Terrine de Lièvre de la tante Antoinette.

Posté le 16/05/2019 dans Les recettes de l'Oncle Phil.

Lundi 17 septembre, 8h rendez vous sur le terrain avec le géomètre pour vérification des bornages »

Le courriel, un peu sec, de  Guillaume surprit Daphné accoutumée à de plus chaleureux discours de sa part. Il est vrai que leur dernière rencontre remontait à plus de dix ans, lors des obsèques de l’oncle Louis dont Guillaume avait les terres en fermage depuis sa sortie du lycée agricole de Bazas. Lors de la réunion qui avait suivie l’interminable cérémonie organisée par la loge Harmonie 24, Guillaume n’avait pas manqué de lui glisser quelques compliments appuyés sur l’élégance de sa nouvelle coiffure, la discrétion de sa mise, l’éclat de son sourire et la bonne éducation de ses petits enfants. En riant, elle lui avait ébouriffé les cheveux, maintenant poivre et sel mais plus rares et moins frisés, en lui rappelant qu’il s’adressait à une vieille dame qui pourrait se méprendre sur ses intentions. Ils s’étaient à cette occasion promis de se revoir prochainement. L’hiver suivant Guillaume lui avait à plusieurs reprises téléphoné pour lui proposer de dîner ensemble à l’occasion de ses séjours bordelais, mais Daphné, toujours absorbée par ses activités caritatives et la garde de ses petits enfants n’avait pas donné suite à ces invitations et Guillaume s’était sans doute lassé. Elle s’en voulait cependant d’avoir laissé filer une si vieille et si tendre amitié qui remontait aux années de jeunesse. Du temps des premiers vélos au sortir de la prime enfance, les vacances de Pâques et une bonne partie de l’été, les cousins se retrouvaient chez l’oncle Louis pour vivre les aventures d’un club des cinq dont Daphné aurait été la Claude et Guillaume le Mick. Leur complicité faisait merveille dans les batailles dans les galeries du pailler, les poursuites effrénées à bicyclette dans les périlleux chemins des coteaux ou encore l’aménagement de la villa des Mouettes dans le chais du blanc devenu remise de vieux tracteurs et débarras familial.

Le royaume de prédilection de Guillaume et Daphné était incontestablement le Phare des Tempêtes qui s’érigeait en bordure de rivière dans un vaste champ de maïs. C’était une curieuse cabane de vignes, une de ces constructions rustiques que les viticulteurs, pour la plupart des villageois par ailleurs artisans, commerçants, ouvriers, employés voire brassiers ou métayers sur des  domaines viticoles voisins, érigeaient sur leur parcelle de quelques petites dizaines d’ares, pour les abriter en cas d’orage, s’y réchauffer lors des froides matinées de taille, y entreposer vîmes et sulfateuses et, à l’occasion inviter deux ou trois compères à y partager une entrecôte ou la crémière du marché du mercredi à échanger quelques caresses adultères. La plupart de ces cabanes ne sont que de minuscules constructions de pierre de taille ou de moêllon couvertes d’un pan de tuiles ou d’éverite, certaines, comme la maison de Nif Nif, sont en bois auquel  les sulfatages donnent une merveilleuse patine gris bleue. Le Phare des Tempêtes était une cabane d’un type très particulier et d’une ampleur inhabituelle. C’était en effet une tour circulaire de quatre ou cinq mètres de diamètre et de six ou huit mètres de haut dont le toit était masqué par un parapet crénelé qui lui conférait une allure castrale. Le linteau de la porte d’entrée portait, gravée en majuscules romaines l’inscription « Tour du Canet  1863 ». La construction de moellons et mortiers était érigée sur une légère butte qui la mettait à l’abri des crues les plus courantes. Un bel enduit rose à peine écaillé par endroit, mettait en valeur les piédroits harpés de la porte et de deux fenêtres percées à l’est au rez de chaussée et à l’ouest à l’étage. Le crènelage rongé par les intempéries et grisé par les lichens, conférait à la Tour du Canet une certaine touche de romantisme particulièrement sensible les jours d’orage. L’intérieur de la tour comportait deux niveaux reliés par un escalier branlant dont les limons soutenaient,  maintenaient tant bien que mal les marches. La pièce du rez-de-chaussée, comme celle de l’étage, était pourvue d’une petite cheminée encastrée dans  le mur et les sols étaient revêtus de carreaux de Gironde. Les fenêtres avaient perdu leur vitrage mais conservaient leurs volets intérieurs qui avaient contribué, sans aucun doute au confort de cette « folie » paysanne.

Au cours des années la tour connut des avatars multiples. A la Tour des Tempêtes avait succédé Fort Apache, Camelot, le cachot du bourreau de Béthune, l’antre du Cyclope, ou Thrushcross Grange, au gré de la lecture des volumes des bibliothèques rose, verte ou rouge et or et des films projetés au Splendid. La spirale des vacances de Pâques d’été et des escapades saisonnières se déroulait dans une apparence trompeuse d’ immuabilité ; au noyau dur du groupe composé de Daphné, de son frère , de Guillaume et de sa cousine et souffre douleur Martine se greffait occasionnellement les cousins « de Paris » ou « de Marmande » et les rejetons plus ou moins délurés des hôtes occasionnels de l’oncle Louis.

Au début des années soixante Salut les Copains et Mademoiselle Âge Tendre s’étant substitué à Spirou et Mickey et le radio cassette sur piles ayant fait son apparition, la tour se convertit en une version rustique du Bus Palladium où l’on s’adonnait au bonheur du twist ou du Madison. Aux grands panneaux de cartons d’emballage recouverts à la craie des figures de Jo Dalton, de Gaston Lagaffe,de Donald et de Gouffy vinrent se superposer des posters de Françoise Hardy et de Salvatore Adamo, qu’éclipsait la grande affiche de la tournée 63 de Johnny : sur un camaïeu de bleus, ciel et mer, que complétait en pied d’affiche la jambe moulée de jean et repliée sous les fesses de l’archange du rock français, se détachait la chemisette polo rouge de Johnny surmontée d’un visage juvénile au sourire envoûtant couronné d’une blonde chevelure calamistrée. Placée, face à la porte d’entrée sur la hotte de la cheminée dont le manteau portait une rangée de bougies multicolores, Johnny apparaissait comme un saint de retable baroque, transformant la petite salle circulaire en temple de l’érotisme aussi étrange et déroutant que la chapelle de la bienheureuse Ludovica Albertoni de l’église romaine de San Francesco a Ripa.

Le nouveau décor, tout autant que le duvet roux qui ombrait la lèvre de Guillaume et le gonflement suggestif des chemisettes à col Claudine de Daphné aurait laissé deviner à tout observateur plus attentif que l’oncle Louis et les parents, que l’enfance innocente touchait à sa fin. Il est vraisemblable que l’augmentation du taux de testostérone chez Guillaume ne fut pas tout à fait étranger à la vocation nouvelle de la pièce du premier étage de la tour. Une banquette prélevée sur la Dyna Panhardt d’oncle Louis et un sofa au capiton débraillé recouvert d’un velours frappé qui avait été vert d’eau, un tapis maltraité par les générations de setters, griffons, épagneuls et chats persans siamois ou de gouttières de la maison qui s’y étaient vautrés et parfois soulagés depuis sa mise au rebut au lendemain de la guerre, constituaient l’aménagement de base d’une garçonnière éclairée à la chandelle et parfumée au papier d’Arménie.

Le but inavoué et peut être même inconscient de ce travail de décoration d’intérieur assez étranger aux préoccupations habituelles de Guillaume était d’y attirer, pour passer à d’autres jeux, Daphné qui ,quant à elle, ne semblait guère vouloir lâcher son rôle de garçon manqué. Les vacances de Pâques et le mois de juillet de 1966, année du brevet pour Guillaume, furent entièrement consacrées pour lui à tenter d’organiser un tête à tête avec Daphné dans sa garçonnière. Le dernier jour des vacances, à la veille de son départ pour l’Angleterre, Daphné obtint carte blanche de ses parents pour la soirée et accepta un « dîner d’adieu » organisé par Guillaume.

Le rendez vous était fixé à vingt heures…

La petite pièce du premier étage de la tour du Canet  brillait de tous ses feux : la table était mise et garnie d’une terrine de lièvre confectionnée par la tante  de Guillaume, Antoinette, qui avait longtemps tenu le Relais de Maroutine tant apprécié par les chasseurs et pécheurs amoureux de la tradition. Une bouteille de vin pétillant soustrait du casier à bouteille du dessous d’escalier, des raisins muscats et des Chamonix disposés dans un enjoliveur de la Panhardt pourvoyeuse de banquette et deux verres à absinthe étaient disposés avec quelques couverts dépareillés sur  une table basse faite d’une demi-barrique. Guillaume vêtu à la manière du Johnny du retable d’une chemisette rouge et d’un Lewis, fleurant à plein nez l’after shave Mennen de son grand frère tendait l’oreille depuis dix neuf heures trente dans l’attente du doux ronronnement du Solex de Daphné. A vingt heures trente il avait déjà grillé trois Craven A qui lui chaviraient quelque peu le cœur, mais il n’osait attaquer la terrine ni le Limoux et en était à sa quatrième tranche de pain grillé Pelletier et à son deuxième verre d’eau tiède, lorsqu’il entendit un ronronnement de moteur qui, se rapprochant, s’avéra ne pas être celui inconfondable, d’un Solex mais d’une autre motocyclette. Entrouvrant le volet de la petite fenêtre il aperçut Daphné…en croupe d’une BB Peugeot pilotée par un motard aux cheveux de jais tout de cuir vêtu!

– Pardon Guillaume, je suis en retard mais je t’amène Francis, que j’ai rencontré à la gare en allant prendre mon billet pour Londres et qui part lui aussi à Bristol ! “

Guillaume tâcha de faire contre mauvaise fortune bon cœur, Francis dévora la terrine, liquida le Limoux, roula un pétard suave, fit rire aux éclats Daphné qui couvrit Guillaume de baisers fraternels, lui ébouriffa les cheveux, grimaça outrageusement  et tordit le nez à son parfum, et le remercia d’une embrassade sans fin avant d’enfourcher, en croupe de Francis, la BB Peugeot bondissante.

Ni  elle ni Guillaume ne pouvaient deviner que c’était là leurs derniers moments partagés dans la tour du Canet. Le séjour à Bristol convertit Daphné au charme de la vie anglaise ; l’année suivante, elle passa toutes ses vacances de l’autre coté de la Manche puis entreprit des études de musicologie à Oxford qui l’éloignèrent définitivement de Bordeaux, l’amenèrent à rencontrer un gambiste tchèque qu’elle épousa et dont elle eut deux enfants qui grandirent loin de la Tour du Canet. Sa fille Fiona lui donna deux merveilleux jumeaux, à la demande de Daphné, l’aîné fut prénommé Guillaume.

Guillaume de son côté avait longtemps mené une vie de garçon turbulente entre matchs de foot à troisième mi temps arrosée, parties de chasse clôturée par de grandes ripailles, virées de célibataires sur la cote basque, et réunions professionnelles, syndicales, politiques qui contribuèrent à la perte de ses cheveux et au rougeoiement de son teint. Il s’était assagi ou du moins quelque peu ramolli, se contentant de séjourner deux semaines en hiver en Thaïlande et quelques jours d’été à Torremolinos.

Daphné était à l’heure au rendez vous, au bord du chemin qui longeait les parcelles de vignes héritées de son oncle et de la pièce de terre au centre de laquelle se dressait la Tour du Canet que Guillaume venait d’acheter. Elle avait longtemps résisté aux propositions des cultivateurs du village qui tous convoitaient ces quatre hectares de belle terre de palus bien drainés par un réseau de mers d’eaux dont les écluses soigneusement entretenues bloquaient les remontées de la rivière dans les terres. Ce n’est qu’avec beaucoup de réticence qu’elle avait fini par céder aux propositions de la Société des Marais dirigée par Guillaume et accepté de vendre la pièce de terre et la vieille tour à laquelle se rattachaient quelques uns des plus merveilleux souvenirs de son enfance.

Un brouillard très dense couvrait les Palus silencieuses que seuls quelques croassements de corbeaux glanant les épis de maïs laissés pour compte par l’entreprise de travaux agricole que dirigeait d’une main de fer Guillaume. Celui-ci avait toujours été d’une extrême ponctualité et Daphné ne fut pas longue à percevoir dans le brouillard ouaté un vrombissement qui pouvait être celui du gros quatre-quatre de Guillaume. Curieusement le bruit de moteur ne venait pas du coté du village mais du fond des Palus. Daphné crut discerner des lumières semblables à celles des grosses machines agricoles équipées de projecteurs pour le travail nocturne ; elle pensa avec un sourire amusé que Guillaume ne voulait pas perdre de temps, il devait avoir quelque autre champs de maïs à récolter dans le voisinage, tant de vignes avaient été arrachées pour leur substituer cette culture industrielle et subventionnée… Les projecteurs découpaient l’ombre chinoise de la tour sur le rideau de scène des peupliers qui commençaient à sortir de la pénombre. Le soleil commençait à percer et Daphné  s’émerveillait de voir surgir de tyrannosaurus rex, avec son long col terminé par une énorme tête, la seconde plus trapue basse et large évoquait plutôt la formation en tortue d’une légion romaine. Les deux machines ne circulaient pas en lisière de la pièce de terre, mais dans son axe même ; lorsqu’elle arriva  à une vingtaine de mètres de la tour la première déploya son long cou et la tête se détacha au bout d’un câble qui s’anima d’un puissant mouvement pendulaire ; quelques mètres encore et l’énorme boule de fonte frappa la tour dans l’axe, au deuxième coup de butoir seul subsistait le rez-de-chaussée que le gigantesque pendule déchiqueta avant de s’écarter pour laisser place au second engin, gros bulldozer à chenilles qui en quelques dizaines de minutes réunit en un tas de pierraille ce qui restait de la tour du Canet.

Daphné, muette de stupeur n’avait pu étouffer un cri qui se transforma en sanglots tandis qu’elle s’effondrait sur le talus qui bordait le chemin.

Guillaume sans couper le moteur descendit de la machine infernale, il s’approcha de Daphné, l’aida à se relever et avec un sourire triomphant et niais la releva et la prit dans ses bras sans qu’elle put, songea ni voulut, offrir aucune résistance.

Ce n’est qu’en identifiant, dans le surgissement soudain d’un passé profondément enfoui, le parfum toujours aussi fade, épais, sucré et trop virilement genré de l’après rasage de Guillaume qu’elle reçut en un éclair l’intuitive compréhension de la cause profonde de l’effondrement de la tour du Canet.  Oncle Phil.

Terrine de Lièvre de la tante Antoinette

Ingrédients :

  • La chair d’un lièvre (environ 400g)
  • 200g de veau (tendrons)
  • 200g de lard
  • 1 gros oignon
  • 6 gousses d’ail
  • Un verre de persil haché
  • Coriandre et poivre noir broyés
  • Sel
  • Thym feuilles de Laurier
  • Un verre à moutarde d’Armagnac

Préparation :

  • Hacher l’oignon et le faire blondir à la graisse de canard
  • Découper la viande et la hacher (grille d’I,5mm)
  • Hacher ail et persil, effriter un peu de thym
  • Mélanger le tout dans un saladier et assaisonner
  • Placer trois feuilles de Laurier au fond de la terrine
  • Remplir la terrine avec la viande, puis placer deux feuilles de Laurier et une branche de thym sur le dessus.

Couvrir et mettre au four préchauffé à 180 ° pendant une heure. Enlever le couvercle et faire dorer au gril du four

Réserver au frais pour consommer le lendemain.

 

 


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *