjà les dépliants touristiques vantant les atouts de cette charmante cité :
« Visitez la perle de l’Entre-deux-Mers, Sainte-Croix-du-Mont  sa vue panoramique, son château, son église, son vignoble, ses huîtres fossilisées et ses boules bétonnées ».

Félicité


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